Photo : Sahel Par Bahia Aliouche L'informel prend des proportions inquiétantes en Algérie. Il gangrène près de la moitié de l'économie nationale. Selon les dernières estimations, l'économie parallèle représente plus de 40 % du PIB, ce qui est extrêmement inquiétant, jugent les responsables gouvernementaux ainsi que les opérateurs économiques. Le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, estime que l'informel «n'est pas une menace mais une véritable organisation tentaculaire qui brasse les secteurs économiques les plus rentables avec un seuil de transactions au noir qui franchit la barre de 1 milliard de dollars». Et d'ajouter: «Si par le passé, le marché noir constituait un refuge pour une petite frange de la population sans revenu ou à la recherche de ressources financières supplémentaires pour subvenir à ses besoins, son expansion actuelle obéit de plus en plus à des objectifs occultes, des motivations de gains faciles, d'enrichissement illicite et d'évasion fiscale».D'après M. Boukahnoune, DG du contrôle économique et de la répression des fraudes au ministère du Commerce, sur les 35 000 importateurs recensés, 15 000 figurent sur le fichier national des fraudeurs, dont 12 000 sont mis dans ce fichier pour non-dépôt des comptes sociaux et 3 000 autres pour pratiques commerciales illicites.Selon des économistes, l'instauration du crédit documentaire (Credoc) obligatoire, dans le cadre de la loi de finances complémentaire de 2009, a orienté vers le marché parallèle une partie des opérations financières des acteurs du commerce extérieur, industriels et importateurs. Il existe même un mouvement de plus en plus étendu d'évasion de capitaux qui ont été soustraits au fisc.Ces opérateurs frauduleux occasionnent des dommages et préjudices économiques. Il s'agit, selon le DG du contrôle économique au ministère du Commerce, d'un montant «de plus de 1 000 milliards de dinars, soit 10 milliards d'euros». Un chiffre qui représente «20 % de la valeur réelle des transactions». Aussi, d'après le porte-parole de l'Ugcaa, «60 000 tonnes de produits agroalimentaires périmés sont écoulés au marché noir, annuellement». Le danger, selon M. Boulenouar, fait que «chaque Algérien consomme 2 kg de ces produits périmés (dérivés de lait, légumes secs, jus) sans le savoir». Ce responsable parle aussi de 2 000 points de vente informels recensés par son organisation.
Les lobbies de l'informel s'enracinent L'informel, selon M. Boulenouar, est surtout développé et entretenu par des lobbies extrêmement «puissants». Ces lobbies ne craignent ni services de répression des fraudes ni lois bancaires, et encore moins les nouveaux dispositifs mis en place. L'une des lois en 2011 qui devait permettre un début d'assainissement est celle relative aux transactions commerciales de plus de 500 000 DA et qui n'a pas été encore appliquée. Le ministre du Commerce parle d'un report et non d'un abandon. «Nous n'avons pas abandonné cette mesure, nous avons juste différé son application pour mieux préparer le terrain», avait-il expliqué. Pour réduire le phénomène de l'informel, l'exécutif gouvernemental s'est contenté de recourir à des mesures strictement commerciales telles que la création de marchés couverts et de proximité avec un financement de 10 milliards de dinars et l'exonération des commerçants nouvellement installés dans les sites aménagés de l'impôt forfaitaire unique pour les deux premières années d'activité.
Elaborer un véritable diagnostic de l'économie sous-jaçante Les économistes, le patronat ainsi que les associations de protection des consommateurs proposent d'élaborer un «véritable diagnostic de l'économie sous-jaçante». Des chefs d'entreprises proposent ainsi «un livre blanc» sur l'économie sous-jaçante, agrémenté d'un diagnostic détaillé sur ses réseaux et leurs soutiens.Les associations patronales ne cessent, quant à elles, de proposer des issues concrètes pour juguler l'économie informelle qui trouve la source de son enrichissement dans le cash et l'absence de traçabilité. Boualem M'rakech, président de la Confédération algérienne du patronat (CAP), souhaite la création d'un conseil national de contrôle des activités parallèles alors que le FCE, à travers sa série de propositions, recommande à ce propos «une amnistie fiscale en taxant à hauteur de 10 % seulement les montants déclarés au fisc puis déposés dans les banques». Selon cette organisation, d'autres propositions peuvent aussi être salutaires, à savoir «relever le plafond du chiffre d'affaires des entreprises et activités soumises à l'impôt forfaitaire unique à 30 millions de dinars, multiplier les marchés de gros, introduire une réforme profonde du système du registre de commerce et moderniser le système national d'information économique».
Absence d'une réelle volonté politique Des économistes considèrent que l'informel est à l'origine des flambées continuelles des prix et des violentes conséquences. Rappelons, à ce titre, que l'Algérie avait connu des violences meurtrières en janvier 2011. Les analystes ont dénoncé comme origine de ces violences l'augmentation des prix des denrées de base décidées par les grossistes, anticipant l'augmentation des sommes qu'ils devraient verser aux impôts après la mise en oeuvre, prévue alors pour mars 2011, de l'obligation de l'usage des chèques. Après les violentes émeutes, le gouvernement avait décidé de suspendre cette mesure. Selon des spécialistes, «l'Etat a cédé à la pression quasi-mafieuse des détenteurs des voies marchandes, informelles». Ceci, poursuivent-t-ils, illustre bel et bien le désengagement des pouvoirs publics à mettre en œuvre une politique socio-économique ambitieuse et une réelle volonté d'assainir l'économie nationale et de stimuler sa compétitivité. A ce titre, l'expert international péruvien, Hernando de Soto, considère qu'«éradiquer l'économie informelle est essentiellement un acte politique». Dans l'attente de voir cette volonté politique se concrétiser, l'informel continue à gagner du terrain ce qui pourrait augmenter la tension sociale.