Photo : S. Zoheïr De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar Véritable phénomène, l'art de la « débrouillardise » est visible à tous les coins de rue en Algérie. Sur les trottoirs, à l'intérieur même des placettes publiques, à l'entrée et à la sortie des agglomérations, sur les bas-côtés des grands axes routiers, on trouve partout des gens qui proposent de «bonnes affaires». De bons prix pour des produits douteux. L'alimentaire, l'agricole, la lingerie, la parfumerie, l'électronique, les cosmétiques, le tabac, les fournitures scolaires ou la maroquinerie, aucun segment n'échappe à ce marché noir qui étend ses tentacules à toutes les villes et à tous les villages. C'est devenu, au fil des années, une activité ordinaire comme une autre, et chacun semble avoir trouvé un créneau pour faire tranquillement son «business» à l'abri du regard «indiscret» du fisc. Contrairement à une croyance largement répandue, ce ne sont pas nécessairement des chômeurs qui recourent à ce système parallèle. On y trouve des salariés qui emploient leurs gosses durant les périodes de vacances, des receleurs professionnels ou des revendeurs qui ont choisi ce créneau pour «prospérer» rapidement. Victimes directes de ce bazar à ciel ouvert, les commerçants légaux dénoncent depuis longtemps cette arnaque, et les services de l'Etat semblent impuissants devant l'ampleur du fléau. A Béjaïa, les marchands affiliés à l'UGCAA (Union générale des commerçants et artisans algériens) ont déjà à leur actif plusieurs actions de protestation. Grèves, marches et lettres de protestation, le syndicat varient les formes et ne lâche pas la pression sur les pouvoirs publics. Il réitère inlassablement son cri de ralliement : «Halte à la paupérisation des commerçants.» En plus du «marché noir», l'UGCAA voit aussi d'un mauvais œil la prolifération des foires et autres quinzaines commerciales qui se transforment en espaces de vente promotionnelle. Rien qu'au chef-lieu de wilaya, on dénombre au moins trois marchés aux puces improvisés quasi quotidiennement : le long de la route menant à la gare routière interurbaine de l'arrière-port, aux abords de la mosquée Ben Badis au quartier Lekhmis, et, occasionnellement, au marché hebdomadaire appelé l'Edimco à proximité du campus universitaire de Tharga Ouzammour. On y trouve toutes sortes de marchandises selon les saisons. Des parapluies, des téléphones portables, des radios-réveils, des vêtements, des chaussures, des sacs, des jouets, des fournitures scolaires, de la friperie, des CD audio et vidéo. Il y a aussi des produits alimentaires comme les biscuits, le chocolat ou les fruits frais. Des herboristes amateurs, des vendeurs de tabac à chiquer traditionnel, des mendiants et des pickpockets s'y installent aussi. Tout ce beau monde joue naturellement à cache-cache avec la police. Mais aussitôt la patrouille repartie, les étalages se dressent de nouveau et le souk repart. Dans les 52 communes que compte la wilaya, on trouve partout ce genre de «petits boulots» qui échappent au contrôle officiel. Récemment, les commerçants d'El Kseur ont observé une grève pour réclamer «l'éradication du commerce illicite qui exerce une concurrence illégale», est-il écrit en tête d'une longue liste de revendications remise à la mairie. Les mêmes préoccupations sont soulevées dans les grands centres urbains comme Akbou, Tazmalt ou Sidi Aïch. Mais les APC n'ont, souvent, pas les moyens nécessaires pour lutter efficacement contre ce trabendo qui fait figure d'activité tolérée depuis la fin des années 1980. Il se trouve même des industriels sérieusement lésés par ce secteur parallèle qui constitue un véritable relais pour les contrefacteurs. «Le marché informel pose un sérieux problème. On y retrouve des produits d'importation visiblement identiques aux produits locaux. La loi doit sévir contre ce genre de pratique», se plaint un fabricant de détergents établi dans la wilaya de Blida. La direction de la concurrence et des prix (DCP), dont les effectifs opérationnels sont nettement insuffisants, n'a presque aucune prise sur le phénomène. Le projet de 100 locaux par commune, initié par le gouvernement dans le but de régulariser ces commerçants, piétine à cause de la rareté du foncier et des lenteurs bureaucratiques. Ce dossier, sensible et dangereux à la fois, mérite toute l'attention des autorités locales et centrales.