Tard dans la journée de vendredi dernier, troisième jour du procès de l'ex-chef de l'unité aérienne de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), Oultache Chouaib, le présumé assassin de Ali Tounsi (l'ex-chef de la Sûreté nationale) et principal accusé dans une affaire de malversation en 2007 au profit de la société Algerian Business Multimedia (ABM), le procureur de la République a, au terme de son réquisitoire devant le Tribunal correctionnel de première instance de Sidi M'hamed, demandé, contre les accusés, la peine maximale requise pour le délit, selon l'article 26 de la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. La peine requise par le procureur de la République est de dix ans de prison ferme assortie d'une amende d'un million de dinars à l'encontre de l'ensemble des vingt-cinq inculpés dans cette affaire. Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public s'est limité à rappeler les faits sur la base desquels ont été inculpés les mis en cause. Il a mis en exergue la relation de famille entre Oultache Chouaib et Sator, le directeur adjoint d'ABM, pour expliquer le «favoritisme» dont a bénéficié cette société. Il expliquera ensuite le rôle de chaque accusé, membre de la Commission des marchés ou employé de la société ABM, dans ce qu'il qualifiera d'action de dilapidation de l'argent public. Le procureur de la République détaillera la manière avec laquelle les accusés, chacun selon son poste, ont procédé pour permettre à la société, dont l'un des associés n'est autre que le gendre d'Oultache, de bénéficier des marchés de la DGSN. Il affirmera ainsi que la société ABM est parmi les six distributeurs du constructeur qui a remporté l'un des cinq marchés mis en cause dans cette affaire. Elle ne bénéficie donc pas de l'exclusivité. Il soutiendra, par ailleurs, qu'Oultache Chouaib avait pris la présidence de la Commission chargée de la modernisation de la DGSN alors qu'une décision n°3109 avait désigné un autre responsable, ajoutant que les membres désignés pour siéger dans la Commission n'étaient pas ceux qui émargeaient dans les PV de réunion. Cette même Commission n'était pas habilitée, selon le procureur de la République, à préparer ou modifier un cahier des charges alors que, selon les déclarations d'un de ses membres devant le juge d'instruction, il a été procédé à la préparation d'une fiche technique sur la base d'une ancienne fiche technique d'un marché non fructueux en se référant aux sites Internet de deux constructeurs dont ABM est l'un des distributeurs en Algérie, «ce qui explique l'exclusion des autres soumissionnaires et le fait de se retrouver avec une seule soumission répondant au cahier des charges». Sur la base de toutes ces preuves, le procureur de la République requiert la peine maximale de dix ans de prison ferme. Prenant la parole, la défense des accusés, composée d'une quarantaine d'avocats, tentera de détruire les arguments du représentant du ministère public et plaidera l'acquittement. Me Bouchachi se félicitera ainsi de la position de l'actuel directeur général de la Sûreté nationale, M. Hamel, pour qui «il n y a pas d'affaire de corruption sinon comment expliquer sa décision de ne pas suspendre les accusés. Mieux, il a promu la majorité d'entre eux». Me Ouali Nacera abondera dans le même sens en déclarant : «L'un de mes clients a été envoyé la semaine dernière en Italie pour négocier un important contrat au nom de la DGSN et il est revenu pour être jugé aujourd'hui. Ce qui n'est pas logique. Tout ce qu'on cherche, c'est perturber nos cadres dans l'accomplissement de leur tâche.» Un autre avocat s'interrogera sur la raison qui aurait poussé Oultache à ne faire bénéficier son gendre que du marché le moins important sur le plan financier : «Ce n'est pas logique. S'il voulait faire du favoritisme, il aurait pu lui donner le plus gros marché.» Lors des plaidoiries, c'est la remarque de Me Ouali Nacéra qui semble avoir le plus pesé pour la magistrate. En effet, cette dernière plaidant le droit, reviendra sur l'arrêt de renvoi «en page 45, le juge d'instruction reconnaît clairement le respect des procédures suivies dans l'octroi des marchés. Il dit distinctement que le Code des marchés publics, avant sa modification en 2010, ne prévoyait pas la nullité d'un appel d'offres dans le cas où un seul soumissionnaire répondant au cahier des charges est retenu mais qu'habituellement dans les appels d'offres publics, notamment ceux de la DGSN, il était procédé à l'annonce de l'infructuosité de l'appel d'offres dans un cas pareil». Me Ouali enfoncera le clou lorsqu'elle s'adressera à la présidente de séance pour dire : «Le procureur de la République a actionné la justice pour les retards enregistrés dans les livraisons et le non paiement des pénalités accordées dans ce dossier. Les représentants des sociétés qui ont décroché d'autres marchés de la DGSN et qui ont bénéficié des mêmes faveurs que la société ABM se sont présentés devant vous pour témoigner et je m'interroge pour quelle raison le procureur a décidé de poursuivre une société et pas une autre pour les mêmes faits ?» Les avocats des autres inculpés se sont succédé à la barre, durant toute la journée d'hier, pour plaider l'innocence de leurs clients. Une fois les plaidoiries terminées, la date du verdict sera fixée par la magistrate. Pour rappel, vingt-cinq personnes, dont dix-neuf fonctionnaires de police, sont accusées dans cette affaire et doivent répondre des chefs d'inculpation de passation de marchés publics en violation de la législation, dilapidation de deniers publics et trafic d'influence. Selon l'ordonnance de renvoi, les faits concernent la passation de marchés «douteux» portant sur des équipements informatiques entre la Direction générale de la Sûreté nationale et la société ABM. Selon la même source, Oultache Chouaib a usé de son influence sur la Commission d'évaluation technique des offres, où il siégeait, pour qu'elle choisisse la société ABM dans laquelle son gendre est actionnaire et également directeur général adjoint. Trois cadres d'ABM, dont le gendre de Oultache, Toufik Sator, sont accusés dans cette affaire de «complicité de dilapidation de deniers publics». Six accusés sont en détention. À signaler, enfin, que Chouaib Oultache est accusé aussi dans l'affaire de l'assassinat le 25 février 2010 de l'ex-directeur général de la Sûreté nationale, Ali Tounsi. La date du procès de cette affaire n'a pas encore été fixée. H. Y.