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L'éthique dans la mondialisation : les visées de l'islam
Publié dans La Tribune le 12 - 07 - 2013


Par Louis Baeck*

Dans leurs analyses sur la dynamique géopolitique du monde les publicistes occidentaux ont l'habitude d'évaluer les options et pratiques des autres civilisations sur base de leurs propres principes et idéaux. Suivant cette méthode, les civilisations non occidentales sont jugées sur des critères qui ne sont pas les leurs. Dans notre texte, nous tendons l'oreille pour écouter la voix des intellectuels de l'Islam et de la Chine. Leur regard sur nous est critique pour deux raisons. A leurs yeux, nos principes ne sont pas universels et surtout pas convaincants.
Car certains de nos idéaux les plus chers sont dans la pratique bafoués et perdent leur crédibilité par notre comportement néocolonialiste. Et suivant leur optique, les voies de la modernisation sont plurielles.
Quelles que soient les forces d'uniformisation exercées par la gouvernance mondiale, un contre-courant porteur de trajectoires de modernisation non occidentale se manifeste aujourd'hui. Afin de bien comprendre les démarches des intellectuels novateurs appartenant aux nations proches de l'Islam ou à l'Asie, la lecture de leurs écrits s'impose. Elle est une bonne voie pour accéder à la perspective du dedans. Les analystes de notre partie du monde peuvent être accusés d'inceste intellectuel, dans la mesure où ils ne lisent que d'autres intellectuels occidentaux et où ils ignorent ou négligent les autres, même lorsqu'ils dissertent sur le thème de la mondialisation. Or, le débat, pour devenir vraiment un dialogue à plusieurs voix sur les affaires et l'avenir du monde, ne peut fuir et doit inclure le regard des autres. Cela permet de passer notre système au crible d'un examen de conscience. Il faut se soumettre au libre examen, non seulement de la pensée et des préjugés des autres, mais aussi des nôtres, en les mettant à l'épreuve de tous ceux qui les contredisent, d'où qu'ils viennent.
L'Islam est une civilisation de la Méditerranée et c'est à partir de cette tradition que nous pouvons comprendre son discours sur la mondialisation. Depuis l'antiquité gréco-romaine une «tradition méditerranéenne» s'y est développée et distinguée. Les philosophes grecs, les juristes romains et les scolastiques des trois religions du livre s'occupaient de plus que de métaphysique et des finalités ultimes. En outre, ils fixaient les objectifs de la vie terrestre et modelaient le cadre de la société. Chaque période apportait du neuf suivant le contexte historique et l'air du temps.
Mais en ce qui concerne la hiérarchisation de leurs valeurs sociétales, les civilisations qui s'y succédèrent, furent marquées par le même paradigme.
Depuis Aristote et durant des siècles, une subordination a été établie entre l'éthique (le Souverain Bien), le politique et l'économique. Début du XIXe siècle, sous l'impulsion d'un bloc historique constitué d'intellectuels et de la bourgeoisie occidentale conquérante, une nouvelle trajectoire modernisante s'est imposée. La hiérarchie des valeurs a été radicalement inversée. L'économie s'est imposée à la politique et à la société.

Le souci moral de l'Islam
En Occident, moderniser signifie «émanciper» les choses terrestres par rapport à toute transcendance et ainsi mettre un terme à la subordination de la science à la théologie morale, alors que dans le monde non occidental, l'économie du domaine privé, comme
l'économie publique restent soumises à des normes éthiques ou religieuses strictes.
Etymologiquement, le terme «dé-veloppement» (l'antonyme de «en-veloppement») signifie «sortie de l'enveloppe traditionnelle», c'est-à-dire de l'enveloppe religieuse et culturelle pré-moderne. Le nouveau projet de modernisation va en direction de la sécularisation et surtout de la mobilisation de l'énergie sociale et individuelle pour l'amélioration du niveau de vie matériel. Un des grands penseurs du siècle des lumières, Montesquieu, définit la modernisation comme le passage de la passion (les guerres de religion) à la poursuite d'intérêts plus pragmatiques comme le bien-être matériel, sur base du «doux» commerce. Une partie importante de la Méditerranée, comme l'aire espagnole qui fut occupée par l'Islam durant des siècles, vivra la modernisation avec perplexité et désarroi. Ce désarroi trouve son expression sémantique dans le terme espagnol desarrollo, dérivé du vieux roman médiéval «désarroyer» ou décrocher d'arrois stables et de références traditionnelles.
La sociologie occidentale du développement postule la coexistence de la sécularisation et de la modernisation. Or, les intellectuels musulmans mettent le doigt sur la partialité de cette thèse, car, dans leur culture, ils vivent un parcours différent. Leur modernisation est avant tout une renaissance culturelle qui va de pair avec un réveil religieux. Notre sociologie de développement n'est donc pas pertinente à leurs yeux et le paradigme de la sécularisation est loin d'être universel. Selon Mohamad Imara, théoricien du réveil islamique, le sécularisme est une idéologie culturelle occidentale (al ru'ya gharbiya). Elle résulte de la trajectoire particulière de l'Occident qui s'est écarté des autres civilisations et ne peut prétendre à l'universalité de son modèle.

La trajectoire islamique
La plupart des analystes musulmans soulignent la dimension matérielle de la modernisation occidentale. Ce jugement nous interpelle
d'autant plus qu'à partir de 1950-1960, l'islam fait son apparition en Europe, sous la forme d'une diaspora.
Les statisticiens comptent 15 millions d'émigrés musulmans venus en Europe après 1945. Durant la même période, les terres arabes de l'Islam sont devenues un enjeu géopolitique important. Le monde occidental, l'Europe, les Etats-Unis pour 30% de leurs importations, dépendent de ses ressources en pétrole. Les républiques ex-soviétiques de l'Eurasie (islamique) ont également des réserves significatives. On y alla manu militari pour contrôler l'approvisionnement en pétrole. Le «doux commerce» dont parlait Montesquieu devint très violent et les beaux principes perdirent toute crédibilité. Aux différences culturelles et religieuses venaient s'ajouter les oppositions en termes d'intérêts.
Par ailleurs, depuis les années 1970, l'Islam est de nouveau entré dans une phase dynamique qui le porte tantôt à se tourner vers ses sources fondatrices, tantôt vers de nouveaux horizons de modernisation islamique. Fondamentalisme et renouveau sociopolitique sont les deux références incontournables de tout discours en terres d'Islam. Les musulmans continuant à suivre une autre trajectoire que la nôtre et vivant de manière intense la simultanéité de la différence et de la globalisation, il nous semble opportun de retracer ici les différentes étapes de leur évolution.
Période de splendeur : de 700 à 1500 les terres d'Islam sont le centre hégémonique (politique, intellectuel et matériel) du bassin méditerranéen. Leurs apports matériels et intellectuels font naître et accélèrent l'essor de l'Occident aux XIIe et XIIIe siècle. Une pensée féconde s'y développe avec Al-Biruni, Al-Farabi, Al-Ghazali, Ibn Rushd, Ibn Taymiya et Ibn Khaldun (penseur de la crise qui s'annonce). La fin du cycle créateur se situe au XVIe siècle.
Après 1600 se manifeste un déclin bientôt suivi de la colonisation des terres islamiques. Toutefois, dans le dernier quart du XIXe se dessine un mouvement de renouveau (nahda) d'intellectuels novateurs et de militants pour la libération politique. Les innovateurs
aspirent à «absorber» la science et la technologie modernes.
Ce mouvement échoue. Les nouveaux Etats-nations d'après la décolonisation sont des produits importés qui sont mal perçus par les couches traditionnelles. La performance postcoloniale de ces créations calquées sur le modèle occidental est réduite et crée la frustration des nouvelles classes montantes. Vient alors un temps de rupture (les années 1960-1970), de radicalisation religieuse et de ressourcement dogmatique allant à l'encontre de la sécularisation. La rupture s'accompagne d'un réveil religieux, d'une renaissance intellectuelle et d'une affirmation culturelle (al-sahwa al-islamiya). Ce mouvement d'islamisation est pour les uns un projet de désoccidentalisation porté par un Islam culturel (al-islam hadari), en réaction contre la globalisation, mais, pour d'autres aussi (l'Iran des ayatollah et l'Afghanistan des Taliban), un projet politique : la réalisation d'un état islamique. Ces différents mouvements se déploient sous l'impulsion de blocs historiques complexes adaptés aux multiples contextes. Les terres d'Islam ne forment pas un tout monolithique mais constituent au contraire un ensemble fort diversifié. L'Islam new wave de la Malaisie et le régime wahhabite des Saoudiens ont des projets islamiques fort différents, et dans la doctrine et dans les faits. Dans les courants majeurs de la dernière décennie, le mouvement d'islamisation de la société l'emporte sur l'action en faveur de la création d'un Etat islamique. Ce courant va de pair avec les projets axés sur l'islamisation du savoir en général et des sciences humaines en particulier : la sociologie, l'économie et la science politique. Cet approfondissement théorique du système islamique (al nizam al islami) provoque le décrochage des modèles
intellectuels importés de l'Occident. Les solutions et méthodologies importées et sujettes à caution sont remplacées par des productions intellectuelles propres (al fiqri al islami). Il se fait un bricolage interculturel qui selon les radicaux doit mener à la désoccidentalisation et, pour les novateurs modérés, à une herméneutique de synthèse entre modernité et authenticité.

Le point de vue de l'Islam sur l'occident
Depuis la fin des années 1990, plusieurs séminaires et colloques (à Beyrouth, au Caire, à Rabat, à Kuala Lumpur) ont produit une panoplie d'arguments et défini une infinité de positions. Le débat sur la globalisation fait suite au débat précédent : modernité (hadata) versus authenticité (asala). Dans les débats plus récents, les questions économiques ont été approfondies, de même que la militarisation de la géopolitique, ou encore l'élan néocolonial depuis les interventions occidentales en Afghanistan et en Irak, les
discours se sont radicalisés.
Une majorité d'analystes pensent que l'agression culturelle et le terrorisme (invasions militaires) sont d'origine occidentale. Toutefois la plupart des islamisants modérés restent ouverts et désirent engager un franc débat avec leurs collègues sociologues, économistes, philosophes politiques et culturalistes occidentaux. Ils accusent les médias et même les intellectuels occidentaux de «bédouiniser» l'Islam dans leurs propos et de caricaturer les immigrés. Particulièrement dans nos villes où les femmes avec foulard et les ouvriers engagés dans les lourds travaux sont vus comme des «primitifs du désert».
Des ténors philosophes, comme l'égyptien Hasan Hanafi à l'université du Caire et Ali Mazrui vivant dans la diaspora, contestent les concepts tels que la globalisation et la sécularisation. Comme d'autres grands récits modernistes ces constructions sont les mythes de la conscience historique particulière de l'Occident. Par contre, le monde de l'Islam est en train de vivre un autre moment : celui du réveil et de l'affirmation exacerbée de son authenticité. L'Islam n'est plus disposé à se voir relégué dans un rôle périphérique.
Il a pour argument majeur que des segments importants de nos sociétés vivent une fin de cycle. Divers indices en attestent : la déchristianisation, le haut taux de divorce et la dissolution des familles, le vieillissement de la population, la crise de l'Etat-providence, le chômage structurel et le spectre de la délocalisation des industries. Le recours à la force apparaît à leurs yeux comme un signe de faiblesse morale devant l'exubérance identitaire des Autres. Le mythe occidental de la créativité et de l'humanité est brisé et la prétention à l'universalité n'impressionne plus. L'avenir est dès à présent en train de se réaliser dans différents centres. Dans l'esprit de l'Autre, le modèle des relations internationales futures est un monde avec plusieurs centres qui se tiennent en équilibre. Dans cette perspective, la Chine, le sud-est de l'Asie, l'Inde et le monde de l'Islam, qui totalisent 4 000 millions d'habitants, apparaissent d'ores et déjà comme des partenaires incontournables.
Bon nombre de culturalistes considèrent que la globalisation constitue une invasion culturelle (al gazu taqafi) et est donc un néologisme élégant pour voiler la stratégie d'occidentalisation : al taghrib. Or, les concepts, analyses et solutions importés par les régimes socialistes et même par des disciples capitalistes du monde arabe n'ont pas encore porté grand fruit. Les auteurs du réveil proclament que l'Islam rénové présente de meilleures solutions : al islam kuwa al hall (l'islam est la solution par excellence). Par contre, certains d'entre eux, comme le philosophe marocain Al-Jabri, accusent les fondamentalistes d'entretenir la nostalgie par leur respect excessif à l'égard de l'héritage culturel du passé :
al taqafa turatiya. Selon lui et selon d'autres guides intellectuels comme l'algérien Mohamad Arkoun, l'iranien Abelkarim Soroush et l'économiste égyptien Galal Amin, les intellectuels de l'Islam doivent rouvrir les portes de l'interprétation et entamer résolument une exploration herméneutique : une ijtihad sur base de la raison humaine et sur base d'analogies contextuelles. Ces intellectuels de premier plan estiment que l'Islam fondamentaliste est trop centré sur le droit et la jurisprudence (al fiqh). Pour eux, la religion est plus qu'un code de commandements et d'interdits dans le domaine du droit pénal, des relations familiales et des coutumes alimentaires. Par une interprétation actualisée, la religion donnera davantage de sens à la vie et d'assurance identitaire face à l'invasion des formules importées. Notons ici que les novateurs islamiques sont en communion intellectuelle avec les philosophes occidentaux qui désignent l'être humain comme un agent de renouveau par sa capacité d'interprétation. Par une herméneutique bien conçue, le fidèle peut orienter le message vers les axes existentiels de la vie, et devenir de ce fait co-auteur du projet divin. Dans le domaine crucial de «l'aggiornamento» de la shari'a et des textes sacrés, les novateurs des deux rives de la méditerranée (chrétiennes et islamiques) sont donc à peu près sur la même longueur d'ondes.

La globalisation économique
La dimension économique de la globalisation forme une part importante de la thématisation. Elle est très critique à l'égard de l'égocentrisme occidental. Les publicistes islamiques sont d'avis que les économistes et les sociologues occidentaux sont de plus en plus gagnés par la stratégie et les doctrines de la BM (Banque Mondiale) et du FMI (Fonds Monétaire International), la soi-disant pensée unique. Ces deux institutions, hérauts fervents du Washington Consensus, présentent l'adhésion à leurs principes (néolibéralisme,
privatisation des entreprises d'Etat, corporate governance, modèle anglo-américain des structures bancaires, financières et monétaires) comme un impératif pour l'octroi d'aide et de crédits. Le développement autonome selon des traditions nationales est gommé et
remplacé par le concept de gouvernance mondiale. Les théories du développement et la gestion qui le met en pratique à l'échelle mondiale évoluent et varient en accord avec les besoins et les intérêts du centre, mais non selon les besoins de la périphérie. L'«ajustement structurel» est le mot clé de la politique économique pour les pays de la périphérie. Quant aux pays ex-communistes de l'est européen, ils sont dits «en transition» vers le capitalisme international. En Chine, enfin, une alliance s'est constituée entre un état autoritaire de parti unique et des firmes multinationales du monde occidental. Les deux s'unissent pour discipliner la main-d'œuvre abondante, ce qui donne un taux de croissance le plus élevé du monde. Suivant Kadhim Habib, professeur d'économie politique à
l'université de Berlin et durant de longues années militant du mouvement d'opposition contre Sadam Hussein en Irak, les firmes multinationales, qui sont elles-mêmes de structure oligopoliste, préfèrent travailler avec une main-d'œuvre disciplinée. Pour elles, la
discipline et les bas salaires l'emportent sur la démocratie.
Selon les critiques islamistes, la globalisation est une stratégie qui permet à l'Occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis de vivre au dessus de leurs moyens en s'appropriant une part disproportionnée des ressources mondiales (matières premières, pétrole), le contrôle sur ces ressources étant assuré, si nécessaire, par des interventions militaires. Le droit souverain des Etats est bafoué comme la propriété du sous-sol, alors que l'Occident met en exergue ces valeurs. La politique financière mondiale permet à Wall Street d'attirer une grande partie de l'épargne de la planète pour combler le déficit commercial et le déséquilibre financier des Etats-Unis.
Le pays le plus riche au monde se fait assister dans sa consommation effrénée par les banquiers des pays de la périphérie. Ainsi la surconsommation et le matérialisme de l'Occident sont-ils mis en lumière dans la plupart des textes islamiques. A l'inverse, au musulman pratiquant il est conseillé de consommer modérément, selon ses besoins et sans gaspillage. Aux yeux des islamistes, les pays occidentaux se veulent démocratiques mais leurs populations vivent sous un régime tyrannique. Le matérialisme ne connaît pas de frein et tous les partis politiques sans exception s'accordent à lui donner la priorité : le matérialisme est le parti unique de l'Occident. L'économisme et le matérialisme dominent la vie sociale et mènent à la commercialisation de la culture.
Al-Qaradawi et d'autres novateurs islamistes, en revanche, conçoivent le développement comme un projet de société dont les trois piliers sont la satisfaction des besoins, le respect des normes éthiques en politique de distribution et le respect de la nature. Cet idéal est un devoir (istiqlaf) dicté par Allah au musulman pieux. Les normes éthiques en économie sont l'équité dans les échanges, la juste rétribution du travail, la justice sociale et la charité. La globalisation libérale crée sans doute de nouvelles opportunités mais elle crée aussi de nouvelles formes d'inégalité, d'exclusion et de pauvreté, les lois du marché libre et l'équité étant souvent en contradiction.

La modernisation non occidentale
La grande disproportion, dans les rapports de consommation et de gaspillage des ressources de la terre, entre la minorité occidentale et la majorité démographique non occidentale est reprise comme un refrain dans tous les discours sur la mondialisation. Or, le modèle de consommation des pays du centre ne peut être multiplié à l'échelle des 6 500 millions d'habitants de la planète. Même si la technique arrivait à réaliser ce modèle, ce serait une course à l'explosion écologique. D'autre part, la disproportion actuelle n'est pas durable non plus : l'affirmation des civilisations en réveil exerce déjà une pression considérable visant à établir un rapport de forces plus équitable. Dans ce débat crucial, un colosse comme la Chine, en pleine croissance, a la même philosophie matérialiste que l'Occident, alors que les théoriciens islamiques sur base de leur théologie morale et d'éthique sociale égalitaire préconisent la modération en matière de consommation(alisraf). Consommation effrénée/modération : dans l'intérêt général, cette contradiction doit être corrigée par des politiques et des instances guidées par des normes éthiques et sociales. C'est pour atteindre ce but que des intellectuels novateurs de l'Islam se retrouvent aux côtés de réformateurs occidentaux, d'auteurs indiens comme Amartya Sen ou encore de penseurs d'Asie Orientale de l'école de Kyoto. Une comparaison des trajectoires asiatiques et islamiques est d'autant plus enrichissante que l'Islam de Malaisie représente un exemple : c'est encadré par des maîtres islamiques que Mohamed Mahathir, dans sa stratégie de développement, a redressé l'économie de ce pays dont il a été premier ministre pendant 22 ans. Certains novateurs du monde arabe, comme Hassan Hanafi, citent l'Islam modernisé de la Malaisie comme un modèle. Dans le monde occidental, des intellectuels engagés œuvrent pour un meilleur résultat social et humain en matière de gouvernance mondiale, sur base de normes éthiques et humanitaires. Il en est de même dans le monde de l'Islam en réveil : des novateurs y sont engagés dans le même combat. Passant par-dessus les préjugés des deux côtés, un dialogue interculturel ne pourrait être que fructueux.
L. B.
*Louis Baeck est professeur économiste et de géopolitique belge. Il est docteur en économie et master en relations internationales de l'université de Californie à Berkeley.


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