Mercredi dernier, la triste nouvelle du décès du doyen des artistes algériens de théâtre, Habib Réda, à l'âge de 94 ans, des suites d'une longue maladie, a fait le tour des festivaliers participant au Festival national du théâtre professionnel telle une trainée de poudre. C'est tout naturellement que le lever de rideau de la représentation de 20h30 a été exceptionnellement marqué par la montée sur les planches d'Abdelhamid Rabia pour annoncer la funeste nouvelle et rendre hommage «à ce géant du théâtre algérien, nationaliste dévoué, responsable de la zone autonome, deux fois condamné à mort, dont la vie a été entièrement dévouée à ses deux grandes passions : l'Algérie et le théâtre». C'est tout aussi naturellement que le nombreux public présent au théâtre s'est levé comme un seul homme pour une minute de silence et la lecture de la Fatiha pour le repos de l'âme de ce grand homme. Malheureusement Habib reste méconnu des jeunes générations, malgré les nombreux hommages qui lui ont été rendus ces dernières années de son vivant par ses pairs, artistes et compagnons d'armes. Né le 28 mars 1919 à Miliana centre, Habib Réda entame une carrière d'acteur professionnel en 1939 dans la troupe de Mahieddine Bachtarzi, dont il était un des principaux comédiens. Dans les années cinquante, il était devenu un comédien incontournable, endossant les premiers rôles. Il toucha également à la mise en scène et à la composition d'opérettes. Il a aussi côtoyé de grands comédiens à l'instar de Keltoum, Sissani et Mohamed Touri. Il sera sollicité pour participer à un film au Maroc, où il rencontrera des militants de la guerre d'indépendance d'Algérie. Son sens du sacrifice et son amour pour une Algérie libre et indépendante le conduirons à quitter le théâtre et à s'engager dans la lutte armée. Il devient un des chefs de la zone autonome d'Alger et un des responsables du réseau des poseuses de bombes, les «Djamilates», avant d'être arrêté et condamné à mort à deux reprises en 1957 durant la Bataille d'Alger. Livré aux paras de Massu, Habib Réda, a été incarcéré à l'école Sarouy, transformée en centre d'interrogatoires et avait été cruellement torturé par les bourreaux du sinistre lieutenant Schmitt. Il échappe à la guillotine grâce à de Gaulle, qui prononce une amnistie générale peu après son arrivée au pouvoir. Ce qui fera dire à l'artiste quelques années plus tard : «Quand on me demande en quelle année je suis né, je réponds toujours : en 1958 !» Défendant le rôle des artistes algériens durant la Guerre de libération nationale et révolté par des propos mensongers, notamment sur Mahieddine Bachtarzi, Habib Réda avait confié dans une interview publiée dans un quotidien national qu'«ll y a eu des artistes qui sont morts les armes à la main dont mon jeune frère, Madjid Réda, dans les Aurès en 1960. D'ailleurs, tous les membres de la troupe Mahieddine ont été arrêtés : Rouiched, Fadila Dziria, Latifa, Aouïcha, tous, et certains, comme Mohamed Touri, sont morts sous la torture». Jeudi passé, dans la matinée, ses compagnons d'armes, ses amis artistes, ses amis usmistes et tous ceux qui l'ont connus de près ou de loin sont venus lui rendre un ultime hommage, avant qu'il soit inhumé au cimetière El Kettar. Parmi eux, Tahar El Amiri, très ému, un de ses plus fidèles amis, auquel Habib Réda a confié un volumineux fonds pour la publication de ses mémoires. Pour rappel, lors de l'hommage qui lui avait été rendu au TNA, Tahar El Amiri avait confiée : «Habib Réda était la vedette de toutes les pièces, pour sa parfaite maîtrise de la langue arabe ainsi que son incroyable présence sur scène. A cette époque, pour nous, le côtoyer était un honneur déjà. Nous avons commencé à 20 ans tandis que lui il en avait 30. C'était une référence pour nous. Avec le temps on est devenu, collègues, amis, frères à part entière.» La ministre de la Culture, Khalida Toumi, a rendu hommage à l'engagement de l'homme de théâtre en soulignant : «Nous gardons de lui l'image d'un homme délicat et raffiné, d'une grande sensibilité, d'un artiste engagé au service de la libération et de la culture de son pays». Repose en paix l'artiste, puisse au loin résonné dans les djebels les chants que tu affectionnais tant, dont «Ikhwani la tensou e'chouhada». S. B.