Photo : Sahel Par Hassen Gherab «Nous aimerions bien travailler pour une rentrée littéraire, prospecter de nouveaux talents, présenter des “révélations” -ce que du reste nous essayons de faire malgré les risques que cela induit-, mais nous ne pouvons tout miser sur une date et mettre tous nos œufs dans un même panier qui n'existe pas en fait. Et c'est l'avis de la majorité des maisons d'édition. Aucun éditeur digne de ce nom ne peut s'aventurer à travailler pour une rentrée littéraire qui n'existe pas, a fortiori un éditeur qui se soucie uniquement de rentabilité, un commerçant quoi. Car le tout n'est pas de préparer une fournée de livres pour alimenter une rentrée littéraire, faudrait-il encore les vendre…» C'est là la réponse, chargée d'amertume, d'un responsable d'une grande maison d'édition à qui nous avions demandé pourquoi les maisons d'édition algériennes ne faisaient rien pour que nous ayons une rentrée littéraire. Il est vrai qu'aucune maison d'édition, quelles que soient son importance et la richesse de son catalogue, ne peut se réserver pour une rentrée littéraire parce qu'il n'y a pas un lectorat conséquent qui le lui permette. Aussi les éditeurs sont-ils obligés de cibler un lectorat, donc de travailler avec des auteurs déjà connus, des valeurs sûres, même si certains s'autorisent de temps en temps un coup de poker, car c'en est bel et bien un, avec un illustre inconnu. Le fait de voir de jeunes écrivains publier leurs premiers livres à compte d'auteur et courir les libraires pour les placer en dépôt-vente est en soi un indicateur de la réticence des maisons d'édition à prendre sous leur aile de jeunes auteurs inconnus. Et pour cause ! On peut désapprouver cet excès de prudence de la part des éditeurs qui disqualifie les jeunes auteurs mais, à considérer la situation plus que déplorable du livre et l'inconsistance du lectorat, il se justifie. Publier un livre qui ne se vendra pas ou si peu ne joue en faveur ni de l'éditeur ni de l'auteur. Et pour que les livres se vendent, il faut d'abord qu'il y ait des lecteurs et qu'ensuite leurs prix soient abordables. En quatre phrases, notre interlocuteur a en fait résumé la problématique de l'édition en Algérie, du livre et de sa socialisation, qui passe par la généralisation de la lecture publique. Dès lors, on comprend aisément la convergence de tous les efforts éditoriaux vers le Salon international du livre d'Alger (SILA) qui apparaît comme un avatar de la rentrée littéraire. Mais à voir les types d'ouvrages dominant les ventes du SILA, on doute de l'opportunité d'avoir une rentrée littéraire dans une société d'où le livre est exclu. Il s'agira donc de redonner au livre sa place à l'école, à la maison et dans la vie quotidienne avant de songer à organiser le monde de l'édition pour avoir une rentrée littéraire qui, en fait, n'a pas besoin d'être créée. Car elle saura s'imposer d'elle-même, quand il y aura des lecteurs qui s'arracheront les livres. Dès lors, les maisons d'édition se battront pour s'arracher des parts de marché et les places des comptoirs des librairies… C'est là que le revers de la médaille peut se manifester, dans la concurrence éditoriale mordante qui produira une inflation de livres, de la quantité au détriment de la qualité, de l'art d'écrire…