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Les agriculteurs de Tizi-Ouzou appréhendent des lendemains sombres
Après le passage des exploitations agricoles à la concession
Publié dans La Tribune le 03 - 10 - 2011

De notre correspondant à Tizi Ouzou
Lakhdar Siad
Les modalités pratiques de la mise en œuvre de la loi N°10-03 du 15 août 2010 en rapport avec l'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'état et qui s'articule essentiellement sur la conversion du droit de jouissance perpétuelle en droit de concession sur une durée de 40 ans renouvelable, a été l'occasion pour la majorité des agriculteurs de la wilaya de Tizi-Ouzou de «découvrir» la réalité de cette loi. Comme cette loi concerne presque exclusivement les agriculteurs intégrés dans les Exploitations agricoles collectives (EAC) et les Exploitations agricoles individuelles (EAI), les réactions sont venues de cette catégorie d'exploitants dont on n'aborde les soucis qu'à chaque vote de nouveaux textes les régissant. Sur le terrain, la loi est appréhendée par les agriculteurs qui, en plus d'être jusqu'à présent peu ou mal sensibilisés sur les nouvelles dispositions de concession, ne trouvent pas de suite favorable à leurs doléances et aux problèmes qui les bloquent ou les privent carrément de cultiver paisiblement leurs terres. «Les problèmes qui nous empoisonnent la vie ne sont pas solutionnés par la nouvelle loi qui traite de la concession au lieu de la jouissance alors que les chefs et les délégations agricoles savent très bien quelles sont les contraintes qui empêchent le fellah de travailler normalement sa terre et de faire de bonnes récoltes», affirme Hamid, la cinquantaine, un membre d'une EAC, invité cette semaine par la délégation agricole de sa circonscription à déposer le dossier administratif pour le passage au mode de concession.
De prime abord, les agriculteurs ont, en effet, peur des conséquences financières qu'engendrera la mise en œuvre des dispositions de la loi N°10-03 du 15 août 2010 sur l'avenir des terres et de leur position au sein des EAC et EAI. «On parle de taxes allant de 3 000 à 50 000 dinars l'hectare par an, qui seront appliquées dès l'entrée en vigueur de cette loi ; tout sera taxé : les arbres fruitiers, le patrimoine des exploitations agricoles, les cultures, les ventes ; pour les cultures, on parle de taxes qui varient entre quinze mille et cinquante mille dinars ; ces taxes seront imposées en fonction de la situation du lot de terre, s'il est irrigué ou pas par exemple ; on ignore pour le moment la portée de ces dispositions, on attend qu'on nous convoque pour plus d'informations, pour pouvoir poser nos questions ; mais si ça se confirmait, je pense que ce serait une façon de pousser les fellahs à abandonner les EAC et les EAI au profit de l'office des terres agricoles qui se chargera de trouver un bon acheteur, celui qui leur convient, sans passer par la justice», s'inquiète-t-il. Surtout que, faute de payement des taxes et redevances, la mise à l'écart du propriétaire de sa concession après trois mises en demeure est prévue par la nouvelle loi, selon Hamid qui se réfère aux propos du chef de la délégation de sa daïra.
Saïd, un membre d'une autre EAC de la même commune que Hamid, est, lui, «pressé» de voir le chef de la délégation agricole pour lui «ressasser les vrais problèmes de l'agriculture en Kabylie». Comme il s'est spécialisé dans les céréales, Saïd préfère énumérer les «blocages» que rencontre la culture des céréales. «La terre de la région ne donne pas grand chose si elle n'est pas nourrie d'engrais. Et savez-vous combien coûte un quintal d'engrais ? 7 000 dinars en moyenne et l'azote atteint 10 000 dinars, sachant qu'avec un quintal de ce produit on ne pourrait pas traiter plus d'un hectare. Le désherbant coûte jusqu'à 15 000 dinars le litre pour un hectare aussi, sans compter les frais du labour, les caprices de la météo. Additionnez toutes ces difficultés et vous verrez combien il est impossible pour un fellah de nos jours de travailler convenablement son lopin de terre, se nourrir même et subvenir aux besoins de sa famille ; alors comment aborder la question de l'autosuffisance alimentaire dans ce cas ? Ce ne sont que des slogans de la part de nos responsables. Pourquoi par exemple centraliser et bureaucratiser la vente de l'azote sous prétexte de la situation sécuritaire ?», s'emporte-t-il. La qualité et les prix des semences sont aussi mis en cause. «Le prix du quintal de semences de céréales de qualité inférieure est d'environ 500 DA et à la récolte la CCLS, (organisme public spécialisé dans le domaine) nous l'achète à 400 DA, alors qu'un quintal de blé importé en devises revient à peu près à 12 000 dinars. Où est l'encouragement et où peut-on trouver la motivation ?» Il soutient que la plupart des anciens producteurs de céréales de sa région du Sébaou ont laissé tomber cette filière. «Logiquement, l'Etat, au lieu d'instaurer des taxes sur nos terres, nos récoltes et notre patrimoine, doit au contraire nous aider par des subventions conséquentes. Il s'agit de l'agriculture, de la dépendance alimentaire vis-à-vis des pays étrangers, c'est grave d'importer ce qu'on peut produire ici, chez nous, à moindre prix ; si l'Etat donnait moins de la moitié du prix du quintal de blé importé aux vrais fellahs, l'Algérie n'importerait plus de céréales avec ce volume et cette cadence», regrette-t-il.
Mais qui a dit que l'Algérie ne voulait pas importer son pain de l'étranger ?


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