Le ministre français de la Défense a estimé récemment qu'une intervention d'une force militaire de la Cedeao est «souhaitable et inéluctable». Le propos de Jean-Yves le Drian vient appuyer des déclarations de même tonalité du chef de la diplomatie française en faveur d'une solution militaire au conflit malien. Laurent Fabius est même venu à Alger pour y chercher un appui à l'option de la force. Pour souhaitable et inéluctable qu'il serait, le choix des armes qui, en la circonstance, ne serait pas adossé à la réalisation de conditions politiques préalables, serait-il pour autant crédible et efficace ? Rien n'est moins sûr tant l'issue d'un traitement militaire à court ou à moyen terme, paraît hasardeuse, aventureuse même. La faisabilité opérationnelle et l'issue politique d'une telle option soulèvent nombre de questions. En l'absence certaine d'une participation d'une armée malienne décomposée et en longue et laborieuse reconstitution, le saut sans parachute de 3 300 hommes de la Cedeao sur un champ de bataille vaste et périlleux, aurait les allures d'une véritable aventure. Même avec l'appui logistique et technique et l'aide en matière de renseignement opérationnel de la France et des Etats Unis, l'intervention de la task force africaine s'inscrirait évidemment dans une guerre asymétrique. Quelques milliers de soldats panafricains, avec une couverture stratégique extra-africaine, contre quelques centaines de djihadistes disséminés à travers les grands territoires du Nord Mali, l'équation parait certes déséquilibrée. Mais dans un conflit militaire fondé sur l'opposition entre le rapport de force et le rapport de puissance, le résultat n'est pas garanti d'avance pour les forces africaines. Dans le meilleur des cas, les soldats de la Cedeao se fixeraient dans les villes, devenant ainsi des cibles privilégiées pour des djihadistes très mobiles qui auraient de surcroit le choix de l'initiative et le bénéfice du temps choisi. Le risque d'enlisement, à l'Afghane, est bien réel. Avec, comme effets collatéraux, l'exportation accrue du terrorisme vers l'Algérie dont le souci stratégique est de sécuriser ses longues frontières et sanctuariser son vaste territoire. Concernée au premier chef par les répercussions du conflit, après Bamako où se fait cruellement sentir l'absence d'un pouvoir fort, cohérent et stable, l'Algérie mesure, avec une prudence de Sioux, les dangers tactiques et les périls stratégiques d'un scénario militaire. Un plan d'autant plus risqué que semblent actuellement éloignées les conditions d'une solution politique. Scénario pacifique basé sur une démarche de négociation et de réconciliation entre les acteurs maliens. D'où la double obligation d'inciter le Mnla à renoncer à l'indépendance totale de l'Azawad et à découpler Ansar Eddine et les terroristes d'Aqmi. Favoriser en somme l'établissement d'un pouvoir central fort et légitime à Bamako et une large autonomie du Nord acceptée par tous. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Aujourd'hui, la situation ethno-géographique et militaire est encore plus complexe. A l'irrédentisme touareg sont venus se greffer des conflits ethniques, compliqués par l'irruption brutale du facteur religieux sous la forme extrême du salafisme. Le Mnla est donc l'émanation des Touareg, essentiellement des Iforas, tandis que le Mujao est composé d'Arabes et de Berbères très anciennement arabisés. Ces derniers ont toujours combattu les Touaregs pour le contrôle des axes transsahariens et ils prolongent désormais cette attitude sous le couvert de l'islam radical. Le clivage ethno-religieux est bien réel, y compris au sein d'Ansar Eddine qui se proclame lui aussi djihadiste mais qui est à l'origine une composante radicale de la rébellion touareg. Ayad Ag Ghali, son fondateur, l'a, comme on le sait, créé après sa mise à l'écart de la direction future du Mnla par ses frères Iforas qui avaient servi dans l'armée libyenne. Comme il fallait à cette personnalité ambigüe et ambitieuse un espace d'existence, il a choisi de s'appuyer sur les salafistes, y compris, pour des raisons tactiques, d'avoir des accointances dans les rangs d'Aqmi. Telle une fatalité, la donne ethno-religieuse est également présente au sein d'Ansar Eddine. Le pouvoir d'Ayad Ag Ghali a assez vite été contesté par son commandant militaire, un Arabe nommé Omar Hamaha. Comme la bulle médiatique a davantage centré les projecteurs sur le Mnla, dont elle a surdimensionné le gabarit, l'envergure et la voilure, on a peu parlé de la division d'Ansar Eddine sur une base ethnique. Le mouvement est en effet divisé entre sa composante touareg qui veut l'indépendance de l'Azawad et sa fraction arabe qui y est totalement opposée, étant donné qu'elle revendique un califat islamique transnational. S'y est adjoint, enfin, un autre acteur, plus discret, le Mrra du colonel Ag Gamou, un Targui de la tribu des Imghad. Le Mouvement républicain pour la restauration de l'Azawad veut agglomérer les diverses populations du Nord comme les Songhay, les Peuls et les Arabes et certaines tribus touareg. Il rejette résolument l'islamisme tout en prônant l'autonomie de l'Azawad. Le Mrra bénéficie du soutien discret de l'Algérie qui ne veut pas, pour des raisons évidentes et légitimes, d'un Etat indépendant touareg ou d'une zone de non droit à ses frontières. De ce point de vue, l'Algérie a bien raison d'entretenir des passerelles avec à la fois Ayad Ag Ghali et, surtout, avec Omar Hamaha et par ailleurs avec le colonel Ould Meidou, un Arabe, ancien commandant de la région de Mopti. Ce choix est justifié notamment par le poids des Imghad au sein de l'ensemble touareg et du soutien que le Flna, l'autre mouvement indépendantiste de l'Azawad, pourrait apporter au Mrra. Le but tactique est naturellement d'affaiblir en même temps le Mnla et les salafistes. L'objectif stratégique de l'Algérie est de réaliser une large autonomie de l'Azawad autour de ses trois composantes ethno-géographiques, à savoir la partie Sud, le long du Niger, notamment peuplée par des Songhay et des Peuls ; la partie Nord, au cœur de l'Azawad, territoire des Touareg et l'ouest saharien, généralement arabe. Même «souhaitable et inéluctable», la solution militaire ne paraît pas garantir cet objectif. Sinon, on l'aurait déjà su. N. K.