Par le biais d'une fausse procuration, des élites algériennes expriment leur crainte après avoir pris connaissance du choix des Tunisiens dans l'élection de l'Assemblée constituante. Ces élites annoncent d'ores et déjà un avenir sombre et surtout obscurantiste pour la Tunisie sous Ennahda. Il paraît même que le pays d'Abou El Kacem Echabi va changer de couleurs. Pourtant, la peur n'a jamais été un programme politique. Et elle ne le sera jamais. Bien au contraire, la peur s'installe là ou le politique fait cruellement défaut, comme c'est incontestablement de mise en Algérie. La différence se situe justement à ce niveau : les Tunisiens, vainqueurs et vaincus, islamistes comme laïcs, tiennent toujours - espérons que cela va durer longtemps encore - à évoluer sur le terrain de la politique. Avec ses règlements et ses sanctions. Ils ont la conviction que le grand danger est de s'éloigner des règles du jeu politique pour celui qui étouffe tout sens politique. Et c'est de bon augure pour la construction démocratique chez le pays voisin. A l'évidence, cette peur qu'expriment les Algériens envers l'avenir de leur voisin occulte mal leur gêne de voir les Tunisiens réussir là ou, eux, ils ont échoué. Un échec dont il est encore difficile d'en sortir, vingt ans plus tard, tant le mal accompli est énorme. Alors que des Tunisiens se déclarent satisfaits et fiers de pouvoir - enfin -s'exprimer librement, on retrouve des «politiques» algériens, qui croient se prononcer en connaisseurs de cause, se mettent à regretter le verdict des urnes. A telle enseigne qu'on reproche aux électeurs tunisiens d'avoir transformé la révolution du Jasmin en «péril vert». A tel point qu'on se met, de façon farfelue, à décréter l'avancée de l'islamisme dans le monde arabe. Naturellement repris par des canaux officiels promoteurs du statu quo, nos spécialistes-salons s'efforcent curieusement à ne pas s'adresser aux populations qui attendent des explications rationnelles et des ébauches de perspective. Mais nos «élites» préfèrent plutôt se parler entre elles quand elles ne cèdent pas à la tentation de parler au pouvoir en place. La différence entre les deux scénarios, séparés de 20 ans, peut éventuellement être expliquée par le profil des acteurs de la vie politique. Ceux de la Tunisie défendent, dans la divergence et le respect de l'autre, les règles du jeu politique. Ce n'est guère étonnant de voir ainsi les politiques tunisiens, islamistes et de gauche, tenir au respect du jeu électoral. C'est d'autant plus nécessaire pour un peuple qui sort de la dictature pour s'initier à la construction des institutions démocratiquement élues. A l'inverse, chez nous, des acteurs politiques ont œuvré pour que le processus démocratique quitte la sphère politique. Il est heureux donc de constater que les Tunisiens tirent profit, 20 ans plus tard, de l'expérience algérienne. Il est malheureux, par contre, de voir des «politiques» algériens agacés par une élection libre et transparente chez le voisin. A. Y.