Des dizaines de milliers de personnes ont assisté, hier, aux funérailles de l'opposant assassiné Chokri Belaïd, criant leur colère contre le pouvoir islamiste en Tunisie et scandant des slogans contre Ghannouchi. Les funérailles ont pris des allures de manifestation contre le parti islamiste au pouvoir Ennahda, accusé de cet assassinat sans précédent dans les annales contemporaines du pays. La Tunisie est au cœur d'une transition difficile depuis la chute du régime Benali. La tension politique s'est exacerbée depuis plusieurs mois. Et le pays se trouve plongé dans une crise aiguë et peinant à trouver un semblant de stabilité politique. Pour les funérailles de l'opposant Chokri Belaïd, assassiné de trois balles tirées à bout portant devant son domicile mercredi à Tunis, le pays était paralysé par une grève générale à l'appel de partis et de la puissante centrale syndicale l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt). Belaïd était un opposant particulièrement farouche aux islamistes et dirigeait le Parti des Patriotes démocrates qui avait rejoint l'alliance «Front populaire», fédérant une dizaine de groupuscules d'extrême gauche et nationalistes arabes. C'est avec des slogans comme «Ghannouchi assassin», «Ghannouchi prend tes chiens et pars» que le cortège mortuaire s'est dirigé vers le cimetière. D'autres villes du pays ont connu des marches contestataires devant les principales administrations, à l'image de Zarzis dans le sud, autre point chaud près de la frontière libyenne, à Gafsa au centre, et à Sidi Bouzid, symbole de la révolution de 2011. Dans ces villes et ailleurs, des centaines de personnes ont défilé en scandant «Assassins» et «Chokri repose toi, on continuera ton combat». Le pays tournait au ralenti après l'appel à la grève, tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés à l'aéroport de Tunis-Carthage. Dans la capitale, les rues étaient largement vides et les rames du tramway désertés. La grève, la première de cette ampleur depuis 2011, intervient dans un contexte économique et social très tendu, les manifestations et conflits sociaux, souvent violents, se multipliant en raison du chômage et des difficultés économiques. L'état d'urgence est en vigueur depuis la révolution, les autorités cherchant à rétablir la sécurité après la recrudescence des violences, les plus graves ayant impliqué des groupuscules islamistes extrémistes. L'assassinat de l'opposant a aussi aggravé la crise politique. Le parti Ennahda au pouvoir est plus que jamais au cœur de la tourmente. Des divisions sont apparues entre modérés représentés par le Premier ministre, Hamadi Jebali, et numéro deux du parti et une frange plus dure qui n'entend pas lâcher une once du pouvoir. Jebali avait appelé à un gouvernement restreint de technocrates. Appel qui n'a pas été du goût du mouvement d'Ennahda qui a de fait désavoué un de ces cadres. Le chef du groupe parlementaire Ennahda, a opposé une fin de non-recevoir à cette solution transitoire estimant que le chef du gouvernement a pris cette décision sans consulter la coalition gouvernementale ni le parti. M. B./Agences
Réactions internationales à l'assassinat de Chokri Belaïd La CSI dit non au retour de la «main rouge»* La Confédération syndicale internationale (CSI) a condamné fermement l'assassinat d'un des leaders de l'opposition tunisienne, Chokri Belaïd, et elle exprime son plein soutien à l'appel à la grève générale lancé par son organisation affiliée tunisienne l'Ugtt. Entre stupeur et colère, la réaction de la population tunisienne a été immédiate et des milliers de manifestants ont envahis les rues de la capitale et celles de nombreuses villes dans les différentes régions. «La situation en Tunisie reste plus que préoccupante», a déclaré Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI. «Cet assassinat est intolérable et s'inscrit dans la lignée d'attaques répétées ces derniers mois contre les dirigeants syndicaux, des journalistes, des militants politiques ou de simples citoyens. Berceau du printemps arabe, la Tunisie vit aujourd'hui des heures graves et dangereuses. Acteur historique de la révolution et pivot incontournable de la transition vers la pleine démocratie et la justice sociale, l'Ugtt peut compter sur le soutien total du mouvement syndical international.» Soutenant l'appel de l'Ugtt à une journée de deuil national ce vendredi, la CSI appelle également à ce que tout soit mis en œuvre pour qu'une enquête complète soit menée afin de retrouver et juger les responsables de la mort de Chokri Belaïd. La CSI réitère aussi ses inquiétudes suite aux attaques répétées dont l'Ugtt a déjà été la cible, notamment en décembre dernier. «Nous restons extrêmement vigilants pour nous assurer du respect des engagements des autorités tunisiennes à mettre un terme à la violence antisyndicale et à poursuivre en justice les auteurs», a conclu Sharan Burrow. * Nom de l'organisation paramilitaire responsable de l'assassinat du leader syndical tunisien Farhat Hached en 1952. Ban-Ki moon condamne l'assassinat de Belaïd Le Secrétaire général de l'ONU, Ban-Ki-moon, «condamne fermement l'assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates et un des dirigeants du Front populaire en Tunisie. Des progrès importants ont été réalisés dans la transition en Tunisie. Cependant, beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le processus constitutionnel et pour répondre aux attentes du peuple tunisien sur les plans économique et social. Le Secrétaire général encourage les autorités à faire avancer le processus de réforme. Les actes de violence politique ne devraient pas faire dérailler la transition démocratique de la Tunisie», a déclaré le porte-parole de Ban Ki-moon. Navi Pillay condamne l'assassinat de Chokri Belaïd, qui faisait campagne contre la violence politique La Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, a condamné mercredi l'assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates et l'un des dirigeants du Front populaire en Tunisie. M. Belaïd a été abattu mercredi matin, alors qu'il quittait son domicile dans la capitale, Tunis. «J'ai été extrêmement attristée par la nouvelle choquante du meurtre de M. Belaïd», a déclaré Mme Pillay dans un communiqué de presse. «Il était un grand défenseur des droits de l'Homme et des valeurs démocratiques et un farouche adversaire de la violence politique, qu'il avait publiquement dénoncée, hier encore (mercredi dernier), comme une attaque contre le processus démocratique dans le pays». La Haut Commissaire a rappelé que le crime a été commis dans un contexte de violences politiques croissantes, notamment des attaques contre les locaux et les réunions de partis politiques et le meurtre d'un autre dirigeant politique dans le Sud de la Tunisie en octobre dernier. «Je condamne fermement ces actes qui, comme M. Belaïd l'avait lui-même dit très clairement, menacent de porter gravement atteinte à la transition démocratique dans la Tunisie postrévolutionnaire. J'appelle tous les acteurs, tant du gouvernement que de la société civile, à s'unir derrière la campagne de M. Belaïd contre la violence politique. Ceci permettrait, au moins, de lui rendre un hommage digne pour son travail inestimable accompli en tant que militant des droits de l'Homme et opposant à la violence.» Navi Pillay a appelé les autorités à prendre des mesures rigoureuses afin d'enquêter sur son meurtre et d'autres crimes apparemment commis pour des raisons politiques et à fournir une meilleure protection aux personnes qui, comme Chokri Belaïd, ont été menacées et sont manifestement en danger.