Les socialistes ont mis l'Espagne «à genoux», ils ont conduit la Grèce à la faillite. C'est ce que Nicolas Sarkozy et l'actuelle majorité ont expliqué pendant la campagne. Si c'était vrai, on pourrait avoir peur pour la France. Pour tout dire, si l'ancien président de la République et d'autres dirigeants de l'actuelle majorité avaient raison, cela nous simplifierait beaucoup la tâche, en tant qu'électeurs, pour les prochaines législatives. Si socialisme rimait avec mauvaise gestion et faillite, le choix serait simple. Malheureusement, il semble que ce soit un peu plus compliqué.Si l'on regarde les trois pays du sud de l'Europe qui présentent la plus grande fragilité actuellement -la Grèce, l'Espagne, le Portugal-, on constate que des partis se réclamant du socialisme y ont effectivement occupé le pouvoir au cours des dernières années. Mais, dans tous ces pays, ils n'ont pas été constamment au pouvoir et, quand ils l'ont été, ils n'ont pas toujours été majoritaires au Parlement. Bref, il n'est pas toujours facile de déterminer avec précision qui est responsable de quoi. C'est pourtant ce qu'il faut tenter de faire. Une référence, la situation en 2008, avant la crise Dans son propre bilan, Nicolas Sarkozy a beaucoup insisté sur la crise, la plus épouvantable que nous ayons connue depuis près d'un siècle comme il nous l'a répété à maintes reprises; c'est cette crise qui nous empêche de juger son action comme il le faudrait. Appliquons donc le même traitement aux dirigeants des autres pays européens. Le point de départ des turbulences pouvant se situer au moment de la faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008, le plus équitable est de regarder la situation qui prévalait dans chacun de ces pays avant cette date. Pour ce faire, on peut se référer aux jugements émis par la Commission européenne, en février 2008, lors de son examen des programmes de stabilité de chaque pays.
Un bon point pour le Portugal… Le Portugal a alors un Premier ministre socialiste, José Socrates (mars 2005-juin 2011). Que pense la Commission de la façon dont il gère le pays?«Le Portugal peut se féliciter d'avoir ramené son déficit à 3%, voire moins, en 2007, un an avant l'expiration du délai accordé. Par ailleurs, les réformes récentes du régime des retraites améliorent également les perspectives à long terme pour les finances publiques portugaises de manière significative. Le Portugal est invité à poursuivre sa stratégie budgétaire afin de pouvoir remettre son économie sur une voie de rattrapage dynamique et durable.»Que le pays soit dirigé depuis près de trois ans par des socialistes ne semble pas ici avoir eu de conséquences dommageables sur l'économie et les finances publiques.
…et pour l'Espagne En Espagne, au moins, les choses devraient être claires: José Luis Rodriguez Zapatero a été Premier ministre des gouvernements socialistes entre avril 2004 et décembre 2011. Il paraît difficile de ne pas lui attribuer une grosse part de responsabilité dans les difficultés actuelles de son pays. Or, que lit-on dans les textes de la Commission européenne de février 2008?«L'Espagne peut se féliciter de maintenir des objectifs ambitieux dans la version actualisée de son programme, malgré un ralentissement de la croissance économique. Les excédents budgétaires élevés et la faiblesse de la dette lui laissent une marge de manœuvre pour faire face à une diminution éventuelle des recettes fiscales après le fléchissement actuel de l'activité dans le secteur de l'immobilier.» De fait, la dette publique espagnole, qui s'élevait à près de 60% du PIB au début de la décennie (alors que José Maria Aznar dirigeait un gouvernement de droite), est revenue aux environs de 36% du PIB fin 2007 et le budget, comme le constate la Commission, «enregistre des excédents confortables depuis 2005».
Carton rouge pour la Grèce… de centre-droit Mais, si les socialistes portugais se montrent raisonnables et les socialistes espagnols très bons gestionnaires, on va certainement découvrir des horreurs en Grèce. De fait, au début de 2008, la Commission européenne, sous un langage très neutre, parvient mal à cacher son irritation: «Une trajectoire d'assainissement budgétaire rigoureux contribuerait à corriger les déséquilibres de l'économie, en particulier l'inflation persistante, les pertes de compétitivité et un déficit extérieur important. Compte tenu du niveau de la dette -qui reste parmi les plus élevées de la zone euro- et de l'augmentation attendue des dépenses liées au vieillissement de la population, il y a lieu de prendre des mesures en vue d'améliorer la viabilité des finances publiques à long terme.»Voilà, nous la tenons, notre condamnation d'un gouvernement incapable de tenir les rênes de son économie et de ses finances publiques (les deux vont de pair). Mais il se trouve qu'il s'agit du deuxième gouvernement de Kostas Karamanlis (Nouvelle Démocratie, centre-droit), au pouvoir depuis mars 2004. C'est bien le socialiste Georges Papandréou qui était au pouvoir aux pires moments de la crise, mais, lorsqu'il a pris ses fonctions à l'automne 2009, il a trouvé un déficit public qui n'était pas à 6% du PIB, comme l'avait annoncé au début de l'année Kostas Karamanlis, mais à 12,7% et le chiffre final de 2009 s'inscrira même à 15,4% du PIB. Evidemment, quand on a à gérer un tel héritage, il est difficile de faire des miracles. Georges Papandréou a fait le choix de la rigueur et il l'a payé politiquement au prix fort.
A bas la gauche… gestionnaire! Bref, dénoncer la mauvaise gestion socialiste en Europe pour inciter les électeurs français à faire un autre choix en juin prochain, c'est tout simplement tordre le coup à la vérité historique. La gauche a été très imprudente ici en 1981 et 1982, elle a compris la leçon, à tel point que le principal reproche adressé aujourd'hui aux socialistes par une partie de son électorat traditionnel est celui d'être devenus des… gestionnaires! Si les socialistes européens ont démérité, c'est parce qu'ils n'ont pas été plus capables que les gouvernants de droite de résoudre les problèmes de leur pays.Dans le cas du Portugal, on voit un pays qui a été l'objet de la première procédure de déficit excessif lancée par l'exécutif européen, dès 2002. Ce petit pays très en retard par rapport aux pays du cœur de la zone euro n'a jamais réussi à faire décoller son économie et à s'assurer ainsi des rentrées fiscales élevées. Dans les années qui ont précédé la crise, sa croissance a été constamment inférieure à la moyenne de la zone euro, alors que, en théorie, il aurait dû avancer beaucoup plus vite pour se mettre au niveau des autres; la «convergence» espérée au moment de la création de l'euro n'a pas eu lieu.En Espagne, la croissance a été rapide, mais déséquilibrée, car elle reposait pour l'essentiel sur le secteur de la construction et l'endettement du secteur privé (particuliers, promoteurs, etc.).Le pays avait été mis sur cette trajectoire par le gouvernement Aznar et le gouvernement Zapatero a continué: il n'est pas facile de renoncer à une politique qui marche quand on a un taux de chômage en forte baisse, certes, mais encore élevé (8,3% de la population active au plus bas en 2007).Si les erreurs commises par les financiers américains n'avaient pas conduit à la crise de 2008, les dirigeants espagnols auraient peut-être pu gérer la décrue du secteur immobilier et la montée en puissance d'autres activités. On ne le saura jamais. En tout cas, on doit se féliciter qu'ils aient profité des bonnes rentrées fiscales avant 2008 pour assainir leurs finances publiques. Sans cette sage politique, compte tenu de la violence du choc qui a suivi, l'Espagne serait aujourd'hui dans une situation incontrôlable.
C'est l'Europe qui est en cause Quant à la Grèce, c'est vraiment un cas particulier. Le pays a profité à plein de son intégration dans l'Union européenne puis dans la zone euro (aides financières, taux d'intérêt bas), le niveau de vie de la population s'est rapidement élevé. Mais rien n'a été fait pour bâtir une économie moderne et un Etat ayant les moyens de fonctionner normalement. La gauche et la droite sont également coupables et leurs électeurs ne sont pas innocents non plus.Accuser les socialistes de tous les maux, cela peut permettre de gagner des voix aux élections, mais n'aide pas à préparer la solution des problèmes.Qu'on le veuille ou non, la cause des problèmes grecs, espagnols ou portugais se trouve aussi à Paris et à Berlin, à Francfort et à Bruxelles, dans les autres capitales ou les instances européennes, chez tous ceux qui n'ont pas su ou voulu construire une véritable Europe capable d'assurer le développement de chacun de ses membres et de prévenir les dérapages. Maintenant, il faut agir collectivement, et vite. G. H. In slate.fr