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Les Editions Kerdja à la rencontre de la mémoire collective des Ath Irathen Première maison d'édition à ouvrir ses portes à la ville de l'ex-Fort National
Depuis deux mois, une maison d'édition est ouverte à Larbaa Nath Irathen, wilaya de Tizi Ouzou. La première et la seule dans l'ancienne ville de Fort National (ex-Fort Napoléon). Une jeune femme, d'à peine vingt-quatre ans, au joli prénom Tasseda, lionne en kabyle, en est la propriétaire-gérante. Elle se lance dans l'aventure avec un crédit Ansej. Licenciée en management mais très portée sur la culture, l'histoire, la géographie, les langues…elle vise loin. A sa manière, elle veut apporter un soutien sûr à la forteresse dans son élan de redressement. Elle aussi, elle aspire à sa réhabilitation et à sa consolidation. Normal, c'est son berceau et sa vie. La langue écrite, bien écrite, en français, en kabyle ou en arabe, c'est toujours un moyen des plus efficaces pour raconter et restituer l'histoire de ses origines. La vraie histoire. Une porte communicante et un trait d'union entre le passé et le présent pour une édification certaine du futur.
Une lionne dans une forteresse La fille voit et vise grand, encouragée en cela par son père, Omar Kerdja, ancien professeur d'histoire et de géographie à l'ex-CEM filles de Larbaa Nath Irathen. La petite maison d'édition de Tasseda, appelée à devenir grande grâce à l'engagement et à la volonté de tous, porte le nom de la famille. Et elle est déjà connue et fréquentée par de nombreuses personnes de la région, et d'ailleurs, qui s'y rendent pour des discussions très animées sur bon nombre de sujets. Un sujet appelant toujours un autre, on se retrouve inéluctablement autour des poèmes de Cheikh Mohand Oulhocine, Si Moh Ou M'hand, les batailles d'Ichariouane, Napoléon, Randon, Cheikh Seddik…et des petites anecdotes des villages et des villageois. Les amis des deux Kerdja, le père et la fille, portent en eux un amour profond pour la région des Ath Iraten mais aussi pour toute la Kabylie et pour tout notre pays, l'Algérie. Autre point commun, ils ont tous la passion de l'écriture sinon de la lecture et de la découverte. Mieux encore, l'échange et le partage. Certains écrivaient durant de longues années, sans se relire, sans penser à publier leurs écrits, pris par des occupations et des préoccupations nombreuses. D'autres sont tout simplement déçus par le travail de piètre qualité de certaines maisons d'édition dont les responsables ne se soucient que de leur propre personne et de la manière de gagner plus en dépensant moins. Les Editions Kerdja sont censées apporter un peu d'air frais et quelque lumière dans un espace trop étroit, obscur et froid. La fille, à la découverte du monde de l'édition, se félicite d'accueillir un si grand nombre d'amis. Elle est d'autant plus enthousiaste qu'elle découvre en chacun d'eux de grandes richesses. «Je suis très contente de savoir que nous comptons des hommes et des femmes instruits, intelligents, très cultivés et très passionnés. C'est vraiment une grande richesse et je tiens à en profiter et à la partager». Un ami de la maison, lui-même auteur d'un ouvrage à publier prochainement (par les Editions Kerdja), soutient avec force: «La maison ne désemplit pas et le travail ne finit pas. Il y a beaucoup de demandes et c'est vraiment très encourageant pour un début d'expérience dans le domaine. Je demande seulement à mon ami de ne pas trop forcer sur la machine. Je le vois trop passionné et très engagé…faut éviter le surmenage».
L'ardeur de l'écriture, de l'échange, du partage En effet, le père Kerdja est un grand amoureux de la recherche et du travail d'investigation. De la traduction des poèmes du kabyle vers le français et du français vers le kabyle. Parfois il tombe dans le piège de la rime, relève avec rire son ami. «C'est plus fort que moi», dit Omar Kerdja. Ne rime que ce qui rime! Qualités intellectuelle, poétique et sociale. Tout comme l'écriture et la recherche approfondie, la poésie est au fond de son âme. La beauté et la force du verbe le subjuguent. L'ancien prof d'histoire et de géographie à l'ex-CEM filles de Larbaa Nath Irathen a surtout emmagasiné une grande quantité d'informations, principalement sur la région des Ath Irathen et ses villages et semble être pressé de tout rassembler dans des livres à publier prochainement. «Parfois, je m'étonne moi-même de mes écrits. Je me demandais si c'est moi qui écris ou c'est un autre», dit-il. Omar Kerdja affirme avoir un défaut que partagent bon nombre de personnes qui aiment la plume: «Quand j'écris, je ne me relis pas. Je n'aime pas me relire. Me voilà maintenant m'exercer à cela. Melle Kerdja est à cheval. Je n'ai pas le droit à l'erreur», dit-il, souriant, fier de cette fille décidée à relever le défi quelles que soient les contraintes. Et les contraintes, il y en a, il y en aura toujours. «C'est un monde sans pitié, je le sais mais je ferai face», lance-t-elle, avec assurance. La jeune fille porte bien son prénom. Omar Kerdja, en 2007, avait publié un livre sur la conquête française du Djurdjura, du débarquement de 1830 à la veille de l'offensive de 1857. Un contenu très enrichissant mais mal travaillé lorsqu'arrivé au stade de publication. Et c'est de là que l'idée de construire la maison Editions Kerdja avait germé dans la tête de Mme Kerdja, la mère de la jeune fille. «C'est une idée de ma mère, aujourd'hui décédée. Mon père écrivait beaucoup, se cassait trop la tête et s'investissait sérieusement dans son travail. Elle était triste de voir son œuvre détériorée. Elle lui a alors dit de créer notre propre maison d'édition et à moi, la fille aînée, de la gérer. J'ai ouvert cette maison pour honorer la mémoire de ma mère…», confie la fille. Le livre sorti en 2007 est à refaire entièrement, affirme le père. «Je vais le refaire entièrement, c'est ma décision. Et c'est en cours.» Il sera suivi de trois tomes, traitant séparément de «la période de toutes les incertitudes» (mai 1857), la grande bataille d'Icherriden et l'après-défaite kabyle à Icherdiden. Du même auteur, un autre ouvrage est paru en 2006: Le petit lexique des sciences de la nature (français-amazigh) en co-auteur avec le HCA. Un autre est à paraître également dans les mois à venir, il traite de l'état civil: Identifications et administration des Algériens (des origines à nos jours). L'auteur estime avoir fait un travail en la matière (la question de l'état civil) que personne d'autre n'a jamais fait: «Je suis sûr que personne d'autre n'a fait le travail que j'ai fait.» Un autre livre, Ath Irathen: hommes et terre, et une autre histoire. Le début de son écriture remonte à plusieurs années mais, jusqu'à présent, il n'est pas terminé. C'est un livre cher à son auteur.
Tamazight, un travail au quotidien L'ancien enseignant du moyen aime aller à la rencontre de l'inconnu. Il aime chercher, fouiller, creuser, découvrir. «Je procède par recoupements. Je me déplace dans les villages et je discute avec les habitants. Le plus gros du travail, je l'ai fait durant la décennie noire. Ce n'était pas facile. Et heureusement que je me suis pris à temps pour la collecte de l'information parce que beaucoup parmi ces bonnes personnes qui ont accepté de répondre à mes sollicitations et mes questions, certaines ne sont plus de ce monde», révèle-t-il. Ceux qui ne connaissaient de lui que son enseignement des cours d'histoire et de géographie en langue arabe découvrent, avec admiration, un homme très actif, grand connaisseur des moindres secrets des villages, des villageois, des rues, des ruelles, des sources d'eaux, des mots et de l'origine des mots. C'est surtout un homme ouvert à toutes les cultures et à toutes les langues. Le premier livre signé Editions Kerdja sera, d'ailleurs, en langue arabe. Sortie prévue pour le 5 juillet prochain. Il porte sur les coutumes de la région de Kabylie. C'est un autre défi pour la maison Kerdja: «L'amazighité, ce n'est pas du folklore. C'est une lutte au quotidien. Faire sortir ce livre en arabe est un moyen sûr de faire découvrir sinon faire connaître davantage notre région et notre culture kabyle par les habitants des régions dites arabophones.» Ambitieux et décidés, la fille et le père Kerdja, projettent de travailler en étroite collaboration avec une maison d'édition en France. «Cela donne plus d'écho», estime un autre ami qui encourage les deux complices à aller plus sur cette voie.