Synthèse de Rabah Iguer Si de «nouvelles relations sont à reconstruire entre l'Algérie et la France, elles nécessitent au préalable de décoloniser les esprits par une véritable reconnaissance des crimes coloniaux», a estimé, hier à Guelma, l'historien français Gilles Manceron. Au cours d'une conférence intitulée «la reconnaissance des crimes coloniaux, la France à la croisée des chemins», ce spécialiste du colonialisme français, également rédacteur en chef de la revue des droits de l'homme, en France, a affirmé qu'il «n'y a pas lieu de s'attendre à de grands procès». Cette thèse avait été, rappelle-t-on, abondamment étayée par les juristes intervenus samedi, lors de ce colloque organisé par l'université de Guelma sur «les crimes du 8 mai 1945 à la lumière des lois et conventions internationales», notamment par l'avocate française Nicole Dreyfus, qui a évoqué les raisons juridiques et politiques qui ont empêché l'aboutissement des procédures de poursuites, tentées pour le génocide du 8 mai 1945 dans les régions de Guelma et de Sétif, ainsi que pour les «ratonnades» opérées à Paris le 17 octobre 1961. Pour aboutir à cette «décolonisation des esprits», Gilles Manceron souhaite que l'Etat français «laisse travailler les historiens» et aille sans hésiter vers l'initiative «d'actes forts de reconnaissance qui doivent être suivis par des réparations aux victimes, sans toutefois que celles-ci ne soient un prétexte pour oublier les crimes passés». Poursuivant dans le même sens, l'auteur de «Marianne et les colonies» a dénoncé «les contradictions» du discours officiel en France, s'agissant du passé colonial, estimant que «l'on ne peut pas évoquer les droits de l'homme au sujet du massacre des Arméniens en Turquie, et en même temps refuser de reconnaître les crimes dont on assume soi-même la responsabilité». Cela pose, a-t-il dit, «un problème de crédibilité qui doit trouver une solution». Gilles Manceron a également souligné que les historiens doivent «accéder librement aux archives et travailler en toute indépendance» et, pour ce faire, il rejette la création par l'Etat d'une Fondation chargée de la mémoire et de l'histoire, tel que prévu par l'article 3 de la loi du 24 février 2005 sur «l'œuvre positive de la colonisation». Il a aussi rejeté la notion de «repentance» à laquelle il est plus logique, selon lui, de substituer le terme «reconnaissance». Une reconnaissance dont les prémices sont signalés par «la remise, certes tardive, des plans relatifs aux mines anti-personnel qui jonchent les zones frontalières, ainsi que l'indemnisation des victimes des essais nucléaires à Reggane, dans le Sahara algérien». Gilles Manceron a appelé, en outre, l'Etat français à «ne pas laisser faire les nostalgiques de la période coloniale, les anciens ultras et les anciens de l'OAS». «Ils ne doivent pas, selon lui, agir en toute impunité en France, au cours de manifestations glorifiant les crimes commis en Algérie». Il a rappelé, dans ce contexte, que «durant les évènements du 8 mai 1945 à Guelma, ce sont les milices civiles montées par le sous-préfet Achiary qui avaient joué le rôle le plus important dans les massacres de la population». Dans une déclaration à l'APS, en marge de sa conférence, l'historien Gilles Manceron a estimé que «les positions concernant le passé colonial doivent être clarifiées, et en toute transparence». La «stagnation» observée actuellement dans la poursuite du débat sur les crimes coloniaux sera dépassée si les responsables politiques cessent d'instrumentaliser l'histoire, tantôt en glorifiant le passé colonial pour des raisons électoralistes, tantôt reconnaissant les crimes dans un contexte d'intérêts bilatéraux avec des pays comme l'Algérie, a-t-il opiné.