De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Comment et par quel procédé surnaturel ou surhumain pourrait-on faire croire à des générations entières qu'il n'y a pas eu de massacres parmi les populations, d'exécutions sommaires, de tortures et de spoliations de biens pendant l'occupation française en Algérie, entre 1830 et 1962 ? Personne ne pourrait affirmer de telles contrevérités, sauf peut-être ces nostalgiques de l'Algérie française, qui persistent encore dans des élucubrations fantaisistes ne présentant aucun fondement historique sérieux aux yeux du monde entier, particulièrement des historiens qui convergent autour du caractère criminel et spoliateur de la colonisation. Dans la wilaya de Tizi Ouzou, capitale de la wilaya III historique, il existe encore les stigmates de l'acharnement de l'armée française sur la région de Kabylie depuis les années 1830 à la guerre de libération nationale, en passant par l'insurrection de 1871 et l'insurrection des années quarante menée par Krim Belkacem. C'est que l'engagement de la région était tellement profond que l'armée coloniale ne ratait aucune occasion de châtier de la manière la plus barbare sa population toujours à l'avant-garde de tous les combats contre l'occupation. Il existe néanmoins un secteur qui a été épargné par la logique destructrice de l'administration coloniale, y compris durant la période la plus meurtrière de l'histoire française en Algérie, c'est-à-dire de 1954 à 1962. En effet, le patrimoine archéologique a bénéficié d'une attention et d'un intérêt certains de la part des autorités et de l'administration coloniales. Non pas que les responsables de l'Etat français et ses sous-traitants en Algérie donnaient de l'importance à ce patrimoine dans son aspect culturel et historique algérien, mais parce qu'ils ont trouvé dans l'histoire de l'Algérie une petite fenêtre qui leur permettait de souligner la facette chrétienne du pays sur laquelle ils insistaient pour «justifier» un peu plus leur colonisation de la terre algérienne. Et c'est donc sans surprise que le patrimoine archéologique de l'Algérie a été bien entretenu et sauvegardé, et surtout mis en valeur, mais partiellement. Des fouilles ont été entreprises et des missions scientifiques ont été envoyées un peu partout pour dresser un répertoire et des rapports «scientifiques» confortant les thèses colonialistes. C'est ainsi que la présence byzantine et surtout celle romaine ont reçu toute l'attention des autorités coloniales, lesquelles ont insisté sur ces deux conquêtes au détriment de celles des musulmans et des Turcs qui ont duré plus longtemps et apporté tout autant si ce n'est plus. Cette préservation sélective du patrimoine culturel explique parfaitement l'arrière-pensée politique de l'administration coloniale quant à la négation de tout ce qui n'a pas trait à la chrétienté en Algérie. A Tizi Ouzou, il n'a pas été facile de récolter l'information relative au comportement de l'administration coloniale vis-à-vis des biens culturels de la région et des spoliations qu'auraient commises l'administration coloniale, les colons et les militaires français. Au niveau de la direction de la culture de la wilaya, un responsable dira qu'il n'y a rien au niveau de ses services qui indiquerait la destruction, la spoliation ou même le vol par l'occupant français des biens culturels locaux, avant de nous orienter vers la direction des moudjahidine dont nous n'avons pas réussi à joindre le premier responsable. Un responsable au niveau du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA), archéologue de formation, sera plus prolifique. Ce responsable confortera justement cette idée de sauvegarde du patrimoine historique et archéologique algérien par les occupants français de manière sélective, et ce, en vue d'imprimer à l'histoire l'orientation et la lecture politique voulues, à des fins de domination. Pour preuve, notre interlocuteur citera les nombreuses recherches menées et publiées, notamment par les missionnaires français présents en Algérie.