Photo : A. Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili Il est arrivé un temps où tout le monde a oublié ce qu'était un portefaix. La vocation a pratiquement disparu avec la politique de plein emploi décrétée au milieu des années soixante et jusqu'à la moitié des années quatre-vingt. Au lendemain de l'indépendance, il en existait au nombre des doigts d'une main dans la ville des Ponts à déambuler entre la rue Larbi Ben M'hidi, la gare ferroviaire et le marché central. Aujourd'hui, «nous sommes une quarantaine», dira M. Salah qui tient de mémoire le lieu d'affectation de tous les portefaix. Il était dossé à son engin dont le coût paraissait déjà exorbitant quand il l'a acheté «ayant déjà et énormément servi il y a moins d'une année pour la somme de 600 DA. J'ai dû également procéder à une soudure pour 100 DA ». Rejoint par l'un de ses collègues, notre interlocuteur enchaînera : «Nous sommes nombreux à avoir adopté cette activité. Je peux même affirmer que les deux tiers des nouveaux étaient, il n'y a pas si longtemps, employés dans des entreprises publiques. C'est le chômage qui nous a conduits ici. Tout ce que nous savons faire, c'est charger et décharger des produits. C'est ce que nous faisions en qualité de manutentionnaires là où nous travaillions.» Pourtant, l'activité s'est elle-même réduite en raison de la fermeture ou du déplacement de nombreux commerces de gros à la hauteur de la rue Larbi Ben M'hidi et, du coup, c'est l'opportunité de réaliser un bon chiffre d'affaires qui en pâtit. La confirmation viendra de nos deux interlocuteurs : «L'homme propose et Dieu dispose. S'il y a à gagner pour une personne, il s'en trouvera également pour dix. Toutefois, il est vrai que nous gagnons, parfois, juste de quoi acheter l'essentiel qui permet de nourrir la famille.» Les gains ne sont pas pharamineux et les portefaix doivent faire avec une clientèle qui marchande énormément le coût de la prestation même si, en réalité, elle a valeur de roupie de sansonnet «Rarement, nous exigeons plus de 100 DA. En fait, cette somme est le maximum qui tient compte de la distance de parcours et du poids des produits chargés.» Effectivement, les deux paramètres mettent à rude épreuve les portefaix. Le poids parce que cela reste le poids, notamment pour des personnes qui n'ont plus les artères de leur vingt ans et le parcours, voire sa nature, parce que le recours même au portefaix et à sa «voiture» permet d'accéder à des endroits difficiles à atteindre : marches, routes pavées, sinueuses, pentues, fortes descentes, etc. C'est donc avec beaucoup de philosophie que les portefaix acceptent leur sort et, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement ? Pour conclure, Mohamed Salah souligne : «L'essentiel est de gagner honnêtement cette obole. De vivre chaque jour avec ce que le destin nous réserve. Demain sera un autre jour.» En tout état de cause, la rue Larbi Ben M'hidi, déjà morose en raison de la saleté des artères, d'une foule innombrable à longueur de journée, d'une circulation routière démentielle, de vendeurs à la sauvette la squattant en longueur et largeur, et de la petite délinquance, n'en devient que plus sinistre avec la présence des portefaix, tant ils rappellent une misère qui ne saurait être masquée malgré tous les discours officiels ronflants.