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«C'est aux soufis que revient le mérite de fonder l'Association des Oulémas» Meziani Abdelhakim, auteur d'une conférence sur la médina et le mouvement national:
La Tribune : Pour commencer, que pensez-vous de l'organisation de ce séminaire? Meziani Abdelhakim: L'initiative est louable à bien des égards surtout qu'elle propose de libérer l'histoire des pesanteurs qui ont toujours enterré l'écriture de cette histoire et la parcimonie avec laquelle les acteurs du mouvement national se sont distingués. Ce genre d'initiatives a le mérite de regrouper des personnes de tous bords et donc développer des argumentaires autant différents qu'enrichissants. Le fait de dire «libérer l'histoire» est, à mon sens, très significatif de la volonté affichée par les organisateurs d'apporter leur pierre à l'édifice qui est de l'écriture de l'histoire. L'édifice qui se singularise par des non-dits. Par des bibliothèques vivantes qui disparaissent faute d'être consultées, d'être sollicitées. Donc, je ne peux qu'être satisfait, d'autant plus que j'ai beaucoup appris. Et c'est cela l'intérêt, bien que certaines personnes ne comprennent pas le sens de l'objectivité. Lorsque j'ai parlé de Mahfoudh Keddache, je lui ai fait des reproches parce qu'à un moment donné, vu la conjoncture politique de ce pays, il n'a pas osé clamer sa citadinité et, par la même occasion, mettre l'accent sur le rôle joué par la médina dans le Mouvement national et dans le processus de libération. Pour autant, cela ne m'a pas empêché de l'encenser et de mettre l'accent sur le rôle qu'il a joué justement dans la restitution de l'écriture de l'histoire bien loin des raccourcis empruntés par les tenants du matérialisme historique. Des tenants qui ont toujours minimisé l'identité arabo-berbère et musulmane de l'Algérien. Et pour cause, qu'on le veuille ou non, l'exploitation éhonté capitaliste dont a été victime le peuple algérien a joué un rôle important dans la prise de conscience mais il n'en reste pas moins que le ciment de l'unité a été justement cette identité qui a permis à la religion de jouer un rôle très important dans ce sens. Aussi, il ne faut pas perdre de vue que les premières résistances à l'invasion coloniale ont été, de fait, des imams soufis. Des imams algérois qui relèvent de la tarika tidjania.
Justement, dans votre intervention, vous avez beaucoup parlé du rôle des soufis dans la création de l'Association des Oulémas Ça répond fondamentalement au thème mis en avant, à savoir libérer l'histoire. Les Algériens, tous ceux qui sont passés par l'école, n'ont à l'esprit que le rôle joué par les Oulémas. En revanche, le soufisme a été réduit à sa plus simple expression, présenté comme le fer de lance du charlatanisme. Pourtant, nous savons pertinemment que le soufisme, c'est la quête de la connaissance, de la perfection. Le soufisme était présenté par certains politiciens de l'Association des Oulémas, en tant qu'appendice de la caste coloniale, alors que nous savons tous que toutes les guerres révolutionnaires menées par le peuple algérien contre la caste coloniale l'ont été par des éléments soufis. Il y a eu des imams d'Alger qui ont dirigé la résistance contre la France, pendant que l'armée turque avait pris la tangente. De la même manière qu'une décennie après, ce sont des mouvements insurrectionnels soufis qui ont combattu la France. Il n'y a qu'à citer les exemples de Cheikh Bouamama, l'Emir Abd El Kader, cheikh Ben Yelles, El Mokrani, Cheikh El Hadad, Lala Fatma N'soumer et bien d'autres militants soufis qui avaient donc lutté jusqu'à la mort contre la caste coloniale. Donc ce n'était que justice, d'autant plus qu'à un moment donné de l'histoire de l'Algérie, nous avons fait l'erreur de diaboliser le soufisme, de le réduire à sa plus simple expression. Ce qui a permis à l'Algérie d'offrir sur un plateau la tarika Tidjania au Maroc. Ce dernier en a profité abusivement. D'autant plus que cette tarika compte pas moins de 400 millions d'adeptes répartis notamment à travers l'Afrique noire. Il fallait donc rétablir dans ses droits le soufisme et dans le cadre de ce qu'on appelle la vérité révolutionnaire, rendre aux soufis le rôle important qu'ils aient joué, notamment dans la création de l'Association des Oulémas. Je cite un autre exemple: une fois le cheikh Abdou qui était le recteur de l'Université de Lazhar est venu en Algérie, non pas pour les beaux yeux du peuple algérien mais pour une fetwa invitant les jeunes à rejoindre l'armée coloniale. Il est venu à l'invitation de la caste coloniale. Notre cheikh Abdelhalim Ben Semaya avait répondu que les jeunes algériens n'avaient pas à mourir pour un pays qui les colonise, un pays qui les dépersonnalise, un pays qui les tue. De la même manière, lorsque cheikh Ben Semaya s'est vu accordé une légion d'honneur, il avait boycotté la cérémonie. Cette légion d'honneur lui a été ramenée à la maison. Au début, il l'a refusée. Ensuite, il l'a gardée et le lendemain c'est l'homme par qui le scandale arriva. Il était sur son cheval et la légion d'honneur accrochée à la queue de son cheval. C'est pour dire que contrairement aux idées reçues, les soufis étaient des gens très engagés, déterminés et ne voulaient conclure aucun pacte avec la caste coloniale. Et c'est aux soufis que revient le mérite de fonder l'Association des Oulémas.
Espérez-vous contribuer quelque peu au changement de ces idées reçues ? Bien sûr que nous avons beaucoup d'espoir. Lorsque les gens ont appris ce qui a été organisé par la Fondation Casbah, autour de l'Association des Oulémas, ils étaient écœurés par le fait que cette histoire ne soit pas renseignée dans les écoles. Il y a une histoire à sens unique et cela ne peut pas permettre à l'Algérien de s'épanouir. Une histoire conçue d'un point de vue dominant. Le travail que nous faisons à la Fondation Casbah, que je fais en tant que chroniqueur à Liberté, c'est celui d'un messager qui a pour mission de transmettre des faits et des paroles. D'autres les transmettront à d'autres et ainsi de suite jusqu'à ce que la vérité éclate bien un jour.
Pensez-vous que les choses avancent réellement dans ce sens ? Il faut dire qu'il y a une évolution certaine puisque le président de la République a réhabilité dans leur statut d'hommes historiques Messali L'hadj, Abane Ramdane, Ben Khedda, Ferhat Abbas, et de la même façon, il a permis au soufisme de retrouver ses repères pour permettre de contrebalancer l'influence wahabite. Il y a une évolution mais cette évolution dans l'écriture de l'histoire ne peut se faire qu'avec l'évolution d'un système. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la vie d'un peuple ne peut pas être une chose et sa culture et son histoire une autre chose.