Les Bourses se sont emballées des deux côtés de l'Atlantique. L'indice phare américain, le S&P500 qui regroupe les plus grandes entreprises américaines, a même frôlé fin janvier son niveau historique d'octobre 2007. Le Dax, l'équivalent allemand du CAC 40 français a bondi de 22% en un an. En France et dans les autres pays de la zone euro, le rebond a été plus modeste, mais tout aussi notable. En Italie, la bourse a progressé de 7%, en Espagne de 3% sur le seul premier mois 2013. Il y a eu, certes, un passage à vide début février, qui a effacé les gains obtenus en début d'année, quand la crise de l'euro a refait surface. Il y aura sans doute d'autres soubresauts, provoqués notamment par les incertitudes politiques avec les élections italiennes ou les dernières accusations qui pèsent sur le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy. Mais, rien qui puisse remettre en cause la tendance de longue période. A écouter nombreux opérateurs boursiers, le pessimisme ne fait plus recette. Une question se pose: sommes-nous face à des marchés capables d'anticiper un retournement de tendance et une reprise économique proche et pérenne? Pour le moment, les bourses européennes n'évoluent pas en phase avec les fondamentaux économiques. Le chômage atteint un niveau record à 11,8% de la population active. Il concerne près de 18 millions d'Européens. La production industrielle continue de se contracter avec un recul de 3,5% en novembre 2012 par rapport à l'année précédente. Les stocks se réduisent, laissant peu de marges de sécurité pour les entreprises. Les pays de la périphérie de la zone euro (Grèce, Portugal, Espagne...) sont asphyxiés par leurs plans d'austérité. La consommation et l'investissement sont en berne. Pourtant, depuis le début de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a abreuvé le marché de liquidités pour que le système bancaire ne se grippe pas. Plus de 1 000 milliards d'euros de prêts ont été accordés aux banques à des taux très avantageux. En contrepartie, celles-ci devaient soutenir la croissance en prêtant davantage aux ménages et aux entreprises. Mais les courroies de transmission entre la politique monétaire et la sphère réelle sont restées bloquées. Le crédit au secteur privé s'est contracté. L'ensemble des prêts s'est replié de 0,7% en décembre. La dégradation s'est même accélérée pour les entreprises avec un recul de 2,3% en rythme annuel.
La BCE responsable Cette contraction du crédit témoigne de la persistance inquiétante de la frilosité des banques à financer l'économie. Elle démontre aussi toute la difficulté pour les entreprises européennes de lancer de nouveaux projets d'investissement dans un environnement sans visibilité. Alors, pourquoi les cours de bourse grimpent-ils? Les marchés financiers se sont déconnectés du monde réel au moment où Mario Draghi, le président de la BCE, a assuré que tout serait fait pour préserver l'euro. C'était en juillet 2012. Depuis, les marchés ont de fait écarté le risque d'éclatement de la zone euro. Les investisseurs sont revenus petit à petit sur les pays périphériques. Mario Draghi ne s'est pas arrêté là. Il vient d'annoncer en ce début d'année 2013 que l'économie européenne sortira la tête de l'eau au second semestre. Certains l'envisagent même dès le second trimestre. Depuis les mots salvateurs du président de la BCE, les indices boursiers progressent presque sans discontinuité. Déjà quelques signes avant-coureurs de reprise se profilent. L'activité de la zone euro s'est améliorée en janvier sous l'impulsion du secteur privé en Allemagne. La confiance des entreprises allemandes revient, et le chômage outre-Rhin atteint 6,8% de la population active, soit un niveau proche de son plus bas record d'après la réunification du pays. Compte tenu des incertitudes qui freinent les entreprises dans leur projet d'investissement, la reprise économique en Europe viendra d'une relance de la demande externe. Les Etats-Unis ont montré des signes tangibles de reprise depuis l'automne. La Chambre des représentants semble vouloir à tout prix trouver un consensus pour éviter les baisses de dépenses publiques prévues pour cette année qui pourraient fragiliser la croissance. Il y a donc de fortes chances de voir les principales composantes du PIB américain –la consommation et l'investissement– progresser en 2013 et soutenir ainsi les exportations européennes. La Chine après son atterrissage en douceur en 2012, devrait aussi se remettre sur le chemin d'une croissance soutenue et dynamiser sa demande de produits étrangers.
Regain hors zone euro L'Allemagne, la championne de la zone euro à l'export, pourra sans aucun doute profiter de ce nouveau regain d'activité hors zone euro. Déjà l'an passé, dans un contexte économique mondial plutôt morose, ses exportations ont progressé de 4,1%. Plus globalement, les soldes courants des pays de la zone euro se sont améliorés. Mais ce n'est pas tant le reflet d'une meilleure compétitivité que celui du creusement de la demande interne. Et la récente appréciation de l'euro, qui a progressé de 3% en janvier, laisse craindre une poursuite de la détérioration des termes de l'échange pour une grande partie des pays membres. Seule l'Allemagne, a priori, profitera dans un premier temps d'un rebond du commerce mondial. A charge ensuite pour l'économie allemande de répercuter ce regain de dynamisme au niveau local. C'est d'ailleurs ce qu'a expliqué en filigrane le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, en janvier: «Je pense qu'en ce moment, alors que nous avons besoin de croissance, ceux [...] qui sont en mesure de mener des politiques de croissance devraient le faire.» Lorsque le consommateur allemand se mettra à consommer, il adressera un signal de reprise au reste de la zone euro. Pour l'instant, son attentisme reste inquiétant. La consommation privée en Allemagne n'a progressé que de 0,8% en 2012 malgré une hausse substantielle du salaire moyen. La France a aussi son rôle à jouer. La relance de l'investissement reste le nerf de la guerre. Si les incertitudes se dissipent, les réformes structurelles sont menées, et si les conditions de crédit se normalisent, alors les entreprises européennes pourraient investir de nouveau. C'est cette relance de l'investissement qui permettra le recul du chômage. Mario Draghi a résumé la situation ainsi : «Le contexte est plus favorable qu'il ne l'était il y a un an.» Reste à combiner les effets porteurs venus de l'extérieur de la zone euro avec la poursuite des avancées substantielles sur le front de la construction européenne. La croissance reviendra alors sans doute plus tôt que prévu. S.V. In Slate.fr