Préparatifs psychologiques sur fond de désinformation, «rappel des troupes» djihadistes des pays arabes, guerre des nerfs pour fissurer le pouvoir alaouite, agitation du spectre de la division confessionnelle, multiplication des ingérences étrangères, contournement de l'ONU et mobilisation de l'Otan : tous les ingrédients sont réunis pour donner le coup de grâce au régime de Bachar Al Assad et ses alliés dans la région. La confrontation semble imminente. Immédiate et armée ou guerre d'usure en vue d'une déstabilisation dans la durée, c'est la seule question qui se pose. En portant la guerre au cœur des grandes villes sans considération pour les populations civiles prises de fait en otage, la rébellion syrienne a incontestablement remporté une première victoire psychologique, notamment avec le retentissement de l'attentat de mercredi dernier qui a frappé le pouvoir alaouite à la tête. Toutefois, il faut bien souligner que le gain, pour l'opposition et ses factions armées, n'est que psychologique pour le moment. Tous les observateurs le savent, les pouvoirs baathistes comme celui de la dynastie des Al Assad sont d'essence militaire et militariste et ils vivent dans un état permanent de préparation à la répression de toute contestation, surtout celle qui emprunte la voie des armes. Toutes proportions gardées, Al Assad père a été confronté à la même situation en 1980 quand il écrasa avec son artillerie et sans discernement la révolte des Frères musulmans de Hama. La différence avec la situation qui prévaut, aujourd'hui, tient au nouveau rapport de force mondial qui a mis sur la touche l'ex-URSS avant le retour en force de la Russie de Poutine et de la Chine. Le développement des technologies de l'information et leur accessibilité ont fait le reste.Bachar Al Assad, trop longtemps prisonnier d'une vieille garde sécuritaire héritée de son père, n'est pas pour autant sorti d'affaire. Les Occidentaux et les monarques du Golfe à leur solde sont décidés à avoir sa peau et ne lésinent pas sur les moyens. Il ne doit d'être encore en place qu'à la fermeté de la position de son allié russe et de la Chine qui ont usé à trois reprises pour bloquer au Conseil de sécurité de l'ONU des résolutions pour une intervention militaire en Syrie. Le retour de la Russie Mais ce soutien de l'allié russe n'est pas sans limite et ne peut pas durer indéfiniment. L'ambassadeur russe à Paris l'a d'ailleurs fait savoir assez clairement dans un entretien à la presse française, la semaine dernière. Il y affirmait notamment qu'il concevait mal que Bachar Al Assad puisse rester au pouvoir, suggérant que son départ devait se faire de «manière civilisée». Même si, par la suite, il avait pris soin de préciser qu'il n'exprimait qu'un sentiment personnel. Le président russe ne dit rien d'autre, en fait, en proposant une transition négociée entre le pouvoir syrien et son opposition. La nouvelle donne sur l'échiquier du Moyen Orient, est donc le retour en force sur la scène internationale de la Russie, un retour avec le poids et la force de frappe de l'ex-URSS.Mais ni le veto russe et chinois ni la nature et l'ampleur que prendra le conflit ne semblent dissuader les puissances occidentales de reconfigurer la carte moyen orientale et son cœur de cible syrien. Depuis plusieurs semaines, voire des mois, les préparatifs vont bon train, s'accélérant fortement ces tout derniers jours. Des armes chimiques en possession de la Syrie à la course au nucléaire militaireiranien, l'ordre de bataille est en train de se mettre inlassablement en place. Au moment où une source des services secrets britanniques, le MI 6, révélait (ou raccourcissait) le délai d'entrée en possession par l'Iran de l'arme nucléaire, le ramenant à 2014 seulement, la Turquie déployait des batteries de missiles sol-air à sa frontière avec la Syrie, alors qu'Israël, de son côté, massait un nombre impressionnant de troupes à ses frontières avec le Liban et la Syrie. L'ordre de bataille est en marche et les monarchies supplétives du Golfe y prennent comme d'habitude leur part en activant la Ligue arabe, devenue le relais de leurs desiderata. Dans un communiqué diffusé hier, celle-ci a appelé Bachar Al Assad à «renoncer au pouvoir», l'assurant que «la Ligue arabe contribuera à lui assurer et à sa famille une sortie sûre». A condition qu'il s'efface et laisse la seule opposition et ses groupes armés former un gouvernement de transition. Drôle de façon d'éviter la guerre et de privilégier une solution politique. A. S.
Territoires, religions, intérêts Les conflits, qu'ils soient bilatéraux entre pays ou intra régionaux avec ingérence étrangère, posent toujours le problème de la nature et de l'importance des enjeux. Car, comme disent les juristes, «pas d'intérêt, pas d'action». La Syrie, à cet égard, présente un tableau d'une complexité extraordinaire. S'y trouvent mêlés dans une confluence multiple et dense, des enjeux économiques, stratégiques, géopolitiques, civilisationnels, confessionnels et, surtout, sécuritaires pour la consolidation de la suprématie d'Israël. Dans une interview au journal en ligne «Algérie patriotique», l'analyste Majed Nehmé, directeur de la revue Afrique Asie, résume ces enjeux de façon saisissante. Il estime qu'ils sont essentiellement régionaux : «Casser l'alliance avec l'Iran, amener la Syrie à signer une paix au rabais avec Israël, détruire les fondements de l'Etat-nation pour livrer la Syrie aux forces wahhabites et islamistes radicales, ce qui signifie l'éclatement de la Syrie en plusieurs entités en guerre entre elles. Ce qui enracinerait la présence occidentale au Moyen-Orient pour les décennies à venir.»Un autre enjeu tout aussi capital et de nature à hâter une confrontation armée, parce que dans la périphérie géographique de la Syrie est dans l'effet «secondaire» du «printemps arabe» sur les monarchies du Golfe obsédées par le péril syro-iranien et donc chiite. Pour Majed Nehmé, ces monarchies, «fragilisées elles aussi par le vent de contestation qui souffle sur le monde arabe, et par la transformation inattendue de l'Irak, débarrassé du régime de Saddam Hussein, en un protectorat iranien, cherchent, à travers la chute du régime syrien anti-wahhabite et pro-russe, à transformer la Syrie en base arrière pour reconquérir l'Irak et déstabiliser l'Iran. Elles cherchent surtout à liquider le Hezbollah libanais. Ces objectifs non avoués n'ont pas été jusqu'ici atteints et ne le seront pas tant que le soutien sino-russe ne faiblit pas et tant que l'axe syro-iranien tient». Il est patent, aujourd'hui, que c'est à travers un attisement des divisions confessionnelles que les Occidentaux, sous la bannière des Etats-Unis, comptent atteindre leur objectif d'une suprématie sunnite dans la région, étant entendu qu'il s'agirait d'un sunnisme entièrement à leur dévotion et viscéralement anti-chiite. Sinon comment comprendre ce «rappel des troupes djihadistes» qui sont en train d'affluer de nombreux pays arabes vers la Syrie où leur pénétration est facilitée par la Turquie ? Voilà qui explique aussi l'enjeu des batailles pour le contrôle des postes-frontières syriens avec la Turquie, le Liban, la Jordanie et l'Irak. L'avenir de la minorité chrétienne dans la région, pour un Occident faussement protecteur des «droits humains» et de la liberté de culte, ne pèse rien devant le poids du baril et la supériorité militaire et nucléaire israélienne. A. S.