Toute organisation transnationale se construit autour de principes et d'objectifs clairement définis par les Etats membres -fondateurs et adhérents- et respectés par tous. Le ciment de toute organisation sont les intérêts politiques et économiques communs à tous ses membres. L'identification de ces intérêts ne garantit pas pour autant la cohésion des membres encore moins une démarche commune qui se traduit par des décisions inspirées par les principes de l'organisation et allant dans le sens des ses objectifs. La création de l'Union européenne s'est faite pour qu'il n'y ait plus de guerre entre pays du Vieux Continent et pour l'établissement d'un marché commun, unique rempart contre les déchirements éventuels d'autant plus que l'interdépendance et l'intégration économique sont de nature à paver la voie vers une intégration politique. L'Union européenne n'a pas privilégié les liens historiques, religieux et linguistiques de ses membres et qui étaient d'ailleurs aussi pluriels qu'antagoniques. La dimension subjective des fondements de l'Europe est certes prise en compte mais elle n'a jamais été déterminante dans son avènement. L'Union européenne a été scellée par l'union de l'acier au sens propre et figuré de l'expression. En théorie, la Ligue arabe a tout pour se construire sur des bases plus solides que l'Union européenne : la langue, la religion, l'histoire. Cependant, ces éléments identitaires n'ont pas réussi à mettre en place une organisation homogène, opérationnelle et au seul service des Etats membres. En d'autres termes, la communauté linguistique, religieuse et historique, encore faut-il que ce soit le cas, ne constitue pas une base solide pour l'édification d'une maison unifiée encore moins garantir la communauté des intérêts, la solidarité à toute épreuve et la cohésion des Etats en toute circonstance. Tout au long de son parcours, la Ligue arabe a cumulé les échecs et a collectionné les dissensions et les trahisons de ses propres principes et objectifs. Les raisons ne s'expliquent pas uniquement par la fragilité de ses fondements doctrinaux qui se réfèrent au panarabisme passéiste et nostalgique d'une gloire perdue, mais surtout par la nature des régimes qui la composent et par les objectifs nationaux de chacun de ses membres. Tous les régimes arabes sans exception se réfèrent à la légitimité historique pour garantir leur pérennité alors que certains sont l'émanation de puissances étrangères qui y ont laissé leurs empreintes comme au Liban, et dans les pays du Golfe. L'autre clivage se manifeste épisodiquement entre les monarchies et les républiques alors qu'il n'y a pas de différences fondamentales entre les unes et les autres même si formellement les régimes républicains sont plus ouverts que les régimes monarchiques. La donne commune est l'absence de démocratie participative et de libre choix des gouvernants par les citoyens. Cependant, dès sa naissance, la Ligue est divisée en deux camps aux visées politiques opposées, l'entente égypto-saoudienne favorable aux projets d'indépendance s'opposant à l'axe hachémite jordano-irakien plus enclin à une coopération avec l'Occident encore maître de nombreux protectorats et mandats. Par la suite, et dans la période des guerres et luttes anticoloniales et de la guerre froide, une division s'opère entre Etats socialistes proches de l'Urss (Egypte, Syrie, Libye, ensuite l'Algérie à partir de 1962) et Etats proches des Etats-Unis (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis). En fait, l'attitude réactive de la Ligue arabe explique amplement l'alignement antagonique et conflictuel qui caractérise les relations interarabes et en l'occurrence, les positionnements de la Ligue arabe. L'action de la Ligue est d'abord dirigée contre l'ingérence des puissances coloniales dans la région, notamment la France et le Royaume Uni. À partir de 1948, l'Etat hébreu est également considéré comme une entité exogène au monde arabe onirique rendant son existence illégitime. Un grand nombre de sommets de la Ligue arabe ont été tenus suite à des évènements spécifiques du conflit israélo-palestinien et arabe. Les résolutions les plus importantes de l'institution concernent d'ailleurs la Palestine ce qui a nourri, en dépit des trahisons, l'illusion d'une cohésion arabe ce qui a entretenu longtemps le mythe d'une unité factice. Le nationalisme arabe allait établir son hégémonie au sein de la Ligue arabe après l'agression tripartite contre l'Egypte lors de la crise du Canal de Suez. L'échec de la Grande-Bretagne a entraîné un recul de son influence réduisant ainsi le poids du bloc hachémite au profit du bloc nationaliste conduit par l'Egypte de Nasser et la Syrie. Le duel au sein de la Ligue arabe est désormais entre républiques nationalistes et monarchies compradores. Le bloc nationaliste éclatera après la signature surprise des accords de Camp David par l'Egypte, ce qui a provoqué l'éclatement de la Ligue arabe et sa délocalisation en Tunisie. L'avènement du front du refus a aggravé les divisions interarabes d'autant plus qu'il a été perçu comme une structure fractionnelle qui agit en dehors de l'organisation désuète. La seconde fracture de la Ligue arabe est intervenue lors de la première invasion de l'Irak par la coalition internationale à laquelle des pays arabes ont activement pris part. Le mythe panarabe a commencé alors à battre de l'aile avant d'entamer sa mise à nu après la chute du Mur de Berlin qui a mis en veilleuse la guerre froide, du moins en apparence.
Les Arabes entre mythe et réalités La hache de la guerre froide étant enterrée momentanément, les monarchies du Golfe ont compris qu'elles ont le vent en poupe et peuvent alors s'afficher ouvertement aux côtés du «vainqueur» de la confrontation titanesque entre l'Est et l'Ouest. Les visées impérialistes sur les ressources énergétiques du Moyen-Orient semblent arranger les intérêts des pays du Golfe qui ont soutenu activement les deux invasions américaines de l'Irak. L'ouverture par l'Arabie saoudite et le Qatar de leurs espaces terrestres et aériens aux forces d'intervention étrangères en Irak, a été vécue par les peuples de la région comme une trahison et comme un coup dur porté aux aspirations d'unité, de solidarité et d'entraide arabes. Ce traumatisme n'est pas passé sans effet sur une jeunesse et des générations entières qui ont cru sincèrement au rêve de l'unité arabe. La faillite du projet arabe, friable tant dans son fond que dans sa forme, à sonné le glas d'un mythe pour donner naissance à un autre mythe encore plus fantaisiste et plus catastrophique pour la région : la renaissance du califat musulman. Al-Qaïda et ses multiples ramifications sont devenues aux yeux d'un bon nombre de déçus du panarabisme, les instruments de la réhabilitation de l'âge d'or, de la résistance à l'Occident impérialiste et de la destruction des régimes dictatoriaux et injustes. Le projet du califat tout autant que le panarabisme de façade, n'a servi en fait que les intérêts de l'Occident qui a réussi à imposer son hégémonie. «Les printemps arabes» programmés comme des saisons factices faite de fleurs en plastiques qui ont déchiqueté les peuples, ont terminé l'œuvre des divisions internes après le succès éclatant du projet des divisons interarabes. Des pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et le Qatar sont devenus paradoxalement les chantres de la démocratie, des libertés et des droits de l'Homme dans les pays arabes. Ces deux pays avec leurs alliés dans la région, ont participé au chaos en Tunisie, en Egypte et en Libye avant de déverser leur haine sur la Syrie alors qu'ils n'ont pas hésité à mobiliser leurs troupes pour mâter dans le sang, la révolte des Bahreïnis qui revendiquent l'égalité des confessions et les droits politiques. Les pays du Golfe qui ont fait main basse sur la Ligue arabe pour en faire un CCG bis, ont diabolisé l'Iran sous prétexte d'une menace nucléaire que représenterait ce pays musulman. D'un point de vue géostratégique, les pays du Golfe bénéficient du même statut que celui d'Israël, puisqu'ils sont sous la protection des Etats-Unis et à ce titre, ils développent le même discours et les mêmes arguments que ceux d'Israël contre la Syrie et l'Iran. Ne s'agit-il pas là d'un alignement subliminal sur les intérêts géostratégiques des Etats-Unis et d'Israël ? La précipitation de certains pays arabes à faire confiance à Israël lors des accords d'Oslo, et à établir des relations diplomatiques et commerciales avec l'Etat hébreu, semble s'inscrire dans cette stratégie de division accomplie. Face à cette réalité exacerbée par la crise syrienne en raison du positionnement belliqueux d'un bon nombre de pays arabes, la Ligue arabe a-t-elle un avenir et quel sera l'avenir des relations interarabes ? Depuis 1945, les Arabes ont écrit et joué une pièce tragicomique qui n'a plus aucun goût. L'une des régions les plus riches du monde, tant en ressources naturelles qu'en ressources humaines, située au cœur de la planète, se laisse violer et violenter à souhait par des puissances qui ne défendent que leurs intérêts y compris en soutenant Israël. Le comble du déchirement arabe, c'est lorsque la Ligue s'est divisée sur la dernière guerre israélienne à Ghaza et lors de l'invasion du Liban par Israël. En tout état de cause ni la Ligue arabe, ni les relations interarabes ne sortiront indemnes de ces dissensions chroniques et congénitales. L'éclatement de l'organisation est un fait accompli et les activités qui s'y déroulent sont de pure forme. Aujourd'hui, le CCG semble être homogène sur tous les plans et fonctionne conformément à ses intérêts qui ne sont pas ceux du Maghreb ou des pays de l'Afrique du Nord si on inclut l'Egypte qui se démarque des pays du Golfe. L'avenir est aux blocs sous régionaux et non à ce conglomérat sans consistance ni avenir. A. G.