Contrairement aux premières législatives pluralistes algériennes en 1991, l'élection de la Constituante tunisienne a drainé les foules. Aux environs de midi hier, le taux de participation aurait atteint 60%. Deux heures avant la clôture des bureaux de vote, la barre des 80% de participation a été dépassée de peu. La question est de savoir pour quels courants les Tunisiens se sont-ils mobilisés. Si les islamistes d'Ennahda n'auront pas la majorité absolue, ils auront néanmoins un poids important pour que les forces démocratiques, atomisées, qui seront représentées dans l'hémicycle, se serrent les coudes pour faire barrage à tout projet à consonance religieuse. Si le peuple tunisien a tiré les leçons de l'électorat algérien, dont cinq millions sur douze ont boudé les urnes, la mouvance démocratique tunisienne a fait la même erreur que celle des démocrates algériens en 1991. Les mauvaises langues disaient alors que les démocrates algériens n'avaient pas de base et n'avaient pas pignon sur rue. Pourtant, les résultats de l'opération électorale ont démontré que les islamistes algériens n'ont eu la majorité absolue dès le premier tour que grâce au mode électoral uninominal à deux tours, avec caution favorable à la liste la mieux placée, à l'abstention de près de 40% des électeurs et à l'éclatement des voix des courants nationalistes et démocratiques. Ce qui est étrange, c'est cette attitude suicidaire des partis qui se réclament de la démocratie, face à une première expérience électorale et où les adversaires d'un régime démocratique sont puissants et constituent une menace sérieuse, aussi bien sur le devenir politique de la nation que sur sa stabilité, dans un contexte international hostile aux options islamistes. L'expérience palestinienne est assez éloquente à ce propos, puisque la victoire du Hamas dans les législatives s'est transformée en échec de la cause de tout un peuple. Certes, les choix des peuples sont souverains, mais, dans le cas algérien de 1991, ce sont les partis démocratiques et nationalistes qui ont permis au FIS de rafler la majorité absolue dès le premier tour. Serait-ce le cas de la Tunisie aussi ? Difficile de répondre par l'affirmative, car l'électorat sans parti est plus important et c'est le choix de ce dernier qui déterminera l'issue de ce baptême d'une élection pluraliste. Les partis démocrates, qu'ils soient de gauche ou de droite libérale, n'ont pas réussi à constituer un front commun qui serait la force politique dominante dans la Constituante de demain, pour confectionner une loi cadre qui garantirait les libertés collectives et individuelles pour tous sans exclusive. Les démocrates tunisiens, tout autant que les démocrates algériens, risquent de rater l'occasion de ne pas être obligés de négocier la démocratie avec les islamistes, avec qui ils devront de toute façon composer et qui vont peser sur la nature du régime tunisien et qui ne manqueront pas de laisser leurs empreintes dans la Constitution de demain. A. G.