Quand un ancien chef d'Etat, aux commandes du pays durant douze ans, parle de l'histoire de la Révolution, de l'accès au pouvoir dans un système algérien fermé ou semi-ouvert -c'est selon-, ou encore de sa préférence prononcée pour un régime parlementaire, c'est loin d'être anecdotique… La parole de l'homme, c'est-à-dire de M. Chadli Bendjedid, qui faisait jusqu'ici partie des muets du sérail, comme c'est la fâcheuse tradition politique en Algérie, est rare, exceptionnelle même, pour ne pas être prise en compte. Faut-il alors faire la fine bouche ou conjecturer à propos du timing ? Assurément, non. Ses mots, prononcés lors d'un récent colloque historique consacré à Amara Bouglez, le fondateur de la fameuse «Base de l'Est», n'ont pas forcément les reflets du métal en vermeil. Mais ils interpellent beaucoup à propos de cette tendance qu'ont les hommes politiques algériens à considérer que si la parole pouvait être d'argent, le silence, surtout quand il n'est pas contraint, est, lui, d'or pur. Car, qu'ils soient dans l'opposition, au cœur ou à la périphérie du pouvoir, les politiques algériens ont souvent fait le carême de la parole, qu'il s'agisse de témoigner de l'histoire passée ou de l'histoire politique en marche. Leur devise en la matière ? Cette vieille maxime populaire qui veut qu'on doit toujours maintenir hermétique le couvercle du puits des secrets. Ou encore, cette sempiternelle excuse du verrouillage implacable de la scène politique. Comme partout ailleurs, les peuples n'ont que les régimes et les oppositions qu'ils méritent. Dans le cas présent, les pessimistes comme les optimistes peuvent ergoter que l'ancien président de la République, qui a encouragé les réformes libérales hamrouchiennes de 1989, a dit peu ou pas assez. En tout cas, il a été très clair au sujet du choix qui se dessine de la présidentialisation du régime. Et encore plus explicite lorsqu'il s'est agi d'exprimer sa prédilection pour un régime parlementaire. C'était certes son choix, à la fois respectable et discutable, car l'expérience de par le monde, notamment en France, pour prendre l'exemple le plus proche, a toujours montré que tous les choix politiques sont toujours discutables, puisque imparfaits comme la démocratie elle-même. Au fait, quel était donc ce régime parlementaire dont a rêvé l'ancien chef d'Etat et qui a été contrarié par la volonté des hommes et le cours de l'histoire ? Dans un pays où la culture démocratique est au même niveau que celui atteint par les banques algériennes en matière d'ingénierie financière, faire le choix d'un régime parlementaire aurait été purement suicidaire. Le pays était d'autant moins préparé à cette option que les députés algériens de l'époque, pas plus d'ailleurs que ceux d'aujourd'hui, n'avaient le niveau d'expertise politique requis et ce professionnalisme parlementaire dont font preuve les représentants du peuple dans les démocraties évoluées. Pis, le Parlement aurait été l'otage d'une majorité verte dominée outrageusement par un islamisme archaïque et réactionnaire. Cet islamisme, réfractaire à toute idée démocratique, lui aurait préféré alors un «centralisme démocratique» fondamentaliste, appelé vaguement «choura» au sein d'un collège de décideurs restreint, formé par des dignitaires religieux qui auraient détenu finalement la réalité du pouvoir. On n'en est pas là, heureusement. L'histoire en a décidé autrement même si le coup de force de janvier 1992, dont a justement pâti l'ancien président de la République, est démocratiquement sujet à caution. A contrario, le choix qui a été fait présentement semble être celui d'un régime présidentiel fort et franc. Porterait-il en lui les germes d'un présidentialisme qui aurait les atours du césarisme ? Seul l'avenir, c'est-à-dire la prochaine révision constitutionnelle qui sera soumise à référendum, le dira. Enfin, ultime remarque : l'ancien président Chadli Bendjedid, qui a décoché quelques flèches bien acérées en direction des adeptes du putsch permanent, n'a pas dit qu'il était franchement opposé au choix présent de la présidentialisation du régime. Jusqu'à plus ample informé, ce silence, au goût d'une délicieuse omission (in)volontaire, vaut son pesant d'or. N. K.