Très franchement, le geste du Premier ministre en faveur des lycéens menacés de lourdes sanctions pour «tricherie collective» à l'examen du Bac était fortement espéré et attendu et il est donc venu à point nommé. En décidant de leur accorder la grâce pour une grave faute qu'ils ont commise, il leur rappelle en même temps combien peuvent être lourdes les conséquences d'un manquement à l'éthique scolaire. Les lycéens tricheurs en sont donc quittes pour la peur, et leurs parents débarrassés d'un opprobre immérité qui pouvait les poursuivre longtemps. La mesure de Sellal ne doit surtout pas prêter à équivoque en y voyant un quelconque désaveu du ministre de l'Education qui, lui, était tout à fait dans son rôle en affichant une fermeté justifiée dans cette affaire. C'est que le problème dépasse de loin le seul cadre d'un examen scolaire émaillé d'incidents saisis comme une opportunité d'obtenir un indu par des candidats chez qui, manifestement, l'école algérienne n'a pas développé de sens civique. La responsabilité de leur attitude transgressive mérite une analyse plus profonde et qui, si elle venait à être faite, ne pourrait pas faire l'économie d'un procès justifié de l'école algérienne et d'un système éducatif à l'obsolescence programmée. Fort heureusement, la mauvaise nouvelle d'un «copiage collectif» a été accompagnée d'une autre, plus sérieuse et rassurante, mais gravement interrogative. Le ministre en charge du secteur, qui a pris ses fonctions en même temps que Sellal en septembre dernier s'est exprimé à plusieurs reprises sur la nécessité de s'en tenir désormais strictement aux normes et critères de référence pour la correction des épreuves des examens, excluant tout recours à des pourcentages fixés à l'avance. A en juger par les pourcentages d'admis au Bac et au brevet, inférieurs de 15% à ceux de 2012, il est permis de prendre acte de l'existence d'une volonté d'aller dans ce sens. Ce qui a fait dire et écrire à certains syndicalistes du secteur et des journalistes que «le bac politique, c'est fini». Les sous-entendus sont lourds et mettent directement en cause un homme qui avait présidé aux destinées de l'école algérienne pendant une quinzaine d'années. Il ne servira à rien de se lancer dans des procès en sorcellerie si on pouvait, au contraire, accélérer un retour de cycle vertueux qui fera retrouver à notre école, naguère très performante, sa capacité à former d'abord des citoyens éduqués -et pas seulement plus ou moins alphabétisés-, ensuite des cadres dont les diplômes répondraient à des standards internationaux. L'ampleur du défi est énorme et à la mesure du déficit qualitatif à combler. Le ministre Baba-Ahmed a parfaitement raison de vouloir réformer quinze ans de réformes (sic) qui n'ont pas tiré vers le haut, vers l'excellence attendue, un système d'éducation resté en marge des progrès de la connaissance et de la science. Si la cuvée 2013 du Bac est bel et bien marquée par sa «dépolitisation», les tendances qui s'en dégagent restent néanmoins les mêmes. Les «sciences» islamiques (une science, la religion ?) sont parmi les filières qui enregistrent le plus fort taux d'admis, au côté des littéraires et langues étrangères. Les mathématiques et l'anglais bouclent malheureusement un classement qui en dit long sur une école formatée et réformée pour produire plus d'inutile que d'utile. Il faut s'interroger en particulier sur cette désaffection pour les mathématiques alors que sans elles, il est illusoire d'espérer une maîtrise des sciences et de la technologie. Résultat des courses : l'Algérie disposera de beaucoup d'imams, poètes, juristes… et de peu d'ingénieurs pour son développement et sa réindustrialisation. On le voit tous les jours dans les débats «académiques», les réunions politiques et parlementaires, les forums du verbiage : beaucoup de têtes bien pleines, mais peu de «têtes bien faites». C'est Montaigne, le philosophe de la sagesse étudié encore au siècle dernier dans nos lycées, qui mettait en opposition le savoir scolastique qui remplissait sans intelligence les têtes avec la rigueur et la rationalité qui doivent caractériser une éducation pour des «têtes bien faites». Il a vécu à La Renaissance, au sortir du Moyen-âge et nous sommes au XXIe siècle. A. S.