Depuis le premier jour du mois de Ramadhan, ils sont là dès 19h00, de part et d'autre de l'autoroute Est-Ouest, à hauteur de la bretelle desservant les villes de Chelghoum-Laïd et de Mila, à un peu plus de 30 km à l'ouest de Constantine. «Ils», ce sont vingt à vingt-cinq jeunes gens postés au bord de la chaussée, une petite boîte blanche à la main, faisant de grands signes aux automobilistes de passage qui se voient offrir, s'ils choisissent de s'arrêter, un kit de rupture de jeûne composé de dattes, d'un croissant, d'un fruit, d'un jus de fruit et d'une bouteille d'eau minérale bien fraîche. Nabil, Mohamed, Mehdi, Amine et leurs amis courent, toujours avec le sourire, vers les automobilistes et les routiers qui stoppent sur le bas-côté pour leur remettre le kit en leur lançant «Saha f'tourkoum (bon appétit). Soyez prudents sur la route». L'initiateur de cette idée, Nabil Tannache, salarié, président d'une association versée dans la préservation de l'environnement, souligne qu'au premier jour du Ramadhan, les usagers, échaudés par de précédentes agressions sur l'autoroute, étaient peu enclins à s'arrêter. Mais aujourd'hui, la présence des éléments de la Gendarmerie nationale qui participent à cette action en sécurisant la circulation routière, dissipe toutes les appréhensions. «Des routiers au long cours, des citoyens voyageant en bus et même des familles circulant à bord d'un véhicule de tourisme s'arrêtent, prennent leur kit et nous remercient pour notre geste qui représente pourtant si peu de choses», explique Nabil. Dès 19h00, lui et ses copains dont le nombre s'accroît au fil des jours «campent» sous le pont, près de la bretelle de Chelghoum-Laïd et offrent jusqu'à 210 kits par jour. L'idée d'offrir aux automobilistes de quoi rompre le jeûne est née du désir de ces jeunes gens, qui ont eux-mêmes choisi de sacrifier le ftour (rupture du jeûne) familial, de faire acte de solidarité, mais également de briser pour quelques minutes la solitude des routiers qui passent des heures et des heures au volant. Nabil et de nombreux jeunes activant dans des associations de la daïra de Chelghoum-Laïd se sont réunis juste avant le mois sacré en vue de concrétiser cette idée généreuse d'aller au-devant des automobilistes. L'étape suivante consistait à trouver des bienfaiteurs pour financer l'opération. Mohamed Beda, un autre jeune de Chelghoum-Laïd faisant partie du premier noyau de l'équipe, affirme que tous les bienfaiteurs sollicités «ont répondu présent et l'aventure a pu commencer». La veille, l'équipe de bénévoles prépare ce qu'elle va offrir le lendemain. Quelques heures avant la rupture du jeûne, Nabil, Mohamed et ses camarades se réunissent dans un restaurant qui a mis un local à leur disposition et préparent les kits de rupture de jeûne. «Au début, je me disais que j'aurais du mal à trouver des bénévoles pour cette action caritative, mais à ma grande surprise, chaque jour que Dieu fait, l'équipe s'agrandit», se réjouit Mohamed. Sur l'autoroute, quelques minutes avant la rupture du jeûne, Omar Baâdache, la cinquantaine, routier de son état s'arrête pour saluer l'équipe de bénévoles. Des liens d'amitié commencent à se tisser. «Nous autres les routiers, nous sommes maintenant habitués à la présence de ces jeunes gens, sur ce tronçon, mais aussi à l'entrée d'El Eulma, de Sétif et de Bordj Bou-Arréridj», souligne Omar pendant que de la localité voisine d'Oued Athmania, l'écho de l'adhan (appel à la prière) du maghreb parvient au petit groupe, entre deux vrombissements de camions de chauffeurs pressés. Tout en mangeant une datte, le routier confie que le fait de voir ce que font ces jeunes qui sacrifient, pendant tout le Ramadhan, le confort d'un ftour en famille, fait «chaud au coeur». Mehdi, étudiant en sciences politiques, membre de cette sympathique équipe de bénévoles, avoue avoir pris pour habitude, les années précédentes, de prolonger sa sieste jusqu'au coucher du soleil, ou presque. Aujourd'hui, dit-il, «je suis fier et très heureux de participer à cette action qui permet aux routiers de rompre le jeûne et de boire un petit peu d'eau fraîche, mais qui leur permet aussi de trouver un peu de réconfort, un geste d'humanité». Alors que l'horizon rougit et, pendant qu'Omar et plusieurs autres automobilistes finissent la prière du maghreb, pendant que les gendarmes s'en vont aussi discrètement qu'ils sont arrivés, Nabil, Mohamed, Mehdi, Amine et leurs amis prennent congé. C'est l'heure pour eux de rompre le jeûne. Il est plus de 20H30. APS