Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l'écrit et celui qui le lit. Les dizaines d'Algérois, qui ont organisé un récent «commando de lecture» dans la flore luxuriante du Jardin d'Essai, ont fait résonner d'une douce musique cette sentence du psychosociologue Jacques Salomé, auteur d'En amour, l'avenir vient de loin. Ce fut, en y observant les images postées sur le Web, un jour de lumières. N'est-ce pas Victor Hugo qui disait que «la lumière est dans le livre ?» Alors, en écho livresque à l'auteur des Quatre vents de l'esprit, ce commando a «ouvert le livre tout grand» et «l'a laissé rayonner». Dieu du livre, qu'ils étaient beaux ces femmes et ces hommes, de tous âges, de touts habits et de tout acabit, avec leurs livres ouverts ! Et à voir ce détachement de bouquineurs, là, sur des marches d'escaliers, à livres ouverts, ont s'est dit comme Stéphane Mallarmé que «le monde est fait pour aboutir à un beau livre». Et, à la suite de Marcel Proust, encore plus convaincus que «les plats se lisent (et que) les livres se mangent». Ce commando, qui avait pour devise «un peuple qui lit ne peut être affamé ni asservi», veut donner faim à lire. Alors, des livres, des ouvrages et encore plus de bouquins, il encourageait à en demander et nous, derrière lui, gourmands jamais rassasiés, on en redemande ! Un commando qui organise un raid de lecture, qui lit pour inciter à lire au temps de l'Internet, du chat sur la Toile, du tweet et du facebooking, c'est tout un symbole. La symbolique est d'autant plus profonde que l'opération bouquiniste a eu lieu dans la proximité du grand temple du livre qu'est la Bibliothèque nationale. Elle est d'autant plus réjouissante qu'une gente dame du livre, libraire de son état précaire, a par ailleurs sonné sur le Net une réconfortante charge contre «la chawarmisation des librairies». Cette dévouée aux bouquins souhaite mobiliser, au-delà des amis du livre, une guerre sainte contre la transformation, hélas fréquente, de librairies en sanctuaires de la malbouffe algérienne. Son cri de guerre, qui est un cri du cœur, rappelle aux consciences assoupies que le mauvais cholestérol remplace, de plus en plus, les bons mots des livres. Car il y a péril en la demeure : la chawarma cholestérolémique et la pizza lipidique «bouffent» le livre, comme ce fut le cas, entre autres, du «Mille-feuille», naguère charmante librairie du centre d'Alger. Mais tant qu'il y a des libraires indignés et des djounouds du livre, Gutenberg fera toujours bonne impression à Alger, même si le livre n'y a pas toujours bonne presse ! Mais c'est déjà une très bonne nouvelle. Une nouvelle, tout aussi lumineuse est venue des Aurès. Là-bas, à l'ombre d'Imedghassen, le multimillénaire tombeau des rois berbères, des amis de ce monument en péril, ont fait le joli pari d'éduquer à l'esthétique du beau le regard des enfants. Ces glorieux anonymes, amis du bien patrimonial, ont offerts 1 800 appareils photos jetables à des mouflets pas encore pubères. Ils leur ont demandé de traquer à travers le plateau des Aurès, musée à ciel ouvert, tout ce qui serait digne de relever d'un patrimoine à défendre. Ce commando du foyer optique a pris, comme autant de livres, quelques 30 000 photos. Un commando du livre, c'est inédit et si beau. Un bataillon de petits Chaouis apprentis-photographes et défenseurs du patrimoine, ça vous berce l'âme comme les doigts qui feuillètent un livre. En une seule semaine, deux instantanés du bonheur à Alger et au pays de Massinissa et de Mostefa Ben Boulaid. N. K.