«Je vous ai donné la paix pour dix ans; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable». Général Duval, le boucher du Constantinois «Le 8 mai 1945, tandis que la France fêtait la victoire, son armée massacrait des milliers d'Algériens à Sétif et à Guelma. Ce traumatisme radicalisera irréversiblement le Mouvement national. Désignés par euphémisme sous l'appellation d'"événements" ou de "troubles du Nord-Constantinois", les massacres du 8 mai 1945 dans les régions de Sétif et de Guelma sont considérés rétrospectivement comme le début de la guerre algérienne d'indépendance. Cet épisode appartient aux lignes de clivage liées à la conquête coloniale».(1) «Le 8 mai, le Nord-Constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras, et quadrillé par l'armée, s'apprête, à l'appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires: rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n'avait été donné en vue d'une insurrection. (...) Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres? La guerre a indéniablement suscité des espoirs dans le renversement de l'ordre colonial. (...) Le bilan des "événements" prête d'autant plus à contestation que le gouvernement français a mis un terme à la commission d'enquête présidée par le général Tubert et accordé l'impunité aux tueurs. Si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d'ombre. Les historiens algériens continuent légitimement à polémiquer sur leur nombre.(...) La guerre d'Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945».(1)Pour les Algériens, cette répression, à laquelle avaient participé des milices de civils, aurait fait 45.000 victimes. Du côté français, le bilan oscillerait entre 1500 et 8000 morts. Voilà pour l'un des massacres, l'avant dernier en date du calvaire de l'Algérie avant l'hécatombe de la Révolution de 1954 qui fit des centaines de milliers de morts. De fait, la longue chaîne des 8 mai 1945 en Algérie a vu le jour un certain matin de juillet 1830. Pendant 132 ans, la France autoproclamée des droits de l'Homme- pétrie du, dit-on «siècle des Lumières» -et qui furent à bien des égards «un siècle des ténèbres» pour les peuples faibles- n'a cessé de réduire les Algériens par des massacres sans nom. Elle n'a cessé aussi de déstructurer le tissu social au point de problématiser, encore de nos jours, l'identité des Algériens, et d'avoir semé dans nos têtes le virus de la soumission intellectuelle au point que tout ce qui vient «de l'autre coté» est du pain béni. Cette colonisation inhumaine avec son cortège funèbre a broyé des millions de vies humaines et traumatisé une société qui peine à se redéployer. Point d'orgue de cette aventure coloniale: pour des raisons qui ne sont pas, comme on se plaît à le dire, électorales mais plus profondes qui plongent, le croyons-nous, leurs racines dans le mythe de la race blanche supérieure d'essence chrétienne, théorisé en France par les Renan, Gobineau et Jules Ferry, l'Assemblée nationale française par la loi du 23 février 2005 confirme que la colonisation n'était pas un erreur, qu'elle a civilisé et que son oeuvre était positive. Examen de conscience Qu'est-ce au juste la repentance? La repentance désigne la manifestation publique du sentiment personnel qu'est le repentir pour une faute que l'on affirme avoir commise et dont on demande le pardon. La repentance fait suite à un renouvellement de la théologie catholique intervenu lors du concile Vatican II. Les principaux points ayant fait l'objet de repentances à la demande de Jean-Paul II sont: l'attitude des chrétiens par rapport au judaïsme, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi et surtout la culture anti-judaïque développée par l'Eglise dans son histoire. Dans le judaïsme, il existe les «Asseret Yemei Teshouva» (en arabe 'Acharet ayam thaouaba, en français dix jours de repentance). L'Islam définit la repentance (athaouba): comme la cessation du mal commis et intention sincère de se repentir. Dans le droit civil, la repentance est la reconnaissance d'un dommage, dans le droit public elle est en relation avec l'usage diplomatique des excuses officielles entre deux Etats. Du point de vue idéologique, la repentance revêt une autre forme: au Viêt Nam, dans les camps de prisonniers communistes, le programme de rééducation idéologique comportait l'obligation pour les prisonniers français de faire repentance pour les crimes commis par leur pays. Pour en revenir à la repentance, on nous a appris en philosophie que les trois étapes de la conscience en face d'une situation de conflit moral sont d'abord le regret de l'arrivée de l'événement, ensuite si les regrets ne suffisent pas la conscience étant tiraillée, l'individu éprouve des remords d'avoir été amené à cette situation détestable. La dernière est le refus de l'acceptation de la situation de remords la considérant comme insuffisante, l'individu veut alors agir pour «effacer» sa faute. C'est le repentir ou la repentance. Pour l'histoire, le 14 juin 2000, le président de la République Abdelaziz Bouteflika, prononça un important discours devant l'Assemblée nationale française, en s'adressant à son hôte Jacques Chirac. Il s'attacha à lui suggérer, en des termes soigneusement pesés, l'idée d'une déclaration de repentance de la France pour ses méfaits passés en Algérie. Reconnaissant que «la colonisation, au siècle dernier, nous a ouverts à la modernité», il ajouta aussitôt que «c'était une modernité par effraction, une modernité imposée qui a engendré le doute et la frustration, tant il est vrai que la modernité se discrédite quand elle prend le visage grimaçant de l'oppression et du rejet de l'autre». (...) «Si la colonisation a pris fin, ses conséquences, qui sont loin d'être épuisées, la maintiennent toujours sur la sellette. S'en laver les mains, même à quarante ans de distance, c'est emboîter le pas à une pratique politique digne d'un Ponce Pilate.» Par une habile transition, le président évoqua ensuite les exigences d'une ère nouvelle, où nous voyons l'humanité «procéder impavidement aux révisions les plus déchirantes, aux examens de conscience les plus intrépides. De vénérables institutions, comme l'Eglise, des Etats aussi vieux que le vôtre, Monsieur le Président, n'hésitent pas, aujourd'hui, à confesser les erreurs, et parfois les crimes les plus iniques, qui ont, à un moment ou à un autre, terni leur passé. (2) Quelle fut la réaction bien plus tard? Je vous livre celle des porte-parole de la droite la plus extrême. En finira-t-on jamais?´´, lit-on dans le quotidien français Le Figaro, sous la plume d'Ivan Rioufol. ´´Faire reposer la colonisation et l'esclavage sur la seule responsabilité de la France, en taisant les siècles d'implantation musulmane en Espagne ou dans les Balkans et les traites humaines organisées par les Africains ou les Arabes, est un procédé proche du lavage de cerveau. Cette maltraitance de l'histoire, destinée à satisfaire les nouvelles communautés, ne peut qu'aviver les ressentiments, poursuit le journal. Le même Ivan Rioufol écrit à propos de la France: «(...) Une société post-nationale est en train de s'édifier sur un trou de mémoire», nous refuse de vouloir sortir de notre trou de mémoire? Ivan Rioufol défend les idées les plus abjectes dans son livre La fracture identitaire. Nous citons: «Les Français: un vieux peuple qui, comme un sucre, peut se dissoudre et disparaître». ‘‘Réveillez-vous, assez de honte! (...) Redevenez la grande France!'' ‘‘Le nouveau racisme antifrançais se délecte (des) procès en déshonneur qui justifient tous les mépris, toutes les injures''. ‘‘Une tentative de déculturation de la société est en marche. Et une résistance s'impose si l'on ne veut pas entendre, demain, de nouveaux maîtres dénoncer, en France, le Nouvel An comme étant contraire aux valeurs musulmanes(3)''. Ivan Roufiol, avant et après lui Max Gallo, Pascal Bruckner avec sa «tyrannie de la repentance» ont idéologisé «la non-repentance». Nous le voyons, la repentance n'est pas à l'ordre du jour. Le président de la République Nicolas Sarkozy a souvent utilisé ce terme, au cours de la campagne de 2007. Le dimanche 6 mai 2007, soir du 2e tour de l'élection présidentielle, il prononce cette phrase: «Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres.» Nous y voilà! Il n'y aura pas de repentance. Olivier Le Cour Grandmaison écrit à ce propos: ´´Repentance´´, ‘‘guerres des mémoires´´, ‘‘communautarisme´´: tels seraient, selon certains universitaires, essayistes, philosophes et responsables politiques, les nouveaux maux qui menacent l'unité de la France et les institutions républicaines. (...) Plus singulière encore que cette mode soudaine, plus significative également, est l'émergence d'une improbable coalition aussi inédite qu'hétéroclite qui témoigne de façon exemplaire des mutations politico-intellectuelles de ces dernières années et de la formation d'une nouvelle ligne de front. En dépit d'oppositions indéniables par ailleurs, s'y retrouvent des hommes et des femmes convaincus de mener un combat essentiel pour sauver le pays réputé menacé par les mobilisations irresponsables des «Repentants» qui exigent des plus hautes autorités de l'Etat qu'elles reconnaissent enfin les crimes coloniaux commis au temps de l'empire triomphant. (..) Les «Repentants?» Une vaste et très incertaine nébuleuse en vérité, aux frontières infiniment variables, créée pour les besoins de la cause et pour faire croire à l'imminence de nombreux périls. (...) L'essentiel est de forger une représentation hyperbolique de la situation liée au fait que les «Repentants» seraient animés par une détestation commune de la France et de son histoire selon certains, de l'Europe et de l'Occident pour d'autres. De là, cette union nationale d'un genre nouveau exigée par l'ampleur des menaces qu'il faut conjurer. Qu'on en juge. De l'extrême droite, qui n'a jamais renié son soutien aux partisans de l'Algérie française, à certains professeurs d'université en passant par l'hebdomadaire Marianne, la revue Le Débat [2], l'UMP et le chef de l'Etat, la dénonciation de la repentance est devenue l'urgence du moment. Ainsi mobilise-t-elle tous les défenseurs autoproclamés de la France qui luttent contre ces nouveaux dangers que sont la «guerre des mémoires» et le «communautarisme» présentés comme des atteintes particulièrement graves à son unité, voire aux fondements mêmes de la République. Daniel Lefeuvre conclut par cette mise en garde alarmiste: «Belle évolution en perspective -peut-être même en cours -, qui amènerait à créer (...) un patchwork de communautés, avec leurs spécificités, leurs règles, leurs droits, leur police, leur justice (...). Une France où l'on serait blanc, noir ou arabe, chrétien, juif ou musulman -éventuellement athée -avant d'être français. Bref, une France de l'Apartheid. [3]» De même Pascal Bruckner qui, adepte d'une psychologie collective sommaire, affirme doctement: «La pénitence est devenue une idée dominante» bien faite pour «flatter le narcissisme de certaines minorités. [4]»(4) «Qu'est-il reproché aux hommes et aux femmes qui souhaitent que l'Etat reconnaisse les crimes coloniaux commis par la France? (...) Sans doute est-ce au moment où la commémoration de la destruction des Juifs d'Europe est devenue consensuelle que tout autre exigence mémorielle a été perçue, par beaucoup, comme un désordre politique et une inconvenance morale témoignant d'une "surenchère victimaire" inacceptable parce que dangereuse. (...) Quel est donc cet enchaînement présenté comme fatal qui conduirait à accorder moins d'importance au génocide juif dès lors que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, perpétrés dans les colonies, seraient reconnus? (...) Dans ce contexte, l'expression "banalisation d'Auschwitz" fait partie de ces locutions ´´magiques´´, ou diaboliques qui, en raison de leur pouvoir d'intimidation et de stigmatisation, se suffisent à elles-mêmes et dispensent ainsi leurs utilisateurs de la nécessité de justifier leur position. (...) "Guerre des mémoires" et "surenchère victimaire", telles sont donc les expressions communes qui prolifèrent aujourd'hui. (...) Sous couvert de désignation et de qualification prétendument objectives, prospère en fait la disqualification de revendications légitimes et de ceux qui les portent».(4) L'industrie de l'Holocauste On le voit, s'agissant de la Shoah, les crimes de l'Occident sont impardonnables ad vitam aeternam. L'Occident doit non seulement continuer à passer à la caisse. Ce que l'on appelle aussi l'industrie de l'Holocauste est une réalité. Mais de plus l'Occident doit s'interdire d'ouvrir et doit interdire du même coup d'évoquer les sujets tabous sous peine d'être puni. L'Occident chrétien doit constamment prouver à Israël qu'il est antiantisémite et dans les faits anti-antisioniste, l'amalgame est entretenu savamment. Pour ce faire, il doit sacrifier les Palestiniens, ses relations avec le Monde arabe, et, plus grave, prendre le risque d'un clash des civilisations que Samuel Huntington avait appelé de ses voeux. Qui peut, en définitive, «obliger» ou «amener» quelqu'un à se repentir sinon le plus fort ou le plus humain? Nous ne remplissions aucune des deux conditions. Notre adversaire intime n'a pas le magistère moral pour regarder son crime en face, au contraire il assume revendique et selon il s'absout pour des actions commises par leurs ancêtres sauf dans le cas d'Israël. Les ambassadeurs de France en Algérie, ont invoqué ces dernières années, timidement, la tragédie inexcusable et ont déclaré aussi que le ´´temps de la dénégation´´ des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie ´´est terminé´´. La France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. On comprend que dans cette logique, il n'est pas question pour la France de reconnaître à l'image des Etats-Unis vis-à-vis du Vietnam, sa Faute. Quand on pense qu'il a fallu près de cinquante ans pour que la France reconnaisse enfin que les «événements d'Algérie» étaient une guerre, un simple calcul nous montre qu' en l'an de grâce 2150, la France se repentira, peut-être de son «devoir de civilisation» en Algérie. Il serait peut-être indiqué de tourner la page sans la déchirer, ce sera pour les Algériens un signe de grandeur d'âme, de maturité et de singularité. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Mohamed Harbi: La guerre d'Algérie a commencé à Sétif. Le Monde Diplomatique mai 2005 2.Discours du Président Abdelaziz Bouteflika, Assemblée Nationale Française. Juin 2000. 3.Ivan Roufiol: En finira-t-on jamais? Le Figaro, 16 mai 2008 4.Olivier Le Cour Grandmaison: Usages et mésusages de la repentance http://www.mouvements.info/spip.php?article355 13 Décembre 2008