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Le terrorisme s'impose et focalise l'attention en Tunisie
Au moment où la situation économique constitue la vraie menace
Publié dans La Tribune le 02 - 08 - 2013

Les vrais défis pour les pays arabes ayant connu des bouleversements politiques majeurs sont d'ordre économique. La Tunisie et l'Egypte font face à une stagnation économique grave alors que leurs révolutions ont été motivées essentiellement par les frustrations et les disparités sociales énormes. Si l'Egypte dispose d'un potentiel économique qui n'attend qu'à être optimisé, elle traîne néanmoins un poids démographique qui hypothèque ses chances de renouer avec la croissance à moyen terme. La Tunisie, en revanche, est victime de son libéralisme débridé qui l'a rendu dépendante de l'Union européenne qui vit une crise structurelle profonde. Les exportations de ses produits agricoles vers l'UE ont grandement chuté et son tourisme n'arrive pas à renouer avec la reprise en raison du contexte politique et sécuritaire. La Banque Centrale tunisienne a fait le constat de la conjoncture économique et ne semble pas optimiste quant aux perspectives d'une embellie.
Le Conseil d'administration de la BCT a noté que les données disponibles montrent une atonie du rythme de l'activité économique durant le premier semestre de l'année, ce qui rend difficile, si cette tendance se poursuit, la réalisation de l'objectif fixé dans le budget économique en matière de croissance pour l'année 2013 et ce, malgré certaines évolutions sectorielles positives, en particulier la progression du rythme de la production du secteur industriel au mois d'avril (hausse de l'indice de la production industrielle de 4,1%), la poursuite de l'amélioration des indicateurs du secteur touristique au mois de juin et pour le deuxième mois consécutif (hausse des nuitées et des recettes de 4,6% et 5,4% respectivement) et la reprise de l'activité du transport aérien selon les données relatives au mois de mai. Pour ce qui est du secteur extérieur, le Conseil a souligné l'aggravation continue du déficit commercial avec l'extérieur durant le premier semestre de l'année en cours et, partant, la persistance des tensions exercées sur le déficit courant qui est demeuré à un niveau préoccupant malgré la baisse relative observée par rapport à la même période de l'an passé, soit 4,2% du PIB contre 4,6%. Toutefois, l'impact de ces évolutions sur le niveau des réserves en devises, qui ont atteint 11 347 MDT ou l'équivalent de 104 jours d'importation en date du 30 juillet 2013, a été atténué grâce à une mobilisation importante de ressources extérieures et ce, en dépit du repli de l'excédent de la balance des emprunts et celui de la balance des investissements extérieurs. Quant à l'évolution des prix à la consommation, le taux d'inflation s'est stabilisé à un niveau élevé au mois de juin 2013, soit 6,4% en glissement annuel et ce, pour le troisième mois consécutif, sachant que l'indice des prix à la consommation a augmenté de 0,3% en juin 2013 contre 0,1% le mois précédent. Concernant le marché des changes, le dinar a enregistré, en date du 29 juillet et comparativement à fin juin 2013, un léger repli vis-à-vis de l'euro et du yen japonais de 1,6% et de 1,1%, respectivement, contre une quasi-stabilité par rapport au dollar U.S. S'agissant des évolutions monétaires, les besoins de liquidité des banques se sont globalement atténués durant la première moitié de l'année courante en comparaison avec la situation ayant prévalu à la fin de 2012. Toutefois ces besoins se sont accrus à partir du mois de juin 2013, amenant ainsi la Banque Centrale à intensifier ses interventions sur le marché monétaire qui ont atteint, le 30 juillet courant, leur plus haut niveau depuis le début de l'année, soit 4 814 MDT en moyenne contre 4 758 MDT un mois auparavant et 3 922 MDT au mois de mai. Aussi, le taux d'intérêt moyen sur ce marché s'est-il stabilisé à 4,74% en juillet, soit le même taux enregistré le mois précédent. Il est à signaler qu'une cellule de veille a été mise en place au sein de la Banque Centrale pour assurer un suivi attentif des dernières évolutions des principaux indicateurs économiques et financiers et du marché des changes. En outre et dans le cadre du suivi diligent du développement de la conjoncture économique et financière en collaboration avec le secteur bancaire, le Gouverneur de la Banque Centrale a tenu une réunion avec les dirigeants des banques en date du 30 juillet durant laquelle a été relevé, notamment, le déroulement normal des opérations bancaires surtout monétaires et de change. Lors de l'analyse de l'activité du secteur bancaire, le Conseil a constaté le ralentissement du rythme de progression de l'encours des dépôts au cours du premier semestre de l'année en cours par rapport à la même période de 2012 (2,4% contre 4,1%) et ce, parallèlement à l'évolution des concours à l'économie qui se sont accrus, au cours de la même période, de 3,2% contre 5,1% durant le premier semestre de 2012, suite notamment à la faiblesse du rythme des crédits à moyen et long termes. A la lumière de ces évolutions, le Conseil a exprimé sa préoccupation concernant les événements récents qui ont marqué la scène nationale, tout en alertant sur la gravité de leurs retombées éventuelles sur l'activité économique et les équilibres financiers internes et externes, s'ils ne sont pas circonscrits rapidement. En outre, le Conseil a confirmé le maintien d'une politique monétaire accommodante par la Banque Centrale afin de fournir les liquidités nécessaires à l'activité économique et au soutien des secteurs productifs, outre le suivi rigoureux de l'évolution des indicateurs monétaires et financiers, et a décidé de maintenir inchangé le taux d'intérêt directeur de la Banque Centrale. Le Conseil a également appelé à prendre les mesures urgentes nécessaires sur les plans politique, sécuritaire et économique à même de pallier, moyennant la conjugaison de tous les efforts, la situation difficile et d'aider à retrouver le rythme requis de l'activité économique pour les derniers mois de cette année.

La violence détourne l'attention
Les assassinats politiques et la violence terroriste ont-ils détourné l'attention des Tunisiens des vrais défis qui s'imposent dans la conjoncture actuelle ? Manifestement c'est le cas d'autant plus que la situation s'est dégradée pour qu'elle devienne plus préoccupante que la situation socioéconomique dont le marasme perdure depuis au moins deux ans. Si la quête de la liberté et de la démocratie a dominé les slogans des révoltés tunisois quand ils ont répondu à l'appel de Sidi Bouzid en décembre 2010, la majorité des Tunisiens des villes et villages de l'intérieur du pays se sont révoltés pour que cette liberté d'expression, d'organisation et de manifester leur permette d'arracher leurs droits économiques et sociaux. Près d'une année après son accession au pouvoir, Ennahdha a surtout démontré son incapacité à gérer l'économie du pays encore moins à répondre aux immenses attentes des citoyens. Rappelons à ce propos que l'année 2012 a été marquée par les puissants mouvements de protestation de chômeurs, de travailleurs licenciés et de diplômés sans emplois. Etrangement, dès l'élection, en octobre 2012, de l'ANC et l'installation du gouvernement d'Ennahdha, l'insécurité et l'idéologie ont relégué au second plan les revendications sociales, pour s'imposer aux Tunisiens comme préoccupations majeures. Est-ce là une stratégie des Frères musulmans qui veulent ainsi se présenter comme un recours idéologique en suggérant «nous ou le chaos». La manière dont les huit militaires ont été tués à Châambi, semble être un message d'horreur et de terreur qui laisse supposer que les auteurs de cet acte veulent adresser un message à l'armée tunisienne pour ne pas suivre l'exemple égyptien. Ce qui est étrange, au-delà des velléités d'Ansar Chariaa de concurrencer Aqmi en espérant instaurer un Emirat en Tunisie, c'est le laxisme des autorités politiques avec ces groupes armés qui se sont pourtant manifestés à plusieurs reprises, dans le sud tunisien avant de s'implanter à Châambi, à l'ouest du pays pour bénéficier du soutien actif de Droukdel. Le 7 mai dernier, et après l'explosion de plusieurs mines artisanales au mont Chaâmbi, faisant plusieurs morts et blessés parmi les militaires, le gouvernement tunisien a fini par déclarer qu'il pourchassait des groupes liés à Al- Qaïda sur sa frontière avec l'Algérie. Lors d'une conférence de presse, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, déclare : «Il s'agit de deux groupes, l'un au Kef d'une quinzaine de personnes, l'autre au mont Chaâmbi d'une vingtaine de personnes. Il y a une connexion entre les deux groupes, et le groupe de Chaâmbi est lié à la phalange Okba Ibn Nafaâ, qui est liée à Al-Qaïda». Samedi 27 juillet, en Algérie, on annonce l'arrestation de Kamel Ben Arbia, alias Abou Fida, dans la Wilaya d'El Oued. Il était activement recherché par les autorités algériennes et tunisiennes. L'Algérie décide de boucler sa frontière dans cette Wilaya. La frontière algéro-tunisienne a été très fragilisée depuis les déclenchements des révolutions. La guerre en Libye a permis la prolifération et la circulation d'armes. Le 15 mai, El Khabar annonce que 6 000 soldats ont été déployés sur les frontières avec la Tunisie, en prévention de l'infiltration de «groupes salafistes armés». Au début du mois de juillet, Mosaïque FM rapporte que : «L'Algérie met en garde les autorités tunisiennes contre des mouvements suspects de terroristes et leur demande de revoir les mesures de sécurité sur ses frontières terrestres pour combattre la prolifération des armes et de renforcer la coopération bilatérale en matière de sécurité.» Quelques jours plus tard, huit soldats tunisiens ont été atrocement abattus. Leurs tenues et armes ont été volées. La Garde nationale a été ciblée deux fois ces derniers jours.
Un véhicule de la garde maritime a été visé samedi dernier par l'explosion d'un engin piégé à La Goulette, près de Tunis le 27 juillet aux premières heures du matin sans faire de victimes. Une deuxième attaque a eu lieu dans la nuit du 30 au 31 juillet, contre une patrouille de la Garde nationale au niveau de la ville de Mhamdia dans le gouvernorat de Ben Arous. Mohamed Jouhri, un responsable de la Garde nationale de la zone, a précisé au micro de la radio Express FM, que l'engin explosif (bombe artisanale) a été posé sur le bord de la route à côté d'un arbre, et qu'il a détonné au moment où la patrouille est passée à côté, sans faire de victimes.
Depuis le 29 avril 2013, date d'explosion de la première mine au mont Chaâmbi, les opérations de ratissage dans le massif montagneux ont fait plusieurs victimes dans les rangs de l'armée tunisienne, mais aucune arrestation n'a été effectuée parmi les terroristes recherchés. Lors d'un entretien accordé à la radio Mosaïque FM, le ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou a affirmé qu'une cinquantaine de personnes liées aux terroristes retranchés au Chaâmbi, ont été arrêtées en ville. Les forces de sécurité algériennes et tunisiennes sont en alerte maximale ces derniers jours au niveau des frontières des deux pays suite aux informations faisant état de projet de transfert d'armes achetées en Libye au profit des groupes armés tunisiens.
En effet, le niveau d'alerte aux frontières algéro-tunisiennes a été revu à la hausse au lendemain des informations fournies par un terroriste capturé vivant par les services de sécurité algériens au niveau de la wilaya d'El Oued, selon lesquelles, des terroristes se sont approvisionnés récemment en Libye pour 50 millions de dollars en vue de les acheminer au profit de leurs acolytes qui sévissent dans les monts Chaâmbi. Le groupe armé en question serait composé d'une dizaine d'individus «hyper-équipés», selon des médias tunisiens citant des sources sécuritaires. Les services de sécurité libyens ont été également informés de ce mouvement terroriste par leurs homologues algériens. L'Algérie a, pour sa part, renforcé ses effectifs dans cette zone en y dépêchant quelque 200 membres des forces spéciales en prévision de cette opération de traque contre ce groupe armé. Un proche de l'émir national d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), Abdelmalek Droudkel supervise les terroristes retranchés dans les monts de Chaâmbi, à la frontière algéro-tunisienne. En effet, un certain Abou Abderrahmane considéré comme l'un des proches de Droudkel a été dépêché sur les lieux pour tenter d'organiser les premières poches terroristes sur le territoire tunisien. Selon des sources sécuritaires algériennes citées par des médias tunisiens, mercredi dernier, les monts du Chaâmbi, devenus ces derniers mois comme une base de trafic d'armes et un point de passage vers le Mali et la Libye est sous le contrôle d'Aqmi.

Les politiques font du surplace
Alors que l'économie stagne et que le terrorisme gagne du terrain, la classe politique tunisienne, pouvoir et opposition font du surplace à travers des joutes oratoires qui ne changent rien à la donne. La troïka au pouvoir fait preuve d'un autisme inquiétant et l'opposition plaide pour un vide institutionnel. Ennahdha, et l'opposition prônent l'union nationale dans ce contexte. Les islamistes veulent cependant maintenir leur contrôle sur le gouvernement quitte à l'élargir, alors que les seconds réclament une refonte totale de l'équipe au pouvoir voire même la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC) élue en octobre 2011 mais dont les travaux sont paralysés. Chaque camp organise la nuit, après la rupture du jeûne, des manifestations à Tunis et en province qui sont régulièrement émaillées de heurts même si jusqu'à présent le nombre des manifestants reste modéré. L'impasse politique, associée à la menace «terroriste», inquiète vivement l'ensemble de la presse qui craint que la Tunisie ne bascule dans le chaos. Le Quotidien estime que «la Tunisie s'est progressivement empêtrée dans un infernal cycle de violence qui risque réellement de l'anéantir». «A défaut d'un gouvernement attentif et responsable et d'une ANC à la hauteur de leur confiance, les Tunisiens sont appelés à compter sur eux-mêmes pour affronter l'hydre du terrorisme», juge le journal. Plus nuancée, La Presse relève les responsabilités d'Ennahda et de ses alliés laïcs «face à la défaillance sécuritaire» mais le quotidien appelle les forces politiques des deux camps à faire preuve de pragmatisme. «La raison et la modération sont de mises si l'on veut sauver le pays du danger qui le guette», note ce journal. Du côté des analystes, l'attaque sanglante de Chaâmbi et les assassinats prêtés à la mouvance djihadiste des opposants Mohamed Brahmi la semaine dernière et de Chokri Belaïd en février témoignent d'un échec de la politique vis-à-vis des islamistes radicaux, alors que l'opposition ne cesse de taxer Ennahdha de laxisme à l'égard des extrémistes. «Le gouvernement n'a pas pris au départ de position claire vis-à-vis des groupes salafistes (...) et aujourd'hui il en faut une très sévère pour assainir le climat dans le pays, il faut une feuille de route claire sinon on laisse la porte ouverte à ce genre d'actes», relève Haykel Ben Mahfoudh, expert au Centre pour le contrôle démocratique des forces armées, un institut d'expertise. Il note aussi que «les forces armées sont épuisées par la longue période transitoire» actuelle en référence à l'état d'urgence en vigueur depuis la révolution de janvier 2011 et qui amène l'armée à assurer la sécurité urbaine jusqu'à l'abord des centres commerciaux. Sur le plan institutionnel, malgré les promesses d'élections le 17 décembre 2013 formulées, lundi dernier, par le Premier ministre Ali Larayedh, aucune avancée n'est en vue. Une soixantaine de députés sur 217 boycottent l'ANC pour en obtenir la dissolution, et parmi les autres aucun compromis n'est en vue sur le projet de Constitution en cours de rédaction depuis octobre 2011, condition pour la tenue d'un scrutin et d'institutions pérennes.
A. G.


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