La maison d'édition Média-Plus de Constantine qui s'est toujours distinguée par le choix et la qualité des titres qu'elle publie, a opté pour l'édition d'ouvrages sur l'histoire algérienne. Aussi, ne pouvait-elle que sortir la grosse artillerie pour marquer le cinquantenaire de l'Indépendance. Et le résultat est plutôt plus que satisfaisant : cinq ouvrages en cinq mois, d'avril à août. Le mois de juillet a été inauguré par L'arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie de Matthew Connelly, professeur américain d'histoire à Columbia University. Dans cet ouvrage, M. Connelly revient sur les «armes» qui ont permis au FLN de forcer la main à de Gaulle pour l'amener ainsi que le gouvernement de la France à accepter l'indépendance de l'Algérie. Pour l'historien américain, «la réponse se trouve bien au-delà des frontières de l'Algérie, car c'est sur la scène internationale que les nationalistes ont livré leurs combats les plus décisifs. Leurs meilleures armes furent psychologiques et médiatiques. Rapports sur les droits de l'homme, conférences de presse, congrès de la jeunesse, etc., furent utilisés pour alerter l'opinion mondiale et invoquer les lois internationales dans un contexte qui était également celui de la guerre froide. Soutenus par des pays aussi divers que l'Arabie Saoudite et la Chine communiste, les Algériens finirent par rallier une majorité contre la France aux Nations unies. Ainsi, vinrent-ils à bout d'un président et d'un gouvernement désormais obsédés par l'impact de la guerre sur la réputation de leur pays à l'étranger. Un exemple pionnier, qui allait inspirer l'OLP d'Arafat, ou encore l'ANC de Mandela...». L'arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie a déjà reçu cinq prix depuis sa parution et son auteur est considéré comme l'un des historiens les plus doués de sa génération.Le deuxième ouvrage pour le mois de juillet est un livre-témoignage sur la torture en Algérie, un livre-choc. Et ce qui fait sa force c'est qu'il n'est pas le produit de témoignages de victimes ayant subi la torture mais de quelqu'un qui en a été témoin, Claude Juin, un soldat de contingent de l'armée coloniale, et le titre de son ouvrage est en soi un témoignage dérangeant, pour le colonisateur évidemment : Des soldats tortionnaires. Guerre d'Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable.«De 1956 à 1962, en Algérie, par obligation légale, sans avoir été sélectionnés et sans avoir bénéficié d'une préparation adaptée à leur mission, deux millions et demi de jeunes Français ont vécu une situation dramatiquement exceptionnelle. La politique dite de ‘‘pacification'' a en effet amené une génération en armes, prétendument pour ramener l'ordre, à libérer des pulsions de destruction et, pour certains, à devenir des meurtriers.Comment des hommes ‘‘ordinaires'' d'à peine vingt ans, appelés du contingent, en sont venus à commettre l'intolérable ou à être les protagonistes passifs d'exactions diverses, allant jusqu'à la torture ou à l'exécution sommaire ?Sur la base de lettres et de témoignages saisissants, inédits ou clandestins, Claude Juin, qui fut lui aussi soldat en Algérie et assista à de telles scènes, démonte les mécanismes tortionnaires. Il analyse comment vont naître chez ces hommes, pourtant forgés aux valeurs républicaines des droits de l'Homme et de l'esprit de la Résistance, un fort sentiment de racisme et une haine viscérale à l'égard de la population musulmane - il observe notamment comment son ‘‘copain de régiment'' Bernard en est venu à pratiquer régulièrement la torture. Il montre en quoi la soumission aux ordres, la peur, la vengeance, la frustration, l'accomplissement du devoir furent autant de prétextes pour justifier l'intolérable, pour faire taire les ‘‘cas de conscience''. ‘‘Les jeunes soldats, écrit Claude Juin, parce qu'ils vivaient un évènement hors du commun, ont pu devenir cruels, tout en restant des gens ordinaires de la condition humaine. J'ai vécu au milieu d'eux, ils étaient parmi nous. Dans l'abomination, ils demeuraient des hommes.''», lit-on dans la présentation de l'ouvrage. Claude Juin est né en 1935. Appelé du contingent en Algérie en 1957-1958, il raconta sa guerre dans le Gâchis. Mais le livre, publié en 1960 sous le pseudonyme de Jacques Tissier, sera bientôt interdit. Ancien DRH et maire de Bessines, Claude Juin obtiendra son doctorat en sociologie en 2011 en soutenance de sa thèse Guerre d'Algérie : la mémoire enfouie des soldats du contingent (Ehess, 2011). Cette thèse sera la matrice de son livre Des soldats tortionnaires. Le dernier ouvrage de la fournée de juillet est signée Chantal Morelle, agrégée et docteur en histoire. Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d'Algérie. 1962, les accords d'Evian, n'essaye pas de faire une lecture de l'histoire de cette guerre, mais s'efforce d'analyser et comprendre comment elle s'est terminée avec la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962. L'historienne concentre son analyse sur les étapes du processus de sortie de guerre et s'appesantit sur ses deux principaux protagonistes : de Gaulle et le FLN. «C'est à partir du retour au pouvoir de de Gaulle en 1958 que tout semble se nouer. Bien qu'il n'ait pas de politique clairement établie au départ, la fermeté de ses propos, à partir de son annonce de l'autodétermination en septembre 1959, donne une première indication quant à la manière dont il veut organiser cette sortie de guerre, jusqu'à la négociation qu'il entend mener à travers son ministre d'Etat, Louis Joxe, mais sur laquelle il veille de très près. En suivant les longues discussions menées par les délégations françaises et algériennes, Chantal Morelle évoque toutes les embûches qui ont dû être franchies avant de pouvoir enfin parvenir à la paix […], l'auteur montre également comment se sont déroulés les derniers mois de la présence française entre mars et décembre 1962, la poursuite des attentats, en France et en Algérie, les départs massifs des pieds-noirs et des harkis, ainsi que leur difficile arrivée en France, avant d'évoquer l'amorce des relations diplomatiques et de coopération entre les deux pays. Enfin, après avoir dressé le bilan des Accords, l'auteur se livre à une réflexion sur la mémoire de cette guerre d'Algérie», indique le résumé de présentation du livre.Chantal Morelle, actuellement professeur en classes préparatoires aux Grandes écoles littéraires, après avoir été chargée des études et recherches à la Fondation Charles de Gaulle, a déjà publié plusieurs ouvrages dont Henri Laugier, un esprit sans frontières, avec Pierre Jakob, De Gaulle, le gaullisme et les gaullistes, un Dictionnaire des relations internationales (en collaboration) et Le Gaullisme pour les Nuls. Pour le mois d'août, Média-plus prépare la sortie de Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres de Claire Mauss-Copeaux. L'historienne française, qui s'est «spécialisée» dans la guerre d'Algérie et les violences de guerre, dissèque à travers son ouvrage un des moments marquants de la guerre de libération : le 20 août 1955. Ce jour-là, à midi tapante, des soldats de l'Armée de libération nationale (ALN), appuyés par la population, ont mené une attaque simultanée sur des agglomérations situées dans le quadrilatère délimité par Collo, Philippeville, Guelma et Constantine. Claire Mauss-Copeaux mènera une longue et minutieuse recherche, consultera des archives incontestables, rassemblera les témoignages des survivants des deux bords et croisera toutes les informations recueillies pour répondre à deux questions qui constituent la trame du livre : Y a-t-il eu, comme on le dit, un massacre généralisé perpétré par les Algériens ? Que sait-on réellement des semaines suivantes, où la répression et les représailles se soldèrent par la mort de milliers de civils algériens ? Et les réponses sont dans ce livre qui restitue les faits et livre des révélations sur un dramatique exemple de désinformation et de rumeurs.Claire Mauss-Copeaux, qui a déjà publié plusieurs ouvrages dont un livre pionnier devenu un classique, Appelés d'Algérie, la parole confisquée, pense que si l'historien doit décrire les faits, il ne peut pas occulter les souffrances endurées et exprimées par les protagonistes eux-mêmes.Précisons que les ouvrages Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres et L'arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie de Matthew Connelly seront également traduits en arabe.Les deux livres qui complètent ce quintet éditorial sont Le 17 octobre des Algériens de Marcel et Paulette Péju, suivi de la Triple occultation d'un massacre de Gilles Manceron et Ni valise ni cercueil. Les Pieds-noirs restés en Algérie après l'indépendance du journaliste français Pierre Daum, que nous avons déjà présentés dans nos précédentes éditions. H. G.