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«L'entrée en vigueur du SCF, en 2010, a remis en cause les avantages de leasing»
Nacer Hideur, secrétaire général d'Al Baraka Bank Algérie à la Tribune :
Publié dans La Tribune le 10 - 03 - 2013


Photo : M. Hacène
Entretien réalisé par Salah Benreguia
La Tribune : Introduit sur le marché national depuis plus de deux ans, le leasing en Algérie tarde à atteindre sa vitesse de croisière. A votre avis, pourquoi cette activité, largement développée dans plusieurs pays du monde demeure, oserions-nous dire, au stade embryonnaire ?
Nacer Hideur : L'introduction du leasing en Algérie remonte aux années 1990. La banque Al Baraka d'Algérie a été le précurseur dans la propagation de ce nouveau produit financier en Algérie du fait de sa compatibilité avec les principes de la shari'a islamique qui régissent son activité. Cette conformité aux règles de la shari'a résulte du fait que la Banque ne prête pas les fonds destinés à l'acquisition du bien financé moyennant des intérêts constituant un Riba au regard de ces préceptes mais achète directement le bien en question pour le donner en location au client avec option d'achat en fin de contrat. Pendant plusieurs années, notre banque a été le seul établissement à pratiquer le leasing domestique comme instrument de financement des investissements des opérateurs économiques. Cependant, ce n'est qu'à compter des années 2000 que le leasing a commencé à connaitre son essor en Algérie à la faveur de la promulgation de la
l'ordonnance 96-09 du 10 janvier 1996 relative au crédit-bail et surtout grâce à la levée des contraintes fiscales et administratives qui entravaient le développement de ce produit. Les pouvoirs publics ont été à l'écoute de la communauté bancaire en adoptant la plupart des propositions formulées par cette dernière par l'entremise de l'Abef en vue de favoriser la promotion du leasing en Algérie. Malgré l'avancée remarquable enregistrée par le crédit-bail avec la multiplication des départements bancaires et des sociétés spécialisées dans le leasing - aujourd'hui au nombre de 9- cette activité est restée au stade embryonnaire comme vous le dites comparativement aux autres pays émergents dont nos voisins tunisiens et marocains. Le taux de pénétration du leasing en Algérie reste en deçà de 1% tandis qu'il est supérieur à 15 % chez nos deux voisins.

Toutefois, votre banque est leader en la matière. Pouvez-vous nous faire un petit aperçu de ce segment d'activité
En dépit de la faiblesse du taux de pénétration du crédit-bail en Algérie, ce produit connaît un engouement auprès des PME et enregistre un taux de croissance annuelle remarquable avec une progression de 23 % en 2012. Le marché potentiel du leasing est estimé par les
professionnels à 100 milliards de dinars alors que l'encours global à fin 2012 avoisine 50 milliards de dinars et la production de cette année se situe à 30 milliards de dinars. C'est dire que les acteurs actuels du leasing sont loin de couvrir les besoins du marché.
La banque Al Baraka d'Algérie occupe actuellement la position de leader avec près de 13,5 milliards de dinars. Afin d'amplifier notre contribution dans ce secteur et mieux répondre aux besoins spécifiques de certains opérateurs, nous avons initié un projet de création d'une société de Ijara Shari'a compatible en partenariat avec la Société islamique pour le développement du secteur privé, filiale de la Banque islamique de développement et, enfin, le Fonds national d'investissement. A travers ce projet, nous escomptions atteindre d'autres segments de clientèle et intensifier l'offre de services financiers conformes à la shari'a très sollicités par les petites entreprises, les professions libérales et artisanales. En effet le gros de la demande pour le leasing émane de cette population, laquelle, faut-il le rappeler, représente, en nombre, 97% du tissus économique du pays. Le leasing mobilier constitue pour elle l'instrument idéal de financement de l'outillage standard de production des biens et services tels que le matériel de transport, de manutention, de levage, le petit outillage, l'équipement médical. Quant au leasing immobilier il sert à financer l'acquisition ou la construction des locaux professionnels.

Certains disent que les entreprises sont réticentes pour opter pour ce mode de financement. Alors, dans ce cas, faudrait-il revoir à la baisse le taux d'intérêt (loyer) appliqué par les banques (9% hors taxes) afin d'enregistrer un véritable engouement dans cette activité ?
S'il est vrai que le leasing reste un mode de financement bancaire des investissements, on ne raisonne pas dans le métier, du moins pour ce qui est de sa version shari'a compatible en taux d'intérêt mais plutôt en terme de loyers. En effet, il s'agit d'une opération de location dont les loyers devraient constituer une charge d'exploitation déductible d'impôt pour le crédit preneur qui fait ces comptes sur cette base. Certes, les Etablissements de crédit-bail déterminent le montant de leurs loyers à partir d'un taux de rendement annuel du capital investi dans chaque opération, mais les loyers ainsi calculés sont rapprochés avec les cash-flow prévisionnels du crédit-preneur pour s'assurer qu'ils sont suffisants à la fois pour couvrir les échéances et ses autres charges de fonctionnement. D'une manière générale, la clientèle du crédit-bail est plus exigeante en termes de célérité de traitement des dossiers et de qualité du service qu'en matière de taux du crédit même si ce dernier est plus élevé que celui du crédit bancaire ordinaire. Il ne faut pas aussi oublier que ce produit s'adresse à une catégorie d'entreprises qui ne sont pas éligibles, en général, aux crédits bancaires classiques et n'offrent comme garantie que la propriété du bien loué lui-même. En outre, il convient aussi d'avoir à l'esprit que les sociétés de crédit-bail empruntent sur le marché leurs propres ressources financières et supportent de ce fait un coût qu'elles doivent couvrir par leurs marges sur les loyers facturés.

Les pouvoirs publics, via le Premier ministre, M. Sellal, ont instruit, le 10 décembre 2012, les différents Etablissements financiers, d'offrir un statut dérogatoire aux sociétés de leasing en matière d'amortissement fiscal, en vue de leur permettre d'améliorer leur performance et leur présence aux côtés des PME.
Cette instruction est-elle suffisante pour le décollage de l'activité, ou nécessite-t-elle d'être accompagnée par d'autres mesures ?
La promotion du leasing en tant qu'instrument de diversification et d'élargissement des moyens de financement des PME implique la préservation de sa compétitivité et de son attractivité pour ce segment d'entreprises. Grâce au régime comptable et fiscal adaptés aménagés par les pouvoirs publics, avant 2010, les crédit-preneurs trouvaient dans ce produit beaucoup d'avantages : Conformité à la shari'a; amortissement accéléré du bien; achat des équipements en franchise de TVA et paiement fractionné de cette dernière sur les loyers; neutralisation des frottements fiscaux dans le crédit-bail immobilier etc.. Malheureusement, tous ces avantages ont été remis en cause par l'entrée en vigueur du nouveau système comptable et financier (SCF) en 2010. L'alignement du traitement comptable du crédit-bail sur le crédit conventionnel, au nom du sacro-saint principe de la primauté de «la réalité économique sur l'apparence
juridique», a fait perdre au leasing son originalité, sa spécificité et du coup son attractivité. Les praticiens avaient tenté, en vain, de convaincre les autorités de l'inadaptation des règles du SCF au crédit-bail et de l'opportunité pour l'épanouissement de ce mode de financement de l'exclure tout simplement du champ d'application du nouveau système comptable.
Des pays qui avaient une comptabilité patrimoniale comme la nôtre et qui ont commencé à appliquer les normes IFRS bien avant nous, tels que la France, ont maintenu le mode de comptabilisation antérieur du leasing. Seuls les établissements de crédit-bail et les sociétés crédit-preneurs cotées en Bourse étaient tenus de retraiter leurs comptes aux fins de communication financière. Chez-nous, les autorités se sont contentées d'instaurer un régime transitoire permettant le retraitement fiscal des échéances en loyers et en produits selon le cas. Ce régime a expiré au 31 décembre 2012 ce qui repose les problèmes fiscaux et juridiques dans toute leur acuité.
Il est à espérer que les dernières directives de Monsieur le Premier ministre recentreront le débat sur les vrais enjeux économiques et sociaux plutôt que de s'accrocher à des considérations dogmatiques de formalisme comptable totalement déconnectées des réalités de
l'entreprise algérienne. La dimension juridique et patrimoniale dans le crédit-bail est loin d'être une fiction mais une réalité concrète et
incontournable. Lorsque les avions de Khalifa Airways remplissaient la piste de l'aéroport international Houari Boumedienne, tout le monde y voyait le signe de la puissance de cette jeune compagnie. Le jour où elle avait cessé d'honorer les redevances des crédit-bailleurs étrangers qui avaient financé ces appareils, ceux-ci ont vite fait de résilier les contrats de leasing les liant à cette société et récupérer leurs propriétés ! Dans de telles affaires, les créanciers des crédit-preneurs auraient du mal à distinguer la réalité de la fiction. Le retour aux vieux principes du droit comptable civiliste est le plus à même de séparer le bon grain de l'ivraie.


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