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Derrière le voile, le politique
LA QUESTION DES LANGUES
Publié dans L'Expression le 19 - 04 - 2007

Quand Rachid Boudjedra avait décidé d'écrire en arabe, il avait, on s'en souvient, dérangé de nombreuses personnes des deux camps, c'est-à-dire ceux qui s'acharnent à arabiser ici et maintenant et ceux qui rejettent férocement l'«arabisation».
Tout le monde est de la partie quand il s'agit de parler de langues sauf les linguistes qui se retrouvent marginalisés par les «politiques» et des associations satellites, chacune se prenant pour l'espace tutélaire de cet instrument quelque peu malmené. La question des langues est souvent occultée pour ne retenir que ces deux néologismes qui dominent ces dernières décennies le terrain culturel et politique: arabisation et amazighité. La dimension sociologique est carrément exclue. D'ailleurs, tous les lieux du savoir ne semblent pas retenir l'attention de ces contradicteurs d'un nouveau type. Linguistes, historiens, sociologues, psychologues et tous les chercheurs pouvant animer un débat sérieux et apporter une information crédible sont marginalisés, souvent installés dans une place inconfortable pour ne pas être tombés dans une sorte de tragique transe favorisant les préjugés idéologiques et politiques.
La polémique est fondamentalement d'ordre idéologique. Poser le «débat» dans ces conditions avec une telle violence et en usant en plus d'ultimatums, c'est provoquer quelque part des césures et des ruptures préjudiciables à l'équilibre de la société. La revendication «amazighe» comme celle relative à l'«arabisation» sous-tendent souvent des projets idéologiques qui ne sont nullement opposés, mais se rencontrent en fin de compte, du moins dans le sens de l'exclusion. C'est vrai également que des forces intermédiaires latentes s'imposent dans la société et constituent en quelque sorte une zone-tampon qui empêche toute confrontation sérieuse. Quand Ouyahia, alors chef du gouvernement, avait pris la décision de précipiter l'arabisation, de nombreux arabisants ont commencé à suspecter sérieusement les décideurs de vouloir saborder l'avenir de l'arabisation, en employant ce type de procédés faisant penser à l'expérience marocaine. Ainsi, une question qui aurait dû être calmement posée se retrouve au centre de passions et de pratiques quelque peu dangereuses.
Un débat mal posé
La polémique est, certes, idéologique mais est parfois sous-tendue par des intérêts immédiats. Ainsi, n'avons-nous pas entendu dans le passé un écrivain (en arabe), en l'occurrence Tahar Ouettar, faire publiquement l'éloge des francophones vers les années 70-80 et s'attaquer outrageusement aux «arabisants» les traitant de tous les noms; il change de fusil d'épaule dans les années 90 et se met à pourfendre ceux qu'il adulait auparavant. Des journalistes de la presse de langue française faisaient de cet auteur le plus grand écrivain algérien; il eut fallu quelques déclarations déplaisantes pour qu'il se retrouve traité d'écrivaillon par ces mêmes plumes. Quand Rachid Boudjedra avait décidé d'écrire en arabe, il avait, on s'en souvient, dérangé de nombreuses personnes des deux camps, c'est-à-dire ceux qui s'acharnent à arabiser ici et maintenant et ceux qui rejettent férocement l' «arabisation». Même un journal, pourtant écrit en langue arabe, El Khabar, ne sort pas indemne des attaques des chantres de cette arabisation précipitée. Il est même considéré comme un quotidien «francophone bis». Quand Abdelaziz Bouteflika avait brisé un tabou en s'exprimant en langue française, les réactions ne s'étaient pas fait attendre et les deux camps, souvent les partis politiques, s'étaient mis à jaser, les uns soutenant le Président, d'autres le fustigeant.
Cette manière de voir et ces grandes bastonnades se comprennent uniquement à l'orée de la lecture historique. C'est à travers l'histoire de la marginalisation de l'arabe par la colonisation, les défaites successives des Numides, l'«hypothèque originelle» du début du siècle qui provoqua une profonde césure dans la société, les hésitations et les discours populistes du mouvement national et les politiques ambiguës des différents gouvernements de l'après-indépendance, qu'on peut analyser cette situation. Il est évident d'ajouter les relations entretenues par des dirigeants politiques et des champions de cette «arabisation- prêt-à-porter» avec une tendance politique qui sévit mal au Machrek, le baâthisme, version irakienne. Le grand cinéaste égyptien, Salah Abou Seif, me disait en 1988 que le discours d'un grand nombre d'auteurs, d'universitaires et de dirigeants politiques algériens lui rappelait le discours arabiste intégriste d'une partie de l'intelligentsia proche-orientale souvent en porte-à faux avec les nouvelles réalités. Cette position se retrouve également prise en charge par des écrivains aussi célèbres que San'Allah Ibrahim, Jamal el Ghittany, Youssef Idriss et Najib Mahfouz, notamment qui estiment que ce discours «puriste» et essentialiste (il fait penser à la conception dépassée et fort rétrograde de Rivarol en France), est l'expression d'une pauvreté intellectuelle qui ne sert nullement les intérêts de cette langue momifiée et rigidifiée à l'extrême. Il ne sert à rien de vouloir l'imposer, à tout prix, à toute une société sans interroger sa place réelle dans cet univers, d'autant plus qu'il serait vain de «singer» sans cesse une France que pourtant, ils ne cessent pas d'attaquer et de fustiger dans tous leurs communiqués.
Le Baath est paradoxalement issu, comme l'a bien montré son initiateur, Aflaq, des acquis de la culture française et de l'Etat National. L'arabisme est, avant tout, un discours produit grâce aux apports européens. Une sérieuse lecture de l'histoire des relations du Machrek avec l'Occident nous enseignera toutes ces vérités. Donc, le francophonisme (au sens idéologique) est pris en charge par les arabistes qui, extrêmement séduits par ce discours, vont adopter la culture européenne sans prendre le soin de l'interroger. Ce serait instructif de lire les textes de Rifa'a Tahtawi (Takhlis el ibriz fi talkhis bariz), de Ali Moubarak, de Mohamed Abdou...
La question ne se pose nullement en termes de puissance de la langue arabe ou de la langue française, mais investit également et sûrement l'espace idéologique. Toute langue est lieu et enjeu de luttes. Ce n'est pas uniquement la langue arabe qui a ses zombies. En France, par exemple, ce n'est que vers le début des années soixante que Jules Vallès ne fut reconnu comme tel et introduit dans les manuels scolaires. De nombreux dirigeants algériens pensent encore qu'on peut changer les choses, à force de décrets et de lois. La société est beaucoup plus complexe. La même remarque est valable pour les défenseurs zélés d'un certain intégrisme tamazight (plusieurs variantes linguistiques) en Algérie, au Maroc et en Libye. Les uns et les autres citent l'exemple de l'hébreu en Israël, un pays développé par rapport aux Arabes, qui utilise pour ses grands travaux l'anglais. En Egypte, la médecine et d'autres disciplines scientifiques sont enseignées en anglais. Tout le monde sait qu'en «arabisant» aussi massivement et aussi rapidement les sciences sociales et humaines à l'université, le niveau de la recherche a dramatiquement baissé, faute d'une documentation sérieuse (trop peu de travaux sont traduits dans les pays arabes) et de la non-maîtrise des langues européennes. Le savoir scientifique a pour gîte l'Occident. C'est une vérité de Lapalisse.
La langue ne peut pas vivre en autarcie, c'est-à-dire en dehors du tout-social. Les jérémiades, les lamentations, le retour aux sources ne sont que des réalités factices d'un présent marqué par le sous-développement et la mal-vie. La langue arabe fut longtemps sujette à de multiples manipulations et à de sérieuses luttes idéologiques. Qui ne connaît pas les grandes joutes entre Ahl el Koufa et Ahl el Basra, les travaux de Jorjani ou de Sibaweih (tous les deux ne sont pas des Arabes) et cet incessant combat en Egypte depuis la Nahda pour promouvoir un outil linguistique libéré des scories du conservatisme aberrant et arrogant. Le grand penseur, Malek Bennabi, avait évoqué cette question dans son ouvrage, Vocation de l'Islam (Le Seuil, 1954). Il parlait ainsi de l'usage fait à la langue arabe par les élites conservatrices: «Il en résulte que la langue arabe divinisée, ne peut plus évoluer, et l'adoration de ses adeptes rend intangible une syntaxe irrévocablement réduite à une quinzaine de formes, au point qu'il est devenu sacrilège de constituer une forme nouvelle au moyen de préfixes appropriés-ce qui serait imparfaitement possible dans l'esprit même de cette langue».
Déjà, la langue arabe est sujette à un usage des plus outranciers excluant toute éventuelle réforme ou évolution. Cette manière de faire commence, malgré tout, à perdre du terrain avec l'apparition de journaux comme El Khabar, El Fedjr ou El Youm, constitués essentiellement de journalistes bilingues et de cadres compétents maîtrisant les deux langues. Contrairement au discours développé par Mostéfa Lacheraf, de nombreux algériens sont à l'aise dans les deux idiomes. Lors du duel Lacheraf- Chériet, représentants de deux tendances du pouvoir, on eut le sentiment d'assister à un combat périphérique. La lecture des textes de cette période (1977) laissait entrevoir des luttes futures d'intérêts et de grandes joutes entre les deux groupes. Ce qui advint juste après les événements de 1988 où les conflits devinrent publics.
Jusqu'à présent, aucun débat sérieux prenant en considération les pesanteurs sociologiques et les pratiques quotidiennes n'a eu lieu. Les combats étaient d'ordre idéologique et étaient l'expression de partis pris manifestes. Ainsi, ignorait-on les réalités complexes de l'univers culturel algérien marqué par la diversité linguistique. La situation linguistique est hétérogène. Les quatre idiomes (tamazight dans toutes ses variantes, l'arabe «classique», l'arabe «populaire» et le français) en présence dans le champ socioculturel s'affrontent, se heurtent en vue d'investir le pouvoir symbolique.
Les grandes manifestations de 1980 (grèves des étudiants «arabisants» suivies, quelque temps après, par le mouvement de revendication des «cultures populaires» dominé par les étudiants à dominante kabyle des universités d'Alger et de Tizi Ouzou) mirent sérieusement en relief la complexité de la question linguistique traversée par les querelles politiques qui agitaient les cercles du pouvoir et des pans de la société. Au nom d'une arabisation marquée par la précipitation, les langues et les cultures populaires étaient souvent dévalorisées, voire interdites. La réponse à cette réalité était illustrée par un discours extrémiste qui rejetait l'arabe et la culture arabe.
La parole aux extrémismes
Deux extrémismes se querellaient et se distribuaient des anathèmes comme éléments représentatifs d'un débat biaisé et espace d'un lourd héritage d'indécision et de manque de courage. 1980 marquait un important tournant dans la manifestation de la question linguistique. Tout revenait sur le tapis: le conflit de 1949 et les différentes chartes (Soummam, Tripoli, Alger et les deux versions de la Charte nationale) caractérisées par de dramatiques ambiguïtés et de profondes contradictions. Les rédacteurs de ces textes évitaient soigneusement de poser le problème ou d'en déterminer certains paramètres. Ainsi, en mettant en forme des manifestes syncrétiques, on préparait les explosions futures. On s'amusait pendant ce temps à conjuguer la question au futur antérieur.
L'absence d'une politique linguistique transparente provoque de grands conflits et de profondes tensions qui opposent, pour reprendre un sociolinguiste, deux pôles, «celui d'une singularité déconnectée et celui d'une unité peu respectueuse des différences». On assista, donc, au début des années 80, à un violent antagonisme entre les deux camps: celui représenté par les champions du particularisme et les adeptes du rejet des cultures populaires et celui incarné par les adeptes de l'adoption d'une langue unique, supranationale, l'arabe «littéraire». Le maître-mot de ces deux tendances est l'exclusion. Mostéfa Lacheraf mettait dos à dos les deux tendances dans un article publié dans Algérie-Actualité (14 mai 1981, n°813) et fustigeait les uns et les autres. La presse prenait position pour l'une ou l'autre tendance qui travaillaient le trottoir politique. L'invective était souvent l'arme fétiche de ces nouveaux «tirailleurs». Mouloud Mammeri fut sérieusement attaqué par le rédacteur en chef d'El Moudjahid de l'époque, Kamel Belkacem. Cette tradition du lynchage médiatique est toujours malheureusement présente. Le débat sérieux est encore loin. Les intégrismes linguistiques font fonction de fonds de commerce porteurs et altèrent la communication. La violence verbale et l'enfermement ethnique peuvent engendrer de trop profondes fissures dans la société qu'il serait impossible de régler.


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