Par Ahmed Cheniki Tout le monde est de la partie quand il s�agit de parler de langues sauf les linguistes qui se retrouvent marginalis�s par les �politiques�, des supporters passionn�s de l�une ou de l�autre langue et des associations satellites, chacune se prenant pour l�espace tut�laire de cet instrument quelque peu malmen�. Ces derniers temps, une intervention du sociologue Ali el- Kenz sur le probl�me de la transcription de la langue kabyle a mis le feu aux poudres, donnant � voir des voix r�duisant la culture nationale et la question de l�identit� � une illusoire qu�te des origines et d�une authenticit� biais�e, mythique. Ce regard essentialiste, faisant dangereusement fi des donn�es sociologiques et historiques, porte ainsi des oripeaux id�ologiques mettant en opposition le kabyle � l�arabe et, subsidiairement, aux autres langues nationales. Ce d�ni volontaire de l�Histoire et la p�joration du kabyle ou de l�arabe par calculs politiques, sans r�elle assise argumentative, correspondent au discours d�une minorit� de lettr�s qui chercherait � imposer par d�cret pour les uns ou par un singulier lobbying pour les autres certaines pratiques culturelles et linguistiques. Les discours int�gristes neutralisent ainsi toute possibilit� de d�bat et toute attitude distante, prudente par rapport � l�objet �tudi�. Le repli identitaire, au sens restreint d�origines, est l�arme absolue des int�grismes culturels. La question des langues est souvent occult�e pour ne retenir que ces deux n�ologismes qui dominent ces derni�res d�cennies le terrain culturel et politique : arabisation et amazighit�, au sens apparemment de �kabylit�. Les autres langues berb�res (le chaoui, le mozabite�) sont comme exclues du d�bat, alors qu�elles devraient �tre au c�ur de toute discussion. Comment explique-t-on ce paradoxe ? La dimension sociologique est carr�ment exclue. D�ailleurs, tous les lieux du savoir ne semblent pas retenir l�attention de ces contradicteurs d�un nouveau type. Linguistes, historiens, sociologues, psychologues et tous les chercheurs pouvant animer un d�bat s�rieux et apporter une information cr�dible sont marginalis�s, souvent install�s dans une place inconfortable pour ne pas �tre tomb�s dans une sorte de tragique transe favorisant les pr�jug�s id�ologiques et politiques. Les �tiquettes sont l�gion. La posture victimaire prend le dessus. La pol�mique est fondamentalement d�ordre id�ologique. Poser le �d�bat� dans ces conditions avec une telle violence, c�est provoquer quelque part des c�sures et des ruptures pr�judiciables � l��quilibre de la soci�t�. D�ailleurs, la revendication �amazigh� comme celle relative � l��arabisation� sous-tendent souvent des projets id�ologiques qui ne sont nullement oppos�s, mais se rencontrent en fin de compte. C�est vrai �galement que des forces interm�diaires latentes s�imposent dans la soci�t� et constituent en quelque sorte une zone-tampon emp�chant toute confrontation s�rieuse. D�ailleurs, les sorties de Abdelkader Hadjar, ancien pr�sident de la commission nationale de l�arabisation, ou de Othmane Sa�di, ancien ambassadeur, et les manifestations c�l�brant le �printemps berb�re � sont d�sormais boud�es par les populations cibl�es. En poussant le bouchon un peu loin et en se faisant les porte-voix d�univers id�ologiques pr�cis, les deux parties en pr�sence se neutralisent et se discr�ditent. Ainsi, une question qui aurait d� �tre calmement pos�e se retrouve au centre de passions et de pratiques quelque peu suspectes. La pol�mique est certes id�ologique mais est parfois sous-tendue par des int�r�ts imm�diats. Ainsi, n�avons-nous pas entendu dans le pass� un �crivain (en arabe), en l�occurrence Tahar Ouettar, faire publiquement l��loge des francophones vers les ann�es 1970-1980 et s�attaquer outrageusement aux �arabisants�, les traitant de tous les noms ; il change de fusil d��paule dans les ann�es 90 et se met � pourfendre ceux qu�il adulait auparavant. Des journalistes de la presse de langue fran�aise faisaient de cet auteur le plus grand �crivain alg�rien ; il eut fallu quelques d�clarations d�plaisantes pour qu�il se retrouve trait� d��crivaillon par ces m�mes plumes. Le discours opportuniste de l��crivain est symptomatique de la d�raison caract�risant le secteur de la production litt�raire et artistique. Quand Rachid Boudjedra avait d�cid� d��crire en arabe, il avait, on s�en souvient, d�rang� de nombreuses personnes des deux camps, c�est-�-dire ceux qui s�acharnent � arabiser ici et maintenant et ceux qui rejettent f�rocement la langue arabe. M�me un journal pourtant �crit en langue arabe, El Khabar, ne sort pas indemne des attaques des chantres de cette arabisation pr�cipit�e. Il est m�me consid�r� comme un quotidien �francophone bis�. Quand Abdelaziz Bouteflika avait bris� un tabou en s�exprimant en langue fran�aise, les r�actions ne se sont pas fait attendre et les deux camps, souvent les partis politiques, s��taient mis � jaser, les uns soutenant le Pr�sident, d�autres le fustigeant. Cette mani�re de voir et ces grandes bastonnades se comprennent uniquement � l�or�e de la lecture historique. C�est � travers l�histoire de la marginalisation de l�arabe par la colonisation, la mise en sourdine des langues berb�res ou amazigh, l��hypoth�que originelle� du d�but du si�cle qui provoqua une profonde c�sure dans la soci�t�, les h�sitations et les discours populistes du mouvement national et les politiques ambigu�s des diff�rents gouvernements de l�apr�s-ind�pendance, qu�on peut analyser cette situation. Il est �vident d�ajouter les relations entretenues par des dirigeants politiques et des champions de cette �arabisation- pr�t � porter� avec une tendance politique qui s�vit mal au Machrek, le baathisme, version irakienne. Le grand cin�aste �gyptien Salah Abou Seif nous disait en 1988 que le discours d�un grand nombre d�auteurs, d�universitaires et de dirigeants politiques alg�riens lui rappelait le discours arabiste int�griste d�une partie de l�intelligentsia proche-orientale souvent en porte-� faux avec les nouvelles r�alit�s. Cette position se retrouve �galement prise en charge par des �crivains aussi c�l�bres que San�Allah Ibrahim, Jamal el- Ghittany, Youssef Idriss et Najib Mahfouz notamment qui estiment que ce discours �puriste� et essentialiste (il fait penser � la conception d�pass�e et fort r�trograde de Rivarol en France) est l�expression d�une pauvret� intellectuelle qui ne sert nullement les int�r�ts de cette langue momifi�e et rigidifi�e � l�extr�me. Quand un Othmane Sa�di, ancien ambassadeur en Irak, ou un Abdelkader Hadjar reviennent tout le temps � ce discours porteur id�ologiquement dans l�imm�diat, ils semblent ignorer que la langue est, au m�me titre que le corps humain, un organisme vivant et dynamique. Il ne sert � rien de vouloir l�imposer � tout prix � toute une soci�t� sans interroger sa place r�elle dans cet univers d�autant plus qu�il serait vain de �singer� sans cesse une France que pourtant, ils ne cessent d�attaquer et de fustiger dans tous leurs communiqu�s. Le Baath est paradoxalement issu, comme l�a bien montr� son initiateur Aflaq, des acquis de la culture fran�aise et de l�Etat national. L�arabisme est avant tout un discours produit gr�ce aux apports europ�ens. Une s�rieuse lecture de l�histoire des relations du Machrek avec l�Occident nous enseignera toutes ces v�rit�s. Donc, le francophonisme (au sens id�ologique) est pris en charge par les arabistes qui, extr�mement s�duits par ce discours, vont adopter la culture europ�enne sans prendre le soin de l�interroger. Ce serait instructif de lire les textes de Rifa�a Tahtawi ( Takhlis el-ibriz fi talkhis bariz), de Ali Moubarak, de Mohamed Abdou� La question ne se pose nullement en termes de puissance de la langue arabe ou de la langue fran�aise, mais investit �galement et s�rement l�espace id�ologique. Toute langue est lieu et enjeu de luttes. Ce n�est pas uniquement la langue arabe qui a ses zombies. De nombreux dirigeants alg�riens pensent encore qu�on peut changer les choses � force de d�crets et de lois. La soci�t� est beaucoup plus complexe. La m�me remarque est valable pour les d�fenseurs z�l�s d�un certain int�grisme amazigh (plusieurs variantes linguistiques) en Alg�rie, au Maroc et en Libye. Les uns et les autres citent l�exemple de l�h�breu en Isra�l, un pays d�velopp� par rapport aux Arabes, qui utilise pour ses grands travaux l�anglais. En �gypte, la m�decine et d�autres disciplines scientifiques sont enseign�es en anglais. Tout le monde sait qu�en �arabisant� aussi massivement et aussi rapidement les sciences sociales et humaines � l�universit�, le niveau de la recherche a dramatiquement baiss�, faute d�une documentation s�rieuse (trop peu de travaux sont traduits dans les pays arabes) et de la non-ma�trise des langues europ�ennes. Le savoir scientifique a pour g�te l��Occident�. La langue ne peut pas vivre en autarcie, c�est-�-dire en dehors du tout social. Les j�r�miades, les lamentations, le retour aux sources ne sont que des r�alit�s factices d�un pr�sent marqu� par le sous-d�veloppement et la malvie. La langue arabe fut longtemps sujette � de multiples manipulations et � de s�rieuses luttes id�ologiques. Qui ne conna�t pas les grandes joutes entre Ahl el-Koufa et Ahl el-Basra, les travaux de Jorjani ou de Sibaweih (tous les deux ne sont pas des Arabes) et cet incessant combat en �gypte depuis la Nahda pour promouvoir un outil linguistique lib�r� des scories du conservatisme aberrant et arrogant. Le grand penseur Malek Bennabi avait �voqu� cette question dans son ouvrage Vocation de l�Islam (Le Seuil, 1954). Il parlait ainsi de l�usage fait � la langue arabe par les �lites conservatrices : �Il en r�sulte que la langue arabe divinis�e ne peut plus �voluer, et l�adoration de ses adeptes rend intangible une syntaxe irr�vocablement r�duite � une quinzaine de formes, au point qu�il est devenu sacril�ge de constituer une forme nouvelle au moyen de pr�fixes appropri�s, ce qui serait imparfaitement possible dans l�esprit m�me de cette langue.� lll D�j�, la langue arabe est sujette � un usage des plus outranciers excluant toute �ventuelle r�forme ou �volution. Cette mani�re de faire commence malgr� tout � perdre du terrain avec l�apparition de journaux comme El Khabar, constitu� essentiellement de journalistes bilingues et de cadres comp�tents ma�trisant les deux langues. De nombreux Alg�riens sont d�sormais � l�aise dans les deux idiomes. Lors du duel Lacheraf- Ch�riet, repr�sentants de deux tendances du pouvoir, on eut le sentiment d�assister � un combat p�riph�rique. La lecture des textes de cette p�riode (1977) laissait entrevoir des luttes futures d�int�r�ts et de grandes joutes entre les deux groupes. Ce qui advint juste apr�s les �v�nements de 1988 o� les conflits devinrent publics. Jusqu�� pr�sent, aucun d�bat s�rieux prenant en consid�ration les pesanteurs sociologiques et les pratiques quotidiennes n�eut lieu. Les combats �taient d�ordre id�ologique et l�expression de partis-pris manifestes. Aussi, ignorait-on les r�alit�s complexes de l�univers culturel alg�rien marqu� par l�h�t�ro-culture et la diversit� linguistique. La situation linguistique est h�t�rog�ne. Les quatre idiomes (tamazight dans toutes ses variantes, l�arabe �classique �, l�arabe �populaire� et le fran�ais) en pr�sence dans le champ socioculturel s�affrontent, se heurtent en vue d�investir le pouvoir symbolique. Les grandes manifestations de 1980 (gr�ves des �tudiants �arabisants� suivies quelque temps apr�s par le mouvement de revendication des �cultures populaires� domin� par les �tudiants � dominante kabyle des universit�s d�Alger et de Tizi- Ouzou) mirent s�rieusement en relief la complexit� de la question linguistique travers�e par les querelles politiques agitant les cercles du pouvoir et des pans de la soci�t�. Au nom d�une arabisation marqu�e par la pr�cipitation, les langues et les �cultures populaires� �taient souvent d�valoris�es, voire interdites. La r�ponse � cette r�alit� �tait illustr�e par un discours extr�miste qui rejetait l�arabe et la culture arabe. Deux extr�mismes se querellaient et se lan�aient des anath�mes comme �l�ments repr�sentatifs d�un d�bat biais� et espace d�un lourd h�ritage d�ind�cision et de manque de courage. 1980 marquait un important tournant dans la manifestation de la question linguistique. Tout revenait sur le tapis : le conflit de 1949 et les diff�rentes chartes (Soummam, Tripoli, Alger et les deux versions de la Charte nationale) caract�ris�es par de dramatiques ambigu�t�s et de profondes contradictions. Les r�dacteurs de ces textes �vitaient soigneusement de poser le probl�me ou d�en d�terminer certains param�tres. Ainsi, en mettant en forme des manifestes syncr�tiques, on pr�parait les explosions futures. On s�amusait pendant ce temps � conjuguer la question au futur ant�rieur. L�absence d�une politique linguistique transparente provoque de grands conflits et de profondes tensions qui opposent, pour reprendre un sociolinguiste, deux p�les, �celui d�une singularit� d�connect�e et celui d�une unit� peu respectueuse des diff�rences�. On assista donc au d�but des ann�es 1980 � un violent antagonisme entre les deux camps : celui repr�sent� par les champions du particularisme et les adeptes des �cultures populaires�, et celui incarn� par les supporters de l�adoption d�une langue unique, supranationale, l�arabe �litt�raire�. Le ma�tre-mot de ces deux tendances est l�exclusion. Mostefa Lacheraf mettait dos � dos les deux tendances dans un article publi� dans Alg�rie-Actualit�(14 mai 1981, N� 813) et fustigeait les uns et les autres. La presse prenait position pour l�une ou l�autre tendance qui travaillaient le trottoir politique. L�invective �tait souvent l�arme f�tiche de ces nouveaux �tirailleurs�. Mouloud Mammeri fut s�rieusement attaqu� par le r�dacteur en chef d� El Moudjahidde l��poque, Kamel Belkacem. Cette tradition du lynchage m�diatique est toujours malheureusement pr�sente. Le d�bat s�rieux est encore loin. Les int�grismes linguistiques font fonction de fonds de commerce porteurs et alt�rent la communication. La violence verbale et l�enfermement ethnique sont l�expression d�une situation explosive et le r�sultat de silences pervers sur les questions culturelles depuis l�ind�pendance. Trop souvent, les probl�mes linguistiques sont politis�s et charg�s id�ologiquement. La langue devient en quelque sorte le lieu o� s�affrontent des clans politiques et o� se r�glent des comptes dans une soci�t� an�mi�e et o� se manifestent de sordides calculs politiques. Ainsi, l�id�al d�mocratique dispara�t d�s qu�on commence � �jouer� avec les �l�ments identitaires travers�s par un flou d�finitoire. Le dire prend une position transversale, c�est-�dire que les �promoteurs� r�els ou suppos�s de telle ou telle manifestation utilisent tel ou tel discours pour exprimer beaucoup plus une revendication opaque, marqu�e par la politique. Le �langage vrai� d�serte les trav�es et se cantonne dans les coulisses o� se construisent et se d�construisent les d�cisions. La culture dite populaire, r�duite � une sorte de pratiques folkloriques, vassalis�e et anachronique, correspondant � une stature essentialiste, est convoqu�e pour servir d�espace de civilisation � des postures politiques et id�ologiques. Le lynchage m�diatique et les d�clarations haineuses dont a �t� victime le chanteur Lounis A�t Menguellet, il y a quelques ann�es, s�expliqueraient tout simplement par cette propension � vouloir faire de la d�mocratie une entit� � g�om�trie variable et d�instrumentaliser l�outil linguistique � des fins politiques. Ainsi, l�artiste, en homme libre, qui a v�cu l�exclusion et aujourd�hui les tentatives de r�cup�ration, s�est toujours d�fini comme Alg�rien et n�a pas accept� de marchander sa libert� comme il a toujours cherch� � d�fendre les langues amazighes dans une perspective historique refusant tout embastillement et toute excessive politisation. Du jour au lendemain, celui qu�on adulait s��tait transform� en �tra�tre� par des voix qui inscrivaient l�outil linguistique comme pr�texte � des joutes politiques et � des rencontres violentes. Au coin de la �revendication les r�dempteurs� d�un genre nouveau qui se gargarisent de discours enflamm�s, comme celui de Abdelkader Hadjar, l�ancien pr�sident de la commission nationale d�arabisation sous Boumediene, ou Othmane Sa�di, vivant profond�ment une sorte de singuli�re parano�a dont on a fait une personnalit� hors-pair (alors qu�il n�a jamais rien produit) excluant toute autre expression linguistique que l�arabe �litt�raire� dans une soci�t� plurielle. L�ancien ministre de la Culture Mahieddine Amimour n�arr�te pas de voir des �complots� francophones partout. L��crivain Tahar Ouettar a, lui aussi, pris la m�me direction. Cette digression nous semble utile d�autant plus qu�elle nous montre que la question linguistique en Alg�rie n�a jamais �t� analys�e � l�aune des contingences sociologiques. Tentons cette aventure. Tout le monde sait qu�en Alg�rie, nous sommes en pr�sence d�une situation de bilinguisme avec diglossie. D�finissons les termes. Le bilinguisme suppose la pr�sence d�un locuteur ou d�une communaut� ma�trisant deux syst�mes linguistiques tandis que la diglossie se d�finit par l�utilisation de deux idiomes de mani�re alternative et compl�mentaire dans des conditions culturelles diff�rentes. Quatre langues (arabe �litt�raire�, arabe �populaire �, le fran�ais et le tamazight (avec ses variantes) se partagent le march� linguistique. Nous empruntons au sociolinguiste Ahmed Boukous sa r�partition des attributs aux langues en pr�sence (la situation sociolinguistique du Maroc s�apparente � celle de notre pays). 1- Tamazight n�est pas standardis� mais il est dou� d�autonomie, d�histoire et de vitalit�. 2- L�arabe �populaire� n�est pas non plus standardis�. Il n�est pas �galement autonome car il entretient des rapports d�h�t�ronomie avec l�arabe litt�raire : il y est cependant vital. Ces deux idiomes sont les plus utilis�s dans la vie sociale et constituent donc les outils les plus employ�s en situation de communication. Tout le monde, ou du moins la majeure partie de la population, s�exprime en tamazight (diff�rentes variantes) et en arabe �populaire�. M�me dans les �uvres artistiques, on utilise ces deux idiomes. Ces derni�res ann�es, romans, films et pi�ces de th��tre sont �crits en kabyle. Nous pouvons citer notamment le cas des films de Meddour ( La Montagne de Baya), de Hadjadj ( Machaho) et de Bouguermouh ( La colline oubli�e). Il existe m�me un festival de th��tre en kabyle � Tizi Ouzou. 3- L�arabe �litt�raire� est �videmment standardis�, il est autonome et historique, mais ne fonctionnant pas comme langue maternelle. 4- Le fran�ais est une langue �trang�re impos�e par le colonialisme, standardis�, historique, mais non vital. Cette classification s�inspire largement de l��tude du linguiste marocain Ahmed Boukous (Bilinguisme, diglossie et domination symbolique, in Du bilinguisme, Deno�l, 1985) qui expose, de fa�on tr�s pertinente, la situation linguistique au Maroc qui est sensiblement proche de celle de l�Alg�rie. Ces attributs s�appliquent donc bien aux langues en pr�sence en Alg�rie. Tamazight et langues �populaires � appartiennent � des cat�gories linguistiques et culturelles bien pr�cises. Orales, apprises dans le milieu familial, souvent consid�r�es par certaines cat�gories de pouvoirs comme �basses� par rapport au fran�ais et � l�arabe �litt�raire�, elles servent de moyen d�expression aux contes, aux l�gendes, � des po�mes et, d�sormais, � d�autres formes artistiques �modernes� comme le cin�ma et le th��tre. Qui ne conna�t pas les qsaid de M�hand u M�hand, de Abderrahmane el Mejdoub, de Ben Khlouf, de Ben M�saieb ou de Mostefa Ben Brahim et bien d�autres bardes de ce Maghreb pluriel. Elles sont utilis�es dans la vie quotidienne. Souvent p�jor�es, ces deux langues restent encore en dehors d�un certain nombre de pratiques sociales. Les manifestations de 1980 mirent en avant cette question poussant les dirigeants � faire des concessions en acceptant dans un premier temps de r�tablir la chaire de tamazight supprim�e en 1973, en insistant sur l�importance du patrimoine populaire et en cr�ant le Haut- Conseil � l�Amazighit� tout en permettant l�enseignement de cette langue. Ainsi, le tamazight se voit tol�rer � la t�l�vision alors qu�il existait depuis longtemps une radio en kabyle (Chaine II). On institua un secr�tariat aux arts et aux cultures populaires. Ainsi, subitement, le pouvoir alg�rien d�couvrait les arts et le patrimoine national. Aujourd�hui, plusieurs travaux de linguistes montrent la possibilit� de transcrire ces langues. Dans le pass�, les textes du tamazight �taient �crits en caract�res arabes ou latins. Un probl�me se pose tout de m�me : tamazight comprend des phon�mes (lettres ?) qu�on ne trouve pas dans les syst�mes phon�tiques et phonologiques arabe et latin. Peut-on transcrire cette langue en utilisant l�alphabet phon�tique international ? Certains linguistes semblent privil�gier le tifinagh comme moyen de transcription. Le tifinagh est une langue tr�s ancienne qui s�est maintenue dans quelques �lots montagneux au Maghreb. D�ailleurs, le probl�me linguistique se pose encore dans les pays du Maghreb. La Libye et le Maroc vivent une situation tr�s difficile. La contestation est publique alors que la revendication est souterraine et clandestine dans le pays de Kaddafi parce que violemment r�prim�e. En Tunisie, les choses �taient rentr�es dans l�ordre depuis le d�part de l�ancien premier ministre Mohamed Mzali qui a entrepris une d�sastreuse politique d�arabisation forcen�e dont souffre jusqu�� pr�sent le pays. Mais ici, le statut officiel de la langue fran�aise �volue au gr� des humeurs politiques. C�est en Alg�rie que les passions sont tellement exacerb�es que, souvent l�intelligence est mise aux vestiaires, laissant place aux rancunes, aux ranc�urs et aux int�r�ts des uns et des autres. L��gypte fait c�toyer plusieurs langues sans probl�me. Le Pr�sident Hosni Moubarak s�exprime en arabe �litt�raire� ou �dialectal� et en anglais sans complexe. M�me les intellectuels parlent ais�ment en arabe �gyptien � la t�l�vision sans subir les foudres de l�animateur ou des dirigeants des cha�nes. Quand Bouteflika s�est exprim� en fran�ais, tous les chantres de l�arabisme ont r�agi et se sont mis � parler de dangers �suppos�s� tout en qu�mandant, par allusions � peine voil�es, des postes au chef de l�Etat. Boumediene ne s�est exprim� en fran�ais que dans une seule interview avec Francis Jeanson, d�ailleurs non rendue publique. Lotfi El Kholi et Ahmed Baha�Eddine me disaient, il y a quelques ann�es, qu�ils ne comprenaient pas du tout le fonctionnement de certains intellectuels �arabisants� qui, au lieu de profiter d�une autre langue de civilisation, le fran�ais, veulent l�exclure du champ culturel alg�rien. �C�est le complexe du colonis� qui les harc�lent, me confiait Lotfi el Kholi, comme si le fran�ais, l�arabe et le berb�re devaient obligatoirement entrer en guerre. � La politique berb�re concoct�e par les officines colonialistes utilisa cette question dans le but de diviser les Alg�riens (voir l�excellent ouvrage de Charles- Robert Ageron, L�Alg�rie alg�rienne, De Napol�on III � De Gaulle, Sindbad) et de favoriser les conflits et les tensions entre les arabophones pr�sent�s comme des nomades venus d�Arabie et les berb�rophones, pr�tendument originaires d�Europe. Cette man�uvre n�avait pas r�ussi et n�avait aucunement d�mobilis� les militants de la cause nationale qui, malgr� la gravit� de la crise de 1949 que sous-tendait cette question, s��taient r�unis en groupe pour d�clencher ensemble la lutte arm�e. Les neuf premiers combattants de la r�volution qui d�clench�rent la lutte de lib�ration, venus des quatre coins de l�Alg�rie profonde qui s�insurg�rent contre leur propre direction (celle du MTLD), parlaient ais�ment la langue fran�aise et l�avaient utilis�e contre le colonisateur qui voulait les diviser. Aucun complexe. C�est un peu l�histoire de Prosp�ro et de Caliban de La Temp�te de Shakespearequi se trouve ainsi mise en pratique en Alg�rie. L�arabe �litt�raire�, langue officielle �crite mais non utilis�e dans la vie courante, pr�sent�e comme unique et unificatrice, est affubl� du statut de langue nationale et officielle. Ce qui est paradoxal, c�est la reproduction de l�exp�rience fran�aise o� on a vu une langue minoritaire, celle de l�Ile de France, devenir nationale. Le mod�le scl�rosant fran�ais de l�Etat-Nation fut reproduit sans aucune interrogation. Ainsi, ceux qui s�en prennent souvent � ce qu�ils appellent �hizb fran�a� reproduisent tout simplement le mod�le linguistique et id�ologique fran�ais. Une lecture de la litt�rature alg�rienne �crite en arabe nous permet de d�celer l�obs�dante pr�sence des lieux litt�raires et culturels fran�ais dans ces textes. Ce qui est peu visible par exemple dans des romans r�dig�s en fran�ais comme ceux de Dib, de Boudjedra ou de Kateb Yacine o� la pr�sence de la litt�rature am�ricaine (Dos Passos, Joyce, Fidgerald et Faulkner, entre autres) et latino-am�ricaine est importante. L�explication est simple ; elle est � chercher du c�t� de la Nahda et des nombreux contacts du Machrek avec la France. Prenons le cas de El Afghani et de Abdouh qui s�insurg�rent contre les conservateurs de l��poque et qui appel�rent � un d�veloppement qui ne rejetterait pas les acquis de la culture europ�enne. L�arabe est une langue supranationale. Elle est le lieu d�expression employ� dans un grand nombre d�appareils id�ologiques (t�l�vision, radio, presse, justice, enseignement�), elle est consid�r�e comme un espace du pouvoir. Boualem Benhamouda, alors ministre de l�Int�rieur, alla jusqu�� d�baptiser les noms de villes et � chercher � arabiser les noms de familles, ce qui avait choqu� � l��poque de nombreux membres du gouvernement qui remirent en question la fameuse arabisation des villes et des enseignes commerciales donnant lieu � des s�ances de rire dans un pays qui en manquait s�rieusement. La l�gitime r�cup�ration de la langue arabe, en dehors des sournois jeux de pouvoirs, ob�it � une logique historique. Longtemps marginalis�e, d�truite par les siens, elle devrait prendre une importante place dans le paysage culturel national. Ce n�est pas en usant de d�crets qu�on la d�veloppe ou qu�on l�impose dans la soci�t� mais en mettant fin � la corruption, au �m�gotage� anti�conomique et en la lib�rant des scories et des tournures emphatiques qui l�embastillent. Le travail fait par un certain nombre de linguistes et d��crivains �gyptiens et moyen-orientaux qui, depuis des d�cennies, luttent pour transformer cette langue est exemplaire. C�est pour cette raison que de nombreux �francophones� ne doivent pas r�duire la langue arabe au baragouinage de certains lettr�s arabisants alg�riens arri�r�s, encore �gar�s du c�t� de Koufa, mais doivent s�int�resser aux litt�ratures du Machrek. Comme il ne faudrait pas se tromper sur les situations diglossiques qui ne caract�risent pas uniquement la langue arabe, mais la majorit� des langues. Comme la graphie ne fait pas forc�ment une langue. Le langage est naturel, les langues, espaces de convention, sont fortement marqu�es par l�Histoire et la soci�t�. Lire Najib Mahfouz, Jamal el Ghittani, San�Allah Ibrahim, Zakarya Tamer, Jabra ou Hanna Minna est une entreprise indispensable pour comprendre comment ces grands �crivains arrivent � ciseler la langue arabe et � la remodeler, lui apportant de nouveaux sens et l�investissant de nouvelles significations. Cette g�n�ration d��crivains talentueux est le produit d�un travail de longue haleine entrepris notamment par le vice-roi d��gypte, Mohamed Ali Pacha, qui exp�dia des missions en France (la premi�re �tait dirig�e par Rifa�a Tahtawi qui �crivit un ouvrage �voquant ce s�jour, De l�or parfum� au r�sum� de Paris) charg�es de d�celer les secrets du d�veloppement et de traduire le maximum de textes possibles. Il y cr�a un institut des langues en 1835. En Alg�rie, le verbe creux semble s��riger en r�gle de conduite. D�ailleurs, Mouloud Kassim Na�t Belkacem me disait quelques ann�es avant sa mort que de nombreux d�fenseurs de l�arabisation manquaient dramatiquement de culture et qu�ils faisaient de la langue arabe qu�ils ne ma�trisaient d�ailleurs pas un juteux fonds de commerce. Ces paroles d�sabus�es de Mouloud Kassim qui avait �t� � l��poque injustement attaqu� par un journaliste dans les colonnes d� El Moudjahid hebdomadaire (en arabe, organe du FLN) sur la question de l�arabisation (selon lui, l�article aurait �t� souffl� au journaliste par M. C. Messadia) montrent � quel point les responsables manquaient de conviction. Aujourd�hui, la question linguistique est l�otage d�enjeux et de luttes politiques particuliers. Evoquer le point de vue selon lequel le kabyle pourrait �tre transcrit en caract�res arabes ou enseign� uniquement dans les r�gions kabylophones, c�est s�attendre � de graves lev�es de boucliers, comme d�ailleurs parler, comme l�avait fait Mostefa Lacheraf, de bilinguisme ou de trilinguisme, c�est conna�tre les dures invectives teint�es de contrev�rit�s. Comme la langue est un substrat sociologique et un moyen de communication fortement marqu� par les jeux historiques et id�ologiques, ne serait-il pas possible d�engager des proc�dures r�f�rendaires ?