Le Nigeria est-il en train de prendre la même trajectoire de l'Irak où la guerre religieuse constitue une menace pour sa cohésion territoriale ? Tous les indices semblent positifs. Ce pays de l'Afrique de l'Ouest, fort de 180 millions d'habitants vit depuis quelques années au rythme des violences armées, aussi bien dans le nord que dans le sud pétrolifère. Si dans la partie sud, le gouvernement a réussi, tant bien que mal, à calmer la colère de centaines de milliers de citoyens qui demandent un partage équitable des revenus pétroliers et davantage d'équité socioéconomique, dans le nord du Nigeria, la situation est tout autre. L'apparition début 2009 de la secte islamiste radicale Boko Haram, dans le nord musulman du Nigeria, a plongé la population dans la terreur et l'incertitude. En quatre ans, ce sont plus de 3 600 personnes qui été tuées par les éléments armés de ce groupuscule islamiste qui veut imposer la loi islamique comme seule Constitution du Nigeria et menace même de départager le pays en deux si les autorités d'Abuja refusaient de céder à sa demande. Boko Haram a déjà imposé la charia dans une dizaine d'Etats où les populations tentent vainement de résister à la violence de cette secte qui use de la violence comme seul moyen pour s'imposer sur le terrain, en l'absence d'institutions administratives et sécuritaires fortes au Nigeria. Le manque de moyens humains, financiers et matériels a laissé le champ libre à ces radicaux qui ont multiplié leurs attaques contre les commissariats, les brigades mobiles et les postes de contrôles policiers, faisant à chaque fois des morts et des blessés, y compris parmi les civils qui tombent dans leurs guet-apens. Ces dernières semaines, Boko Haram a changé de stratégie. Le bras armé de cette secte a mené une série d'attaques meurtrières contre les établissements scolaires de plusieurs Etats du centre et du nord du pays. Les porte-paroles de ce mouvement terroriste ont affirmé que leur action est menée en représailles au soutien de certains villages et quartiers des grandes villes du nord aux forces armées régulières qui mènent depuis le printemps dernier une grande opération de chasse contre Boko Haram. Mais il ne s'agit pas seulement de simples représailles contre des civils qui ont fait le choix de se ranger du côté de l'autorité publique pour lutter contre toute forme de violences symbolique et physique. Boko Haram sait que l'école sert de levier pour sensibiliser les consciences au radicalisme religieux, d'où il vient. Dans ce pays multi-religieux, il n'y a que les islamistes radicaux qui veulent s'imposer par la force, justifiant leur violence par le fait que les chrétiens les ont trop violentés, exploités et réduits à l'esclavage en leur prenant leurs richesses et leurs terres. Samedi, Boko Haram s'est encore attaqué à un établissement scolaire où il a tué une trentaine d'élèves qui ont essayé de prendre la fuite lors d'une prise d'otage dans ce lycée de l'Etat de Yobe, au nord-est du Nigeria. Pour rappel, les autorités nigérianes ont déclaré l'Etat d'urgence dans le nord-est du pays, pour lutter efficacement contre cette secte qui recrute parmi les pauvres et les couches populaires hostiles à la politique du président Jonathan Goodluck.
Lutte religieuse vs nettoyage ethnique Dès sa création, Boko Haram s'est donné comme objectif d'islamiser la partie nord du Nigeria où vit une majorité de musulmans. Après avoir usé de menaces à l'égard des autorités et des civils, il est passé à l'action armée qui a visé tout ce qui symbolise l'Etat. Mais la minorité chrétienne n'a pas échappé aux radicaux islamistes qui ont semé la terreur dans les églises et les quartiers où vit cette minorité chrétienne qui refuse de céder à leur pression en déménageant vers le sud chrétien et animiste. Si l'islamisation du nord du Nigeria est un objectif de premier ordre pour Boko Haram, l'accaparement des terres agricoles et urbanisables de cette partie du pays constitue un des arrière-fonds de leurs violences à l'égard de la minorité chrétienne. De nombreux chrétiens, majoritairement des propriétaires terriens, sont régulièrement la cible d'attaques de Boko Haram qui s'est inscrit directement dans une logique de nettoyage ethnique dans le centre et le nord du Nigeria. Tout en cherchant à bénéficier de la rente pétrolière, concentrée dans le sud du pays, Boko Haram et ses partisans veulent vider le nord du Nigeria de ses autres ethnies qui refusent de s'islamiser ou d'adopter cette vision radicale de l'islam, proche des wahhabites de l'Arabie saoudite, qui continue à financer le terrorisme international avec l'argent du pétrole. Ce qui se passe au Nigeria se passe aussi en Irak où la guerre confessionnelle entre chiites et sunnites cache une guerre ethnique entre arabes, kurdes et d'autres minorités qui vivent dans l'incertitude au quotidien. C'est le cas aussi au Balûchistân, dans le sud-ouest du Pakistan, frontalier avec l'Afghanistan, où la minorité chiite subit les affres des violences des terroristes proches des Talibans. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent à travers le monde où la religion sert comme moyen pour cacher des guerres ethniques qui, dans le cas du Nigeria, risquent de mener à des génocides. Si au Nigeria, les choses ne sont pas arrivées à ce stade, le risque d'une scission de ce pays, premier producteur du pétrole en Afrique, n'est pas à écarter pour les années à venir. L. M.