De très nombreuses familles batnéennes se soucient peu -mais alors si peu- de savoir si les boulangers voudront bien appliquer les consignes et assurer des permanences durant l'Aïd El Fitr. Pour toutes ces familles, c'est «Khobz Eddar» (littéralement «pain fait maison») qui doit trôner en maître de la table. C'est pourquoi chez ces gens, de Batna à Arris et d'Ain Touta à Barika, la baguette, qu'elle soit «améliorée» ou pas, n'a pas voix au chapitre. Il ne fait pas de doute que la préparation du pain traditionnel a encore de beaux jours devant elle dans les Aurès, «Khobz Eddar» semblant correspondre à une pratique bien ancrée dans les mœurs des familles Batnéennes. Nacera, une fonctionnaire de la wilaya de Batna, soutient que la baguette de pain devient «une denrée rare pendant l'Aïd puisque les rideaux métalliques de la plupart des boulangeries restent hermétiquement et désespérément baissés, ne laissant émaner aucun effluve de pain au levain». Il reste que ce n'est pas du tout un problème pour Nacera du moment, dit-elle, que «Khobz Eddar» permet de «se passer, ce qui n'est pas plus mal, du pain du boulanger». Semblant décidée à mettre l'eau à la bouche à ses interlocutrices, deux de ses collègues prénommées Nadia et Souad, Nacera soutient que le pain maison, «moelleux et délicieux, pétri avec un soupçon de citron, parsemé de grains de nigelle et d'anis, est parfait pour accompagner toutes sortes de plats ou une bonne tasse de café». En fait, «Khobz Eddar» est un «pilier» de la gastronomie des Aurès où chaque région a son type de pain, sa façon de le pétrir et son mode de cuisson. Le pain fait maison accompagne tous les repas de fêtes dans cette wilaya où il est difficile de «dénicher» une famille capable de concevoir un Aïd sans «Khobz Eddar». Traditions parmi les mieux observées à l'occasion de la fête de l'Aïd par les mères de famille des Aurès, cet aliment naturellement énergétique garnira la table pendant plusieurs jours après avoir été savouré au tout premier petit-déjeuner après un mois de jeûne. Car il faut savoir que l'autre avantage de «Khobz Eddar» est qu'il peut être conservé durant plusieurs jours, à température ambiante, sans qu'il ne soit le moins du monde altéré. «Essayez de manger un morceau de pain de boulanger trois jours après l'avoir acheté !», s'écrie Nacera, le ton badin, un peu comme défier ses copines. «Conservez des morceaux de pain fait maison dans des serviettes en tissu et leur saveur demeurera intacte pendant une ou deux semaines», affirme la jeune dame sur un ton péremptoire. La tradition liée à la préparation de «Khobz Eddar» impose à la femme, qu'elle soit active ou mère au foyer, de préparer ce pain spécial à base de semoule de blé dur, d'huile de tournesol, de levure et de sel, doré au jaune d'œuf et agrémenté de grains d'anis et de nigelle. La «bonne» recette repose sur le mixage délicat de ces ingrédients que l'on pétrit en ajoutant assez d'eau tiède pour obtenir une pâte molle et un peu collante qu'on laisse ensuite lever avant de la débiter en pains ronds ou carrés, selon la forme du plateau. Ensuite, direction le four, mais pas n'importe lequel. Il faut en effet se rendre chez le boulanger (Nacera ne lui reconnaît que cette utilité pendant les jours d'Aïd) pour faire cuire le pain, de préférence dans un four chauffé à 200° C, pendant 20 minutes et à bon appétit ! L'opération de cuisson donne d'ailleurs une idée de l'engouement des familles batnéennes pour «Khobz Eddar». Il n'y a qu'à voir cette animation, la veille et l'avant-veille de l'Aïd, autour des boulangeries dont le sol est jonché de dizaines de plateaux de toutes tailles, souvent jusqu'à une heure tardive de la nuit. «Afin de maintenir toute la saveur de ce pain doré, il est recommandé, même si l'on possède un four à gaz ou électrique chez soi, d'envoyer son plateau chez le boulanger, surtout s'il dispose d'un four à l'ancienne qui permet une cuisson impeccable», souligne Nacera. Ces derniers jours à Batna, toutes les boulangeries ou presque se consacrent exclusivement à la cuisson de «Khobz Eddar», enfournant jusqu'à plus d'une centaine de plateaux par nuit. Un filon juteux, certes, mais qu'importe, chacun y trouve son compte. APS