Pourquoi la revendication de la repentance de la France ne s'est exprimée qu'au début des années 2000 ? La réponse à cette question qui mériterait d'être posée nous renvoie à une succession d'événements ayant pris racine à la période d'ouverture démocratique du pays en 1989. Suite à l'autorisation des partis d'opposition et de la liberté d'expression qui s'en est suivie, les langues ont commencé à se délier en cassant divers tabous politiques, socioéconomiques, et bien plus, puisque la vague s'est étendue au domaine historique. En ce temps-là, historiens et politiques ont entrepris une réappropriation de la mémoire collective et porté un œil critique sur les différents événements ayant eu lieu durant la Révolution, jusqu'à parler de confiscation. Les visites de Pieds-noirs, harkis et d'anciens juifs, ont aussi apporté de l'eau au moulin de cette dynamique, puisqu'ils ont commencé à remuer le passé, en revendiquant des dédommagements de leurs biens laissés à l'indépendance du pays en 1962, de quoi susciter par là bien des questionnements sur leurs véritables desseins. Cela a contribué, aussi, à réveiller les vieux démons des nostalgiques de l'Algérie française, qui ont instrumentalisé ce débat, pour remettre en cause la légitimité du FLN et l'utilité de la Guerre de libération nationale et de l'indépendance de l'Algérie. Or, cette dynamique avait été cassée par le terrorisme, qui a remis en cause, non seulement l'Histoire, mais aussi jusqu'aux fondements de l'Etat républicain. Il a donc fallu attendre la fin de ce phénomène pour que remonte à la surface la question identitaire du peuple algérien. L'ouverture des archives aidant, 50 ans après l'indépendance, la question a repris de plus belle, favorisée par l'attitude ambigüe de la France, qui d'un côté fait pression sur la Turquie pour reconnaître le génocide arménien, reconnaît la responsabilité du régime de Pétain et des collabos dans le massacre des juifs et s'en excuse, et de l'autre fait négation de sa responsabilité des massacres commis durant ses 132 ans de colonisation de l'Algérie. Quoi de plus normal pour les Algériens que de demander à l'ancien colonisateur de reconnaître ses crimes, avant de procéder à la réparation matérielle des préjudices subis. Ce que d'aucuns appellent le devoir de repentance de la France officielle pour ses crimes coloniaux, qu'elle s'entête à refuser jusqu'à aujourd'hui. Pourtant il y a eu bien des tentatives. A commencer par les déclarations de l'ambassadeur de France à Sétif, à l'occasion de la commémoration des massacres du 8 mai 1945, qui ont servi d'étincelle à la revendication du devoir de reconnaissance de la France. Lors d'une visite à Sétif, le 27 février 2005, l'ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, en effet, qualifie les «massacres du 8 Mai-1945» de «tragédie inexcusable», lors d'une première reconnaissance officielle de sa responsabilité par la République française. L'envoyé de Chirac, faut-il le souligner ? a agi aussi en éclaireur pour jauger de la préparation de l'opinion française pour ouvrir cette brèche de la reconnaissance des crimes d'hier. Son successeur, Bernard Bajolet, a déclaré à Guelma en avril 2008 devant les étudiants de l'Université 8 Mai-1945 que le «temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie est terminé». Il déclare : «Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus les occulter. Le temps de la dénégation est terminé [...]. Le 8 Mai-1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, aux côtés des Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d'épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata [...] pour que nos relations soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l'Histoire soit écrite à deux, par les historiens français et algériens [...]. Il faut que les tabous sautent des deux côtés et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés.» Mais comme il fallait s'y attendre, ces petits pas de la France qui se dirigeait inexorablement vers une reconnaissance de sa responsabilité, dans quelques événements d'une somme d'exactions commises à l'encontre des Algériens, ont été stoppés par la réaction hostile d'une classe politique d'outre-Méditerranée nostalgique de la colonisation. Elle sera même auteure d'une loi votée par l'Assemblée française à majorité de droite, un 23 février 2005, glorifiant la colonisation et fermant la porte au devoir de repentance. Cependant, l'attachement des Algériens à cette revendication reste indéfectible et ne subira certainement pas l'effet du temps. A. R.