Habib Réda a commencé sa carrière de comédien en 1939 dans la troupe de Bachetarzi. Devenu professionnel, il a joué aussi dans quelques films avant de s'engager dans les rangs du FLN et d'être arrêté puis condamné à mort. Résidant aux USA, il a accordé à notre confrère Mohamed Kali une interview exclusive après 46 ans de silence (El Watan, Arts et Lettres, 7 juillet 2008). Il affirme notamment : « Si l'initiative [du théâtre] vient des trois [Allalou, Ksentini, Bachetarzi], celui qui a pérennisé le théâtre en Algérie, c'est bien Bachetarzi (…) qui a réuni les uns et les autres pour constituer une troupe professionnelle. Par ailleurs, 80 à 85 % des pièces de notre répertoire étaient les siennes. Il a été par-dessus tout un organisateur hors-pair. Il jouait, chantait, mettait en scène, écrivait et toutes les démarches administratives étaient pour lui. La censure et les tournées, c'était aussi à lui de les gérer. Et les soucis financiers également ! ». Quand notre confrère lui affirme qu'il demeure controversé, Habib Réda répond : « Par qui ? Par ceux qui, 60 ans après, ressortent des documents utilisés hors contexte pour le salir. Et je ne dis pas cela parce qu'il était mon beau-père. On parle avec des « on dit ». Mais qu'on me ramène une preuve, une seule, que Si Mahieddine a trahi les siens. ». Il aurait écrit des lettres compromettantes... « Mais qu'on me les montre ! Seulement une ! On a même dit que tous les artistes étaient des collabos. Pas seulement Si Mahieddine ! La Révolution a de toute façon démontré qui l'était et ne l'était pas parce qu'à son avènement, on ne pouvait plus jouer la comédie. A ce moment, il y avait la mort en face. Il y a eu des artistes qui sont morts les armes à la main, dont mon jeune frère, Madjid Réda, dans les Aurès en 1960. D'ailleurs, tous les membres de la troupe Mahieddine ont été arrêtés : Rouiched, Fadila Dziria, Latifa, Aouïcha, tous, et certains, comme Mohamed Touri, sont morts sous la torture. A ce moment là, Mahieddine, lui, n'était plus en Algérie. Et quoiqu'on dise, c'était un patriote. Il a fait son devoir. A sa manière, sans porter les armes, mais, n'est-ce pas, tous les combattants ne portent pas des armes ? »Habib Réda témoigne aussi des conditions du jeune théâtre algérien : « Cela a nécessité des années pour former un public de théâtre. Pour cela, il a fallu aller à l'intérieur du pays, ce qui n'était matériellement pas évident. Imaginez, sur nos maigres recettes, on payait le transport, la nourriture et l'hébergement. Il ne restait pas beaucoup. Il n'y avait pas de subventions, comme pour les troupes européennes. C'était la galère. Dans les hôtels, on nous refusait. On dormait au hammam ou dans un kiosque à musique. Parfois, des citoyens nous prenaient chez eux. A ce rythme, Si Mahieddine a fait deux fois faillite. C'est grâce à son oncle, épicier à la rue Randon, qu'il a survécu personnellement. On a continué avec lui, l'équipe a été solidaire. Quand il n'y a pas d'argent, il n'y en a pas ! Jamais on ne réclamait ! Ses comédiens étaient des gens qui aimaient le théâtre avant tout. (…) Mais le théâtre de l'histoire, de plus en plus dur avec l'intensification de la guerre, finit par rendre impossible le théâtre tout court. « A ce moment, raconte Habib Réda, il a fallu trancher. J'avais des contacts en particulier avec Yacef Saadi. Je lui ai demandé de décider de l'arrêt des représentations théâtrales. A ce moment, Larbi Ben Mhidi était à La Casbah. C'est lui qui a pris la décision. Une semaine après, Saâdi a répondu qu'il valait mieux arrêter. J'ai été chargé de contacter Mahieddine, mais sans lui révéler que j'étais de la résistance. » Taha El Amiri confirme ces propos. Né en 1927, ce grand comédien qui fut membre de la troupe de Bachetarzi puis de celle du MTLD puis encore de celle du FLN, affirme : « Non, Bachetarzi n'était pas un collabo. Il a interrompu toute activité théâtrale lorsque le FLN a ordonné la cessation de toute activité artistique, il a donné un contenu plus engagé à son théâtre à partir de 1952, lorsque le MTLD a pris en main les municipalités et qu'il pouvait s'engager plus. Mais si Mahieddine n'était pas de la troupe du FLN, c'est parce qu'on ne lui avait pas fait appel comme d'ailleurs, à beaucoup d'autres. Les circonstances ont fait, qu'il n'était possible de réunir que ceux qui étaient à l'extérieur de l'Algérie ou qui étaient dans le maquis, comme Mohamed Zinet » (El Watan, 4 nov. 2007). Lorsqu'on rappelle à Taha El Amiri que Bachetarzi a tout de même chanté la Marseillaise, il éclate : « Mais qui à l'époque n'a pas chanté et la « Marseillaise » et « Maréchal, nous voilà » ? C'est vrai que lui, il l'a traduite, mais lisez le texte en arabe, c'est un vrai chant révolutionnaire ! ». Sur l'apport de Bachetarzi à la fondation du théâtre national, il précise : « Le grand mérite de Bachetarzi, c'est d'avoir donné une assise au théâtre en Algérie. Il a été l'un des trois pères du théâtre algérien, mais c'est avec lui que le théâtre a pris racine. Allalou a fait une pièce, Djeha, qui a certes ouvert la voie. Mais il s'est vite retiré et Ksentini, lui, était mort. C'est Bachetarzi qui a assuré la permanence de l'activité. C'est grâce à lui qu'un public de théâtre a été constitué entre 1947 et 1956. Ses pièces, ce n'était pas du sketch-chorba, c'était 1h 30 de spectacle, soit trois actes d'une demi-heure suivis d'une heure de variétés musicales. C'est grâce à lui que des comédiens ont été formés. J'avais une formation de deux années et demie au sein du centre dramatique régional, mais je n'ai véritablement appris mon métier de comédien qu'avec lui. Camper 34 ou 35 personnages dans l'année, c'est autrement plus formateur. C'est encore lui qui a suscité des auteurs. » Synthèse :