Mais qu'arrive-t-il brusquement au Brésil, ce grand pays d'Amérique du Sud et exemple parmi les exemples des pays émergents et ceux en voie de développement ? Après les manifestations historiques qui ont fait descendre 1,2 million de personnes dans les rues des grandes villes, le mouvement s'est propagé dans de plus petites villes. Soutenu par les trois-quarts de la population, les manifestants ont critiqué les sommes colossales dépensées pour l'organisation du Mondial, prévue l'année prochaine. De Rio de Janeiro à Brasilia, les manifestants ont arborés des affiches où ils ont demandé un «avenir meilleur». Débuté comme contestation contre la hausse des prix du transport, les sujets de mécontentement populaire des manifestants se sont vite diversifiés jusqu'à viser les coûts engendrés par l'organisation du Mondial (11 milliards d'euros) ou l'indigence des services publics. Certains slogans politiques se sont fait entendre. Un sondage a montré que 30% des protestataires souhaiteraient que le premier président noir de la Cour suprême, Joaquim Barbosa, soit candidat à la présidentielle de 2014. Ce juge est devenu populaire au Brésil lorsqu'il a dirigé fermement le vaste procès pour corruption du «Mensalao», l'affaire de l'achat de votes de députés au Parlement en 2005, lors du premier mandat du président Lula. Les manifestants citent ensuite à 22% l'écologiste Marina Silva, candidate malheureuse au scrutin de 2010, et à seulement 10% l'actuelle présidente Dilma Rousseff (10%). La présidente en exercice semble le plus éprouver, de par sa position, cette colère populaire soudaine. Encore présenté il y a peu comme un modèle de pays émergent ayant atteint la gloire en décrochant l'organisation de la Coupe du Monde de football 2014 puis celle des Jeux Olympiques 2016, le Brésil est secoué depuis plus de 10 jours par des manifestations massives visant à dénoncer la corruption. Le Brésil est devenu un exemple de pays émergent, résultat des transformations opérées depuis une vingtaine d'années. Stabilisation de la monnaie, fin de l'inflation, infléchissement social et l'élargissement du marché intérieur, impulsés par le toujours populaire Luiz Inacio Lula da Silva. Cette mobilisation soudaine contraste singulièrement avec l'image d'un pays qui a réduit la pauvreté, vu sa croissance augmenter et acquis une place de choix sur la scène internationale. Au cours des 10 dernières années, les revenus des Brésiliens ont augmenté comme jamais auparavant, les politiques sociales sont parvenues à sortir 40 millions de personnes de la misère. Au point que les classes moyennes représentent aujourd'hui plus de la moitié des 194 millions d'habitants du pays. Le chômage au Brésil a baissé de façon historique, et la consommation, alimentée par le crédit, a explosé. En plus des transports publics défaillants, les Brésiliens se sont révoltés contre un système de santé désastreux, une violence urbaine endémique, que l'amélioration des salaires et des emplois a difficilement dissimulés. Aussi la contestation ne peut faire l'économie d'une récupération politique. La présidente Dilma Roussef a déclaré que les manifestations démontraient «la vivacité de la politique brésilienne». Et l'opposition veut en faire un mouvement anti-Dilma. Mais à l'image de la mobilisation, personne ne réussit à récupérer le mouvement de manière cohérente et homogène. Au pays du football, la virulence des protestations contre le Mondial a également surpris. Quand Lula a déposé la candidature du pays pour les grands événements sportifs mondiaux (dénoncés aujourd'hui comme du gaspillage d'argent public), l'opinion était euphorique pensant que cela motiverait des investissements dans les infrastructures, les affaires et le tourisme. Mais beaucoup de projets n'ont pas été réalisés, notamment dans les zones défavorisées. Aujourd'hui même, le football, véritable religion au Brésil est au cœur de la colère. Même si un sondage a révélé que si 75% des Brésiliens soutiennent le mouvement, ils sont aussi à 67% favorables à la tenue du Mondial de football au Brésil. Plusieurs anciens de l'équipe du Brésil sont entrés dans le débat politique sur les investissements consentis pour organiser le Mondial l'année prochaine. Les joueurs de la Seleçao, actuellement engagée dans la Coupe des Confédérations, soutiennent le mouvement. Mais se gardent de critiquer la construction des enceintes sportives. Certains de leurs glorieux prédécesseurs n'ont pas hésité à charger le gouvernement. Champion du monde 1994 et désormais député fédéral, Romario a été virulent critiquant l'exemption d'impôts pour la Fifa accordée par le gouvernement brésilien en avril 2010. Rivaldo, champion du monde 2002, a qualifié également de «honte de dépenser tant d'argent pour cette Coupe du monde et laisser les hôpitaux et les écoles dans des conditions précaires». Même la légende vivante du football brésilien le roi Pelé, après avoir invité à oublier toute cette confusion et soutenir l'équipe nationale, s'est brusquement ravisé se disant «en faveur de ce mouvement pour la justice au Brésil». La fronde sociale au pays de la samba n'en finit pas d'abasourdir les observateurs. M. B.