Ghardaïa, ville millénaire, chef-d'œuvre d'une architecture sans architectes et d'un urbanisme sans urbanistes, surtout, prodige hydraulique sans hydrauliciens, a été foudroyée par le déluge. La ville de Cheikh Baba Ould Jema et de Daya Lalla Sahla, merveilleuse pentapole de la vallée du Mzab, a été foudroyée par le sort. Victime du débordement dévastateur de l'oued éponyme qui traverse le centre-ville, la «Mecque des architectes» semble avoir été affligée par la «malédiction de l'oued», sorte de mektoub météorologique qui a frappé une cité pourtant conçue pour affronter les éléments. Ghardaïa, qui a inspiré d'illustres architectes comme Ravereau, Franck-Lloyd, Wright, Pouillon, Ricardo Bofill et Le Corbusier qui ont célébré le génie de l'ingénierie esthétique des Mozabites, n'a pas résisté, ou si peu, à l'impétuosité de l'oued Mzab. Gonflé, il est vrai, par les crues des oueds périphériques de Metlili, Berriane et Guérara, l'oued Mzab, tel un volcan en sommeil, a déferlé sur la cité radieuse comme un mini-tsunami. Et, pour une fois, s'il fallait se féliciter de l'entreprise de secours et de gestion de crise mise en œuvre, marquée, une fois n'est pas coutume, par une réactivité et un sens de la coordination inédits, on ne peut en revanche que s'interroger sur les parts de responsabilité qui reviennent à la xfatalité et aux hommes. La faute à pas de chance ? Pas si sûr. La faute aux hommes ? Un peu. Assurément. Nos concitoyens mozabites ne sont vraiment pas vernis : ces dernières années, de grands projets hydrauliques devaient pourtant leur faciliter un peu plus la vie et les préserver des sautes d'humeur de l'oued imprévisible. Il s'agit notamment d'un projet de construction d'une station de lagunage d'une capacité de 46 000 m3/jour, prévue en amont d'El Ateuf, le plus ancien des ksour du Mzab. Il s'agit d'un projet intégré d'assainissement et de protection contre les déferlements de l'oued, qui doit être achevé à l'horizon 2030. En outre, dans le cadre du projet de transfert des eaux souterraines d'In Salah vers Tamanrasset, la vallée du M'zab bénéficierait d'un ovoïde et d'un barrage lui permettant de se prémunir contre ses crues. Malchance mise à part, l'imprévoyance des hommes et leur incapacité à se projeter dans le temps et dans l'espace sont ainsi mises en cause. Sans doute aurait-il fallu à ceux qui sont payés pour être imaginatifs et prévoyants s'inspirer de l'histoire et de l'architecture du Mzab. Particulièrement de la gestion mozabite du territoire, respectueuse du contexte naturel et des cultures locales. Au point d'accéder à la reconnaissance universelle avec le classement du Mzab comme patrimoine culturel de l'humanité, en 1982. Comme il n'en a rien été de tout cela, on a décelé à Ghardaïa le double poids du destin et de l'incurie humaine. Et on observe souvent les mêmes tares, là où des oueds sillonnent le territoire et scellent parfois le destin des innocents dont les habitations sont dans la proximité fatale. Pour mémoire, il y a eu déjà Bab El Oued, en 2001. Il y a eu, cette fois-ci, Ghardaïa, mais aussi, à une échelle moindre, Tlemcen et Djelfa. Là aussi, il y a eu la malédiction de l'oued, précisément celle des cours d'Ouzidan, d'Aamir et d'El Baz. Encore une fois, la main du destin mais aussi celle de l'homme qui ne peut pas ou qui ne veut pas vivre loin de son oued. N. K.