L'épisode douloureux du détournement de l'avion des cinq chefs historiques du FLN, en date du 22 octobre 1956, revient ces derniers jours sur le devant de la scène médiatique. Le vol du DC-3 marocain, qui transportait Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Mostefa Lachref de Rabat à Tunis où ils étaient attendus pour une conférence maghrébine sur la question algérienne, a été, pour rappel, arraisonné par l'aviation coloniale pour l'obliger à atterrir à l'aéroport d'Alger. Un acte de piraterie, largement dénoncé en son temps, et qui s'est soldé par l'envoi des cinq personnalités en prison jusqu'à l'indépendance du pays en 1962. Le chroniqueur vedette d'El Djazira, Hassanein Hykel, en évoquant la probable complicité du prince héritier Hassan II dans cette affaire, a lancé un grand pavé dans la mare. Mécontentes, les autorités marocaines ont réagi instantanément à cet incident en fermant le bureau de la chaîne qatarie à Rabat. Les médias se sont naturellement saisis de ce dossier explosif qui intervient à un moment où les relations algéro-marocaines sont à leur plus bas niveau. Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette rocambolesque prise d'otages, qui avait déshonoré les forces d'occupation coloniale, il faut la situer dans son contexte historique et politique d'alors. En réalité, elle obéit fondamentalement à des dissensions franco-françaises sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la révolution algérienne du 1er Novembre 1954 qui gagnait rapidement du terrain à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Il y eut précédemment, faut-il le souligner, le succès retentissant du congrès de la Soummam et la brillante présence diplomatique algérienne aux assises tiers-mondistes de Bandoeng. Si les militaires français de l'époque comptaient exclusivement sur la répression sauvage pour en venir à bout, les politiques savaient, de leur côté, qu'il va falloir engager des négociations. L'historien Benjamin Stora rappelle à ce propos que des rencontres secrètes étaient en cours, à Belgrade et Rome, depuis juillet de la même année, entre les délégués du FLN (M'hamed Yazid et Abderrahmane Kiouane) et un représentant de la SFIO (Pierre Commun). «La SFIO pressait même le gouvernement de Guy Mollet à obtenir une trêve par l'entremise du sultan du Maroc, Mohamed V, et le président tunisien, Bourguiba», rapporte Stora dans son ouvrage Histoire de la guerre d'Algérie (1954/1962). Pour tuer ces contacts dans l'œuf, les ultras de la hiérarchie militaire et les irréductibles partisans de la terre brûlée opéreront leur sale coup et anéantirent le rapprochement qui se dessinait à peine entre les leaders du FLN et les deux Etats voisins. «Le but visé par l'armée française à travers ce détournement est d'empêcher la tenue de la conférence de Tunis. Une rencontre qui allait déboucher sur des conséquences irréversibles en faveur d'une solution autre que celle d'une guerre totale», explique Hocine Aït Ahmed, qui dément toute implication de la famille royale marocaine dans cette histoire. L'union des pays du Maghreb était, et demeure à ce jour, une question de poids qui dérangeait énormément les plans des sanguinaires comme Robert Lacoste. Force est de constater aujourd'hui que l'ancienne puissance occupante reste fidèle à cette ligne consistant à diviser pour régner. Les obstacles dressés ouvertement par la France, d'aujourd'hui et d'hier, devant le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination étouffe indéfiniment ce rêve de l'unité maghrébine. Une telle union est évidemment de nature à réduire considérablement son influence malveillante dans la région. Pour enfoncer davantage le clou, le pays de Marianne élabore d'autres plans de substitution où il s'aménage un rôle de premier ordre. Voilà peut-être l'unique leçon qu'il convient de tirer de cette scabreuse histoire du DC-3 marocain. K. A.