La transition démocratique en Tunisie trouve manifestement beaucoup de difficultés à se concrétiser. Longtemps qualifiés par les Occidentaux, notamment pour des intérêts non encore révélés, de «rempart contre les islamistes», les résidus du régime Ben Ali se dressent décidément comme de néo-remparts contre la démocratisation du pays d'Abou El Kacem Echabi. Une semaine après la fuite de la famille Ben Ali, la Tunisie se cherche encore des institutions de transition de nature à lui permettre le passage tant espéré et fortement exprimé par la rue vers un Etat démocratique et de droit. Le scénario d'un gouvernement d'union nationale ne fait plus l'unanimité. Sa composante n'a duré que quelques heures. Reposant sur une ossature composée essentiellement d'anciennes figures du «benalisme», le gouvernement Ghannouchi a été décrié par la population même pour un règne de deux mois qui sera sanctionné par l'organisation d'élection présidentielle. La population tunisienne veut se débarrasser de toutes les figures et symboles de la dictature de Ben Ali. Ce message est très visible dans le pays depuis la proclamation du nouveau et néanmoins défunt gouvernement Ghannouchi. Dans un slogan d'une maturité politique indéniable, des manifestants tunisiens appellent le peuple «à une révolte contre les restes de la dictature». La détermination de la rue à faire disparaître tout ce qui symbolisait le pouvoir de Ben Ali est cependant contrariée par des figures politiques et autres militants. Ces parties estiment que le RCD a encore un rôle à jouer dans la transition en cours. Cette option est défendue par des militants des droits de l'Homme qui ne s'opposent pas au maintien des ministres RCD au gouvernement de transition. On leur attribue même de très bonnes qualités. Il paraît que «ce sont des technocrates qui se distinguent par leur intégrité et surtout par leur compétence, et qui ne sont pas mouillés dans des affaires de corruption». Ministre de quarante-huit heures issu de la puissante UGTT, le syndicaliste Hocine Dimassi défend la présence du RCD dans l'après-Ben Ali. Pour lui, «on ne peut pas l'exclure du gouvernement. Cela n'a pas de sens, mais il doit avoir une place proportionnelle à son poids». Il est ainsi loisible de constater qu'une partie de l'élite tunisienne se rapproche désormais plus du jeu des appareils que des revendications de la rue. Un constat qui donne toute la légitimité à cette inquiétude de plus en plus pesante de voir confisquée la révolution des Tunisiens, marquée par la mort de 100 personnes, selon un dernier bilan de l'ONU. Conscients d'avoir accompli le plus dur en chassant Ben Ali du pouvoir, les Tunisiens n'en sont pas moins convaincus qu'ils doivent être vigilants pour que leur victoire contre la tyrannie ne soit pas volée. Un peuple qui a vaincu la peur saura cependant qui accompagner pour déjouer toutes les manœuvres policières et les calculs visant à contourner la démocratisation du pays. A. Y.