«Le problème en Algérie n'était pas le colonialisme mais le racisme colonial, car, juridiquement, les Algériens étaient considérés comme Français. Ce n'est pas le colonialisme qui a fait que les Algériens se soient soulevés mais plutôt le racisme colonial». Cette profession de foi est parfumée comme la parabole du bon Samaritain français qui aime son prochain algérien comme lui-même. Mieux ou pis encore, l'auteur de cette sentence d'apôtre secourable, présente la colonisation comme une œuvre de charité chrétienne bien ordonnée. Une mission civilisatrice, juste contrariée par le racisme colonial, ordinaire, celui du Blanc dont le mépris latent ou manifeste a nourri la rancœur indigène des décennies durant. On dirait même que ces mots sont ceux d'un apologiste de la colonisation française, parmi les députés français qui avaient ferraillé dur pour sublimer les «bienfaits» de la colonisation dans la loi scélérate du 23 février 2005. Non, le véritable auteur de ce fervent plaidoyer que n'aurait pas renié le cardinal Charles Martial Lavigerie, est un historien français, invité à un récent colloque à Alger, à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance. Ses propos relèvent à la fois de l'essentialisme et du négationnisme, ce qui n'est pas contradictoire. Essentialistes car, de son point de vue, le colonialisme fut bon. En somme, une œuvre de miséricorde chrétienne et une entreprise de civilisation, voué au bonheur exclusif de l'indigène. Négationnistes, parce qu'ils nient les méfaits intrinsèques du colonialisme, les attribuant à l'action externe du «racisme colonial» qui lui est étranger. Les mots de cet historien contiennent en outre trois contrevérités. A savoir que «les Algériens étaient juridiquement Français» et qu'ils se seraient soulevés à cause du «racisme colonial», jamais contre le colonialisme. Troisième falsification, la France coloniale aurait mené une bienfaitrice politique d'assimilation, contrariée finalement par le «racisme colonial» dont l'accumulation et la fermentation auraient servi de détonateur aux révoltes algériennes, couronnées par la Révolution du Premier novembre 1954. Cette thèse négationniste, qui a cours en France et qui trouve de plus en plus d'adeptes parmi les Algériens du pays et de la diaspora, affirme que la conquête de l'Algérie n'a pas été un bain de sang, un projet d'anéantissement, un génocide. Elle aurait été plutôt une domination exercée par les colons pour mieux civiliser les indigènes. Les tueries collectives, les massacres, les enfumades consécutives à la conquête, les crimes perpétrés ensuite durant les périodes de consolidation de la colonisation, comme les massacres du 8 mai 1945, relèveraient donc du simple «racisme colonial». Les Bugeaud, Saint-Arnaud, Pélissier, Cavaignac, Mac-Mahon, Chanzy et Clauzel, ne seraient donc que des Pères Blancs en goguette ! N'est-ce pas, Saint-Arnaud, dans une de ces correspondances qui écrivit en 1843, de retour d'une énième expédition guerrière dans l'Ouarsenis: «Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit ! C'était la malheureuse population des Bani-Naceur, c'étaient ceux dont je brulais les villages,, les gourbis et que je chassais devant moi.» Sur la dépossession brutale des Algériens, le maréchal Bugeaud écrivit lui-même que «la guerre contre les civils, l'incendie des récoltes pour obliger les indigènes à se soumettre et à mendier de la nourriture, a bien eu lieu.» Difficile de nier aussi la négation systématique des indigènes, l'appropriation forcée des terres, le Code de l'Indigénat, ce projet de racisme institutionnel qui tient les autochtones comme indignes d'être des citoyens, malgré la départementalisation de 1881. Et la crise démographique de 1830 à 1872 n'est pas due uniquement aux famines, à la sécheresse, aux calamités et aux épidémies. Elle est également imputable à la répression régulière. La spoliation systématique des bonnes terres a augmenté la mortalité. La dépossession foncière a servi d'assiette à la francisation des terres, grâce notamment à la loi Warnier de 1873. Ce texte qui a cassé l'indivision des terres a permis de déposséder les Algériens de 2 millions d'hectares à la veille de 1914. La colonisation fut d'autant plus implacable que les grandes conventions internationales n'étaient pas encore en vigueur. Sinon, comment expliquer qu'en 1962 la population algérienne était pratiquement à son niveau de… 1830 ? Si les Algériens étaient «juridiquement français», comment comprendre alors qu'ils furent maintenus en situation permanente de faiblesse économique et sociale ? Des nationaux de seconde zone, interdits de citoyenneté et de la loi française, sauf quelques privilégiés parmi les notables musulmans. Exclus des catégories élevées de la fonction publique et de l'armée autres que subalternes, oubliés de l'instruction publique, hormis en quelques milieux urbanisés restreints. Dans une lettre intitulée «A la commission du sénat, la question indigène par un Français d'adoption», Louis Khodja, leader intellectuel du mouvement des Jeunes Musulmans se demandait «est-ce que la France doive abandonner l'œuvre, aussi noble que charitable, d'élever l'Arabe à son niveau social ?» Louis Khodja et les assimilationnistes, comme à ses débuts Ferhat Abbes, durent déchanter, se ralliant plus tard au choix historique des armes. La ligne apologétique de la colonisation, négationniste, par effet induit, est désormais partagée par de nombreux Algériens qui n'hésitent plus à considérer l'Algérie colonisée comme une France pour eux perdue. A l'image de notre historien français essentialiste et négationniste, à leurs yeux, le problème n'était pas, hier, la colonisation, mais le racisme colonial. Et il serait aujourd'hui représenté par les héritiers mêmes du FLN. Donc, selon ces harkis volontaires de la mémoire coloniale sélective, c'est l'Algérie qui doit donc s'excuser d'avoir refusé une grande œuvre civilisatrice, le Premier novembre 1954. Larbi Ben M'hidi, au secours ! N.K.