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Le Proche-Orient, une région stratégique dans la politique mondiale des Etats-Unis
Concentrant tous les enjeux géostratégiques et économiques
Publié dans La Tribune le 17 - 01 - 2012

Dans cette nouvelle donne internationale conçue par les Etats-Unis, le Proche-Orient occupe une place centrale. Tous les enjeux s'y conjuguent : la question des ressources économiquement vitales, le contrôle des routes stratégiques de l'énergie, l'hégémonie économique et politique. C'est également dans cette région du monde, lors de la première guerre contre l'Irak (1990-1991), qu'a été mis en application pour la première fois le concept nouveau inhérent à cette stratégie : le droit d'être le gendarme du monde que les Etats-Unis se sont attribués. La politique de Washington au Proche-Orient est exprimée dans un document publié par le Washington institute for near east policy. Elle se distingue par un objectif de puissance très clairement affirmé, qui vise à prendre le contrôle de l'enjeu pétrolier en affaiblissant tous les pays arabes susceptibles d'y faire obstacle et en entretenant un partenariat étroit avec des alliés qui n'ont eux-mêmes pas d'autre choix.

Un exposé de la politique des Etats-Unis
Edité par le Washington institute for near east policy, le rapport du Groupe présidentiel d'étude, intitulé Navigating trhough Turbulence, America and the Middle East in a New Century, expose la politique des Etats-Unis au Proche-Orient. Il lui fixe cinq objectifs : empêcher une guerre régionale sur le différend israélo-arabe ; lutter contre les armes de destruction massive ; renforcer la lutte contre le terrorisme ; provoquer des changements en Irak et en Iran ; renforcer les relations avec les pays de la région. Chacun de ces objectifs fait l'objet d'un développement qui explique quels sont les buts recherchés et les moyens pour y parvenir, tout en précisant la vision des auteurs. Ainsi concernant le conflit israélo-arabe, il est notable que les rédacteurs du rapport n'apportent aucune précision sur le processus de paix qu'ils prétendent appeler de leurs vœux et se démarquent très nettement des accords d'Oslo dont ils rappellent qu'ils ne sont pas «une idée américaine». Ils estiment simplement qu'il convient de renforcer le partenariat israélo-américain, faire pression sur les Etats arabes «pro-occidentaux» pour qu'ils soutiennent le «processus de paix» et «dissuader» les adversaires déclarés ou potentiels (Irak, Syrie, Liban…). La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ne vise pratiquement que l'Irak, avec une allusion voilée à l'Iran. Rien n'est écrit concernant d'autres Etats qui développent des programmes d'armes de destruction massive autrement plus avancés, par exemple, Israël ou le Pakistan. Le rapport traite de la menace terroriste, évaluée comme très sérieuse dans ce document préparé plus d'un an avant les attentats du 11 septembre. Il est constant qu'il fait un amalgame entre la Résistance palestinienne et libanaise (Hezbollah), le terrorisme d'Etat ou le terrorisme intégriste. En outre, les rédacteurs se limitent surtout à une approche policière du phénomène terroriste sans développer aucune analyse politique quant à ses causes. L'obsession du renversement du pouvoir irakien apparaît très nettement tandis qu'il est simplement préconisé de soutenir les forces «modérées» contre les partisans de la ligne dure du régime iranien. Enfin, concernant les relations avec les Etats de la région, il est notable que le document met en exergue l'affirmation d'une alliance stratégique avec Israël et la Turquie et se limite à des déclarations de principes visant à améliorer les bonnes relations, en particulier avec une nouvelle génération de dirigeants arabes, souvent moins charismatiques que leurs prédécesseurs, que les Etats-Unis entendent aligner sur eux. Il est suggéré d'encourager une meilleure connaissance mutuelle entre les Etats-Unis et les pays arabes dits «pro-occidentaux», afin de sauvegarder les «intérêts vitaux» des Etats-Unis. Sur ce point, il est remarquable que, sous le couvert du renforcement de la coopération dans le domaine de «la sécurité énergétique, militaire et économique», le rapport préconise surtout un renforcement de la présence militaire américaine dans certains pays arabes, au risque de leur créer de graves problèmes intérieurs.Quand bien même n'exprime-t-il pas une position officielle des Etats-Unis, le rapport de l'Institut de Washington, lequel passe pour être proche du fameux American-Israel public affairs committee (Aipac), l'un des principaux organismes du puissant lobby pro-israélien, est très révélateur du courant dominant dans l'administration américaine. Il s'inscrit très nettement dans la stratégie conduite par Washington au Proche-Orient. Ce document éclaire les grands axes de la politique états-unienne : le contrôle des régions productrices de pétrole, notamment par la présence de forces militaires, importantes et permanentes, sur le sol de la Péninsule arabe ; l'affaiblissement de l'Irak dont le sort doit servir d'exemple à tous ceux qui seraient tentés de remettre en question la suprématie des Etats-Unis ; l'alliance stratégique avec l'Etat d'Israël et la suprématie militaire absolue des alliés des Etats-Unis (Israël et Turquie).

Le pétrole, enjeu stratégique
Si le mot pétrole apparaît très peu dans le rapport publié par le Washington institue for near east study, il est indéniable que l'idée est omniprésente sous des termes alambiqués tels «sécurité énergétique», «sécurité économique», «intérêts vitaux des Etats-Unis». Le fond du problème est donc bien la géopolitique du pétrole. Malgré l'accroissement des parts d'autres sources d'énergie, le pétrole restera durant des décennies la première source d'énergie. Or c'est une ressource naturelle épuisable. Les réserves pétrolières mondiales ont enregistré une baisse de 18,2 milliards de barils en 1999, en tombant à 1016 milliards. L'évolution des réserves et de la production va inexorablement baisser alors que, parallèlement, l'accroissement des besoins énergétiques mondiaux ne cesse d'augmenter. Ainsi sont les données de base qui expliquent que le pétrole constitue un enjeu stratégique essentiel. Qui tient le pétrole tient l'économie mondiale. Forts de cette certitude, les Etats-Unis ont fait une priorité de la mainmise sur le pétrole mondial. Premier consommateur et premier importateur de pétrole dans le monde, pays d'origine des plus grandes sociétés pétrolières internationales, contrée productrice de pétrole, les Etats-Unis ont toujours exercé un rôle primordial dans le développement et l'orientation de l'industrie pétrolière. Depuis 1986, les réserves pétrolières des Etats-Unis ont commencé à chuter, et c'est précisément à cette époque que la part des importations a dépassé la part de la production nationale pour la consommation intérieure. En outre, les Etats-Unis ont le souci de préserver leurs propres réserves, qui ne représentent que 30 milliards de barils, en privilégiant l'achat de naphte sur le marché mondial. Dans ces conditions, la géopolitique du pétrole peut s'articuler à partir de deux approches : le contrôle des zones de production et des routes du pétrole, le contrôle du prix. Le jeu états-unien repose sur trois objectifs majeurs : acheter sur le marché mondial à un prix relativement bas, être présent dans les principales régions productrices pour faire pression sur les concurrents européens et asiatiques (notamment la Chine), maîtriser les routes d'acheminement de l'or noir. Dans la course pour le pétrole, le Proche-Orient occupe une place de choix. La seule région du Golfe arabo-persique détient plus de 660 milliards de barils de réserves pétrolières, soit plus de 65% des réserves prouvées du monde, avec deux poids lourds : l'Arabie Saoudite et l'Irak qui possèdent les premières réserves mondiales. Le centre de gravité de la production pétrolière mondiale est de manière stable dans cette région, capable de répondre aux besoins de la planète pour les cinquante prochaines années et, par ailleurs, voisine d'une autre importante région productrice : le lac caspien. Depuis les années 1930, les Anglo-saxons se sont employés à faire du Golfe une chasse gardée. Le premier à contester leur hégémonie, le dirigeant iranien Mossadegh avait été renversé par un complot de la CIA en 1953, mais c'est l'Irak, sous le gouvernement nationaliste du parti Baas, qui, à partir de 1968, a vraiment remis en cause la domination américaine en nationalisant le pétrole et en mettant en place une politique de coopération privilégiée avec un certain nombre de pays amis, dont la France. Après la guerre israélo-arabe de 1973, l'hégémonie de Washington se trouvait menacée par la montée en puissance des concurrents européens et japonais. Parallèlement, elle était contestée à la fois par le roi Fayçal d'Arabie Saoudite, qui récusait la politique américaine vis-à-vis du conflit israélo-arabe et souhaitait être plus indépendant de Washington, et par le Chah d'Iran qui, après son rapprochement avec l'Irak, intervenu lors de l'accord d'Alger de 1975, semblait se détacher de l'orbite américaine. Une nouvelle donne était en train de se mettre en place. La suite est connue : la Turquie, alliée indispensable des Etats-Unis contre le monde arabe, se voit donner le feu vert pour occuper Chypre, en juillet 1974 ; le roi Fayçal est assassiné par un agent américain en mars 1975 ; la guerre du Liban est déclenchée par des groupes orchestrés par Israël et les Etats-Unis, en avril 1975 ; des mouvements religieux extrémistes, manipulés par les Anglo-saxons, commencent à contester l'autorité du Chah d'Iran. Finalement en janvier 1979, celui-ci va être renversé par Khomeiny qui instaure une République islamique dont la turbulence va provoquer des crises avec ses voisins arabes. Après le déclenchement de la guerre Irak-Iran, le 4 septembre 1980, les Etats-Unis permettent à Israël de soutenir l'effort militaire de l'Iran afin de faire durer la guerre et d'épuiser les deux pays. Le scandale de l'Iran Gate révélera le soutien militaire américain apporté au régime de Khomeiny par l'intermédiaire d'Israël. En même temps, les Etats-Unis renforcent leur présence auprès des monarchies arabes du Golfe terrorisées par la menace iranienne.Ayant vaincu l'Iran en 1988, l'Irak se retrouve en situation de force dans la région du Golfe. Doté d'une armée expérimentée, disposant d'un fort potentiel technologique, détenteur des secondes réserves de pétrole du monde, l'Irak peut prétendre exercer un rôle de premier dans le monde arabe. Or, l'Irak a résolument fait le choix de se rapprocher des nations européennes, en particulier de la France, qui l'a aidé durant le conflit avec l'Iran, et des Etats asiatiques (Japon, Chine). Baghdad accorde à ces pays un statut privilégié en matière d'échanges économiques et de coopération dans le domaine pétrolier. Cela signifie à terme un déclin de l'hégémonie américaine dans le Golfe et une remise en cause du rôle des compagnies anglo-saxonnes sur la politique pétrolière. Et cela au moment où l'effondrement du bloc soviétique fait disparaître la menace soviétique, réelle ou supposée, qui justifiait la présence américaine à la fois dans un grand nombre de pays européens, sous couvert de l'Otan, ou dans les Etats arabes dits pro-occidentaux. C'est dans ce contexte qu'est née la politique d'affaiblissement du potentiel économique et militaire de l'Irak et l'idée de renverser le pouvoir baassiste pour installer à Baghdad un régime pro-américain.En 1989, deux ans avant l'affaire de Koweït, les Etats-Unis et leurs propagandistes lancent une intense campagne diplomatique et médiatique de dénonciation autour du prétendu «nouveau danger irakien». La chute du bloc soviétique aura pour conséquence de précipiter le scénario. Désormais, les Etats-Unis préparent l'après-guerre froide qu'ils conçoivent comme un ordre mondial américain. Dans ce contexte, mettre la main sur le pétrole devient un but prioritaire. Puissance indépendante au cœur d'une zone stratégique, l'Irak a tout uniment le tort d'être un obstacle aux visées états-uniennes dans la région. C'est tout le sens du piège tendu à Baghdad avec l'affaire de Koweït (août 1990) et de la guerre qui va suivre l'occupation de l'émirat, en janvier 1991. Depuis la guerre contre l'Irak, les Etats-Unis ont marqué leur territoire. Ils se sont puissamment installés militairement dans la région du Golfe sous le couvert d'alliances militaires qu'ils ont imposées aux monarchies locales, ce qui n'est pas sans provoquer un profond mécontentement dans la population. En même temps, on connaît l'intérêt que portent les Etats-Unis au pétrole caspien et les efforts qu'ils déploient pour se rapprocher de cette région et influencer le choix des routes qui achemineront l'or noir caspien. Tout l'enjeu consiste à faire échapper les champs pétroliers des pays riverains du lac caspien à l'influence russe tout en écartant la Chine du jeu. La question de l'acheminement du pétrole du lac Caspien est l'un des grands enjeux géopolitiques de ces dernières années. L'objectif des Etats-Unis est de maîtriser les voies d'acheminement du brut en faisant transiter le pétrole kazakh et azéri par le territoire turc jusqu'au port de Ceyhan. L'intérêt stratégique de Washington dans cette affaire est attesté par le fait que le ministre de l'Energie des Etats-Unis, Spencer Abraham, a inauguré en grandes pompes la construction de l'oléoduc Bakou-Ceyhan, le 17 septembre 2002. Les visées états-uniennes expliquent le soutien apporté à tous les mouvements séparatistes au sein de la Russie (par exemple, en Tchétchénie) ou aux régimes et partis intégristes dans les républiques musulmanes de l'ancienne URSS. Elles sont aussi à l'origine du renforcement de l'alliance avec la Turquie, chargée de renforcer l'Otan, c'est-à-dire la police états-unienne, dans cette partie du monde. Pour être complet, il faut ajouter que l'installation de troupes américaines au Kosovo et en Afghanistan s'est précisément effectuée dans des endroits qui pourraient être des lieux de transit du pétrole caspien. La guerre contre l'Irak, programmée dès le mois de septembre 2002, entre sans aucun doute dans la stratégie globale des Etats-Unis. Dès lors, il est possible de mieux comprendre l'incroyable acharnement et les méthodes les plus discutables qu'ils ont utilisées pour en finir avec ce pays.

Affaiblir l'Irak, diaboliser l'Islam, remodeler le Proche-Orient
La politique des Etats-Unis à l'égard de l'Irak a pour fondement la stratégie pétrolière de Washington. Ce n'est sans doute pas un hasard si des représentants de l'opposition irakienne en exil, proches des Etats-Unis et, pour certains, liés au lobby pétrolier états-unien, ont déclaré que, en cas de renversement du pouvoir irakien, les compagnies pétrolières françaises, européennes et russes n'auraient plus aucune facilité en Irak. Que ces déclarations, jugées inopportunes par Washington, aient été démenties n'enlève rien au fait qu'elles ont été prononcées et traduisent bien la réalité. Depuis longtemps, l'Irak a été un obstacle à la politique de Washington. C'est cet obstacle qu'ils voudraient réduire. Ce pays a commis le crime de contester la suprématie américaine et la punition doit être assez dure pour servir de leçon à tout pays qui serait tenté de suivre son exemple. En outre, l'Irak était le dernier bastion, ou l'ultime témoin, d'un fort courant nationaliste arabe qui, avec Nasser en Egypte et le parti Baas en Syrie et en Irak, s'est manifesté à partir des années 1950. Ce courant qui a séduit une large partie des masses arabes, a été vigoureusement combattu par les Etats-Unis aux yeux desquels ce mouvement, et ce mouvement seul, pouvait durablement compromettre leurs objectifs au Proche-Orient. Il est constant que ce nationalisme arabe, progressiste et laïque a suscité des sympathies dans de nombreux pays en Europe où, pour des raisons géopolitiques évidentes, les Etats sont plus intéressés par les évolutions sociopolitiques d'un monde proche-oriental, notamment arabe, qui est leur voisin et auquel plusieurs d'entre eux sont traditionnellement liés par de puissants facteurs historiques, humains, sociaux et culturels. Face à ce nationalisme arabe, les Etats-Unis ont cru pouvoir instrumentaliser des groupes intégristes religieux, servant d'excellents repoussoirs, propres à écarter l'Europe du monde arabo-musulman. L'utilisation de l'intégrisme a été une tentation états-unienne afin d'éviter la mise en place d'une coopération solide entre le monde arabe et ses voisins du nNord de la Méditerranée. Né sur le terreau des frustrations et des humiliations, l'intégrisme religieux présente la double particularité d'avoir été favorisé par la politique américaine au Proche-Orient et, en même temps, d'avoir souvent bénéficié du soutien, plus ou moins discret de Washington, qui a probablement joué les apprentis sorciers. Après les événements du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont immédiatement utilisé ce drame pour brandir la prétendue «menace de l'Islam». Ils ont diabolisé l'Islam de façon à enrôler dans une nouvelle croisade un certain nombre de pays occidentaux incapables de faire la différence entre une poussée extrémiste, conjoncturelle et surévaluée, et l'ensemble du monde musulman qui est d'ailleurs loin d'être homogène. C'est dans ce contexte que la mise en scène de la crise avec l'Irak s'est organisée. Le jour même des attentats du 11 septembre 2001, le secrétaire d'Etat à la défense des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, déclare : «Maintenant, on peut enfin attaquer l'Irak. Richard Clarke, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la Maison-Blanche, a révélé qu'au lendemain des attaques et malgré la mise en cause d'Al-Qaïda, George Bush lui a demandé à trois reprises de «mettre le 11 septembre sur le dos de l'Irak». Selon lui, «dès 1998, Wolfowitz, Perle, Rumsfeld, avaient décidé, contre les faits, qu'il fallait défaire Saddam... Pour cela, ils ont inventé un lien entre Al-Qaïda et Saddam Hussein, qui n'existait pas !». C'est ainsi que le groupe extrémiste, composé de membres du lobby ultrasioniste (les «néoconservateurs» Wolfowitz, Perle, William Kristol, Elliott Abrams) et du lobby du pétrole et de l'industrie de l'armement (Cheney, Rumsfeld) qui influence la politique de Bush met en place une vaste opération d'intoxication visant à préparer la guerre contre l'Irak. L'idée première est de détruire l'Irak pour affaiblir le monde arabe au profit d'Israël. Wolfowitz déclare : «Ce qui est bon pour Israël est bon pour les Etats-Unis.» Plus largement, l'objectif poursuivi vise à permettre aux Etats-Unis de maintenir et consolider leur présence militaire dans le Golfe en organisant une guerre dont l'objectif consisterait à installer un régime pro-américain à Baghdad pour verrouiller le dispositif géopolitique régional dans la perspective d'un plan pour un «Grand Moyen Orient» visant à remodeler un ensemble artificiel qui, ignorant les lignes de fracture entre les mondes arabe, turc, perse ou pakistanais, s'étendrait des frontières de l'Inde au Maroc. Les attaques contre Washington et New York du 11 septembre 2001 ont donné aux Etats-Unis une occasion inespérée de présenter leurs visées stratégiques comme un combat contre un prétendu «axe du mal» dans lequel sont compris des pays qui n'ont aucune responsabilité dans le terrorisme. Après l'intervention en Afghanistan, les Etats-Unis ont immédiatement désigné Baghdad comme leur adversaire, sans qu'il soit possible d'établir le moindre lien entre les attentats terroristes et l'Irak, qui n'a jamais eu la moindre complaisance pour les groupes intégristes, adversaires déclarés et acharnés du régime baassiste. La lutte contre le terrorisme est donc devenue une excuse pour proposer une division du monde fondée sur la distinction entre les Etats qui suivent inconditionnellement les Américains dans la guerre contre «le mal» et les Etats «voyous» censés incarnés le mal. Le motif de faire la guerre à l'Irak pour combattre le terrorisme était d'ailleurs si peu crédible auprès de la communauté internationale que les Etats-Unis ont soutenu parallèlement que leur but est d'éviter la prolifération des armes de destruction massive. Mais outre le fait qu'il a été prouvé que l'Irak ne disposait pas de telles armes, le principe même du désarmement de ce pays pose problème. En effet, le désarmement de l'Irak a également pour but de faire en sorte que l'Irak ne puisse pas jouer son rôle au service de l'équilibre des forces dans la région. Par surcroît, désarmer l'Irak, alors qu'aucun autre pays arabe ne dispose de moyens militaires sérieux, revient à affaiblir le monde arabe et à laisser la suprématie militaire au Proche-Orient aux deux meilleurs alliés des Etats-Unis : l'Etat d ‘Israël et la Turquie. Après la chute du gouvernement nationaliste à Baghdad, en mai 2004, les Etats-Unis ont installé un pouvoir composé de collaborateurs et de représentants des divers partis ethniques et religieux, en attendant l'élaboration d'une nouvelle Constitution qui consacrerait un fédéralisme qui menacerait du même coup l'unité de ce pays. Par ailleurs dès l'invasion de l'Irak, les relations se sont dégradées entre Washington et Riyad au point que l'Arabie Saoudite, l'une des dernières béquilles d'un monde arabe de plus en plus impotent, semble désormais menacée par son ancien allié américain. Dans ces conditions, le vrai problème est celui de la politique des Etats-Unis à l'égard du monde arabe. La nation arabe, le pays réel arabe a le sentiment d'être victime de la politique anglo-saxonne depuis un siècle. La liste des ressentiments est longue : la trahison des promesses faites aux Hachémites lors de la Grande Révolte durant la Première Guerre mondiale ; l'encouragement du sionisme suivi de la création de l'Etat d'Israël en Palestine, puis le soutien constant et partial à l'Etat d'Israël ; la lutte conduite par les Etats-Unis contre les régimes nationalistes qui appelaient les Arabes à relever la tête et à s'unir ; le pillage des richesses pétrolières arabes ; la mise sous tutelle de la plupart des régimes arabes ; la volonté permanente d'empêcher la constitution d'une force arabe, économique ou militaire dans un contexte régional marqué par le surarmement de l'Etat d'Israël, doté de l'arme nucléaire à Israël, du Pakistan, de l'Iran ou de la Turquie. L'occupation de l'Irak par les Etats-Unis et les graves atteintes aux droits de l'homme qui entachent cette occupation (torture des prisonniers, arrestations arbitraires, répression de la Résistance…) constituent des griefs supplémentaires. D'autant plus que les Arabes pressentent que cette occupation est le prélude à un remodelage de la carte du Proche-Orient. En effet, le Washington Post du 11 septembre 2002 notait que l'Irak «n'est que la première pièce du puzzle. Après avoir évincé Saddam Hussein, les Etats-Unis auraient plus de force d'appui pour agir contre la Syrie et l'Iran. Le but n'est pas uniquement un nouveau régime en Irak, mais l'établissement d'un nouveau Proche-Orient.» Les contours de ce Proche-Orient remodelé seraient encadrés par Israël, la Turquie et l'Irak occupé qui rejoindrait ainsi l'axe stratégique israélo-turc dans une sorte d'alliance qui rappellerait le Pacte de Baghdad de 1955. Dès lors, les Etats-Unis pourraient s'employer à reprendre pied en Iran et, avec leurs alliés israéliens et turcs, mettre au pas la Syrie, voire favoriser sa partition sur des bases ethniques ou religieuses. En outre, sous prétexte de combattre le Hezbollah au Liban, Israël aurait le feu vert pour réoccuper une partie du Sud-Liban tout en favorisant la division du Liban sur des bases confessionnelles. Il est, d'ailleurs, notable que, depuis quelques mois, les Etats-Unis et Israël ont repris contact avec des éléments extrémistes de l'opposition libanaise, qui multiplient les provocations contre le gouvernement de Beyrouth. Enfin, le nouvel axe pro-états-unien pourrait englober la Jordanie, à laquelle serait proposée d'annexer une partie de l'Arabie Saoudite, laquelle fait l'objet à Washington d'un plan de partition en trois ou quatre zones. Dans ces conditions, il n'y aurait plus aucune puissance arabe, et le champ serait libre pour les seuls alliés stratégiques des Etats-Unis.

Les alliés stratégiques : Israël et la Turquie
«Si les Américains déplorent l'anti-américanisme qui se manifeste de plus en plus dans le monde arabe, ils devraient s'interroger sur les causes de cet anti-américanisme. De la même façon, s'ils déplorent le terrorisme dont ils sont victimes, ils devraient s'interroger sur les raisons qui poussent des hommes et des femmes à avoir recours à ces actes condamnables.» Cette réflexion d'un dirigeant d'un Etat arabe du Golfe résume bien la question de fond posée par la politique des Etats-Unis au Proche-Orient : «dans l'ensemble du monde arabe, de l'Atlantique au Golfe, du Maroc au Yémen, l'opinion publique arabe est hostile à l'Amérique, non pas pour ce qu'est l'Amérique, non pas par haine du peuple américain, de sa culture, de sa réussite, mais pour ce que fait l'Amérique. Nous avons le sentiment que la politique des Etats-Unis se conduit, selon les intérêts des seuls Etats-Unis, sans aucun sens des responsabilités et, surtout, comme si nous, Arabes, n'existions pas, comme si nous n'étions que des pions méprisables. Comme si nous étions des êtres humains de deuxième classe, n'ayant pas les mêmes droits que les autres. A cet égard, la question de Palestine est très révélatrice. Les Etats-Unis ont répété à satiété que l'Irak de Saddam devait se conformer aux résolutions de l'Onu mais cela fait des décennies qu'Israël bafoue des dizaines de résolutions des Nations unies.» Lorsque les rédacteurs du rapport Navigating through Turbulence écrivent que l'un des axes majeurs de la politique des Etats-Unis au Proche-Orient doit être l'alliance stratégique avec l'Etat d'Israël et la suprématie militaire absolue des alliés des Etats-Unis, ils ne font que traduire une réalité. De fait, les seuls alliés inconditionnels des Etats-Unis dans la région sont des Etats non arabes : l'Etat d'Israël et la Turquie, auxquels Washington rêverait d'ajouter l'Iran. Pour les Etats-Unis, Tel-Aviv et Ankara sont, depuis l'époque de la guerre froide, des partenaires solides, et cette alliance a survécu à l'effondrement du bloc soviétique. S'agissant d'Israël, il est commun de souligner le rôle du groupe de pression pro-israélien, mais c'est une explication un peu courte. Qu'il existe un lobby pro-israélien aux Etats-Unis est indéniable, que celui-ci soit actif et influent est bien moindre dans un pays où le lobbying est non seulement autorisé mais réglementé. Mais quel que soit le dynamisme de ce groupe de pression, notamment du fait de l'influence des «néoconservateurs», il ne suffit pas à expliquer la force du pacte qui lie Tel-Aviv et Washington. A vrai dire, l'influence du lobby pro-israélien rejoint la visée stratégique états-unienne. En réalité, les Etats-Unis ont bien compris qu'Israël est au Proche-Orient un Etat isolé, qui, aussi longtemps qu'il refusera la création d'un Etat palestinien indépendant et viable, il ne pourra jamais s'intégrer dans la région. De ce fait, un tel Etat n'a pas d'autre choix que celui de rechercher un protecteur puissant dont il sera par la force des choses un allié fidèle et sans états d'âme. Allié d'autant plus appréciable qu'il est doté d'une armée suréquipée qui fait de lui un bon gendarme. C'est sur cette base que les deux pays entretiennent une complicité que ne viennent guère troubler que quelques timides rappels à l'ordre lorsque le gouvernement israélien, périodiquement formé par une coalition de droite et d'extrême droite, dépasse la mesure et provoque l'irritation trop vive de la communauté internationale. En revanche, sur l'essentiel Washington ne fait rien qui puisse s'opposer formellement à une stratégie israélienne qui rejette les accords d'Oslo et cherche à éliminer l'Autorité palestinienne. A vrai dire, les Etats-Unis ne cherchent pas à avoir une position équilibrée et impartiale, ils ne sont pas des faiseurs de paix, mais ils conduisent tout uniment une politique de puissance, conforme à leurs seuls intérêts. Ainsi, afin de ménager leur allié israélien, ils sont moins intéressés par la résolution définitive de la question palestinienne, c'est-à-dire par la création d'un Etat palestinien et de nouvelles relations entre deux Etats, israélien et palestinien, libres et égaux, que par le maintien d'une sorte de statu quo en se limitant à éviter toute confrontation majeure qui bouleverserait leurs propres plans. Selon l'hebdomadaire gouvernemental égyptien Al Ahram hebdo, le véritable axe du mal est «celui que forment les Etats-Unis, Israël et la Turquie». En effet, la Turquie est le second partenaire stratégique des Etats-Unis au Proche-Orient. A l'instar d'Israël, ce pays est mal à l'aise dans la géopolitique de la région. Ni européen ni arabe ; en froid avec ses voisins grecs, russes, arméniens et iraniens ; pays musulman et membre de l'Otan, la Turquie entretient aussi des rapports tendus avec la nation arabe. En Méditerranée orientale et au Proche-Orient, la Turquie est, avec Israël, un «Etat paria» coupé de son environnement. Pour Washington, la Turquie joue un rôle clé. Dans les Balkans, le retour des Turcs, à l'occasion de crise de l'ex-Yougoslavie, s'est nettement opéré dans le cadre de la politique américaine et allemande. La Turquie est l'une des pièces maîtresses du jeu états-unien contre la Russie pour le contrôle du pétrole du lac caspien et surtout le transit de ce pétrole qui devrait principalement s'effectuer vers le port turc de Ceyhan. Sur le plan militaire, il convient de souligner que, forte de 797 000 hommes, l'armée turque est la seconde armée de l'Otan. Le secrétaire général de l'Otan, lord Robertson déclarait, le 23 novembre 2000, à Istamboul que la Turquie «est un allié sûr de l'Otan au cœur d'une zone vitale qui comprend les Balkans, le Caucase, le Proche-Orient et la Méditerranée». Grâce à la Turquie, l'Otan, c'est-à-dire les Etats-Unis, consolide son dispositif qui s'étend aux frontières de la Russie et du monde orthodoxe, d'une part, à celle du monde arabe et perse, d'autre part.
La Turquie est également instrumentalisée par les Etats-Unis au Proche-Orient. Durant la guerre contre l'Irak, la Turquie a servi de base aux bombardiers américains. Elle continue à être utilisée par les anglo-américains pour les bombardements effectués en violation du droit international contre l'Irak. Par ailleurs, la Turquie et Israël ont conclu, en février 1996, un accord de coopération militaire qui représente une modification majeure des données stratégiques au Proche-Orient. Cet accord prévoit des facilités et des possibilités d'exercices pour les forces israéliennes dans les vastes espaces dont dispose la Turquie, l'amélioration par Israël des équipements de l'armée turque et l'échange d'informations. Deux textes, dont certaines clauses restent secrètes, ont été signés en février et en août 1996. Ils autorisent notamment la tenue de manœuvres aériennes et navales conjointes, des facilités portuaires, la possibilité pour l'aviation israélienne de s'entraîner au-dessus du vaste espace anatolien. Israël et les Etats-Unis, puisque l'un ne fait rien sans l'autre, vont plus loin en équipant l'armée turque des technologies militaires les plus modernes. Ainsi, en août 2000, le Premier ministre israélien, Ehud Barak, s'est rendu à Ankara pour négocier des contrats d'armement avec son homologue Bulent Ecevit, y compris un satellite espion pour lequel Israel Aircraft Industries (IAI) est d'ailleurs en lice avec le Français Alcatel.Il est notable que l'alliance turco-israélienne correspond à un choix politique de la Turquie, en particulier du lobby militaire qui, après la chute du bloc soviétique, craignait de perdre les faveurs des Etats-Unis. Pour mieux mettre en exergue l'intérêt que représente l'armée turque pour Washington, les Turcs ont choisi de s'inscrire dans la stratégie anti-russe et anti-arabe des Etats-Unis et de s'allier avec Israël pour partager avec l'Etat hébreu le rôle de gendarme américain au Proche-Orient. Ce rôle complaît d'autant mieux à certains milieux turcs que certains, dans l'ex-Empire ottoman, nourrissent traditionnellement des sentiments mitigés à l'égard des voisins arabes avec lesquels perdurent de nombreux différends. En 1997, un ministre turc en voyage officiel en Israël a visité le Golan, donnant ainsi une sorte de bénédiction à l'occupation israélienne. Les gestes d'hostilités vis-à-vis de ce pays sont nombreux, outre l'occupation en 1939 d'Iskandaroun, le sandjak d'Alexandrette, dont la Syrie n'a jamais reconnu l'annexion par la Turquie, un contentieux important oppose la Turquie à la Syrie et à l'Irak sur le partage des eaux de l'Euphrate depuis le projet anatolien du Sud-Est (GAP) qui vise à réaménager le cours de l'Euphrate. L'achèvement de ce projet en 2003 devrait avoir des conséquences graves pour la Syrie et l'Irak qui perdraient la moitié de leur contingent. Tout cela en parfaite violation du droit international, en particulier de la Convention de l'Assemblée générale des Nations unies du 21 mai 1997, selon laquelle le pays en amont doit respecter les droits des usagers des pays situés en aval. Pour faire bonne mesure, la Turquie s'est engagée à fournir de l'eau à Israël. Enfin, si la Turquie n'est pas favorable à une partition de l'Irak qui risquerait de provoquer, avec l'aide des Etats-Unis, la création d'un Etat kurde, lequel serait un pôle d'attraction pour les kurdes de la Turquie, elle n'exclut pas de profiter d'une guerre américaine contre l'Irak pour tenter d'occuper la région de Mossoul. L'élection, en novembre 2002, d'un gouvernement à coloration islamique à Ankara n'a pas fondamentalement changé la donne du fait de la permanence du poids de l'armée dans la vie politique locale. Après Israël et la Turquie, les Etats-Unis rêvent de compléter leur dispositif en ramenant dans leur giron Téhéran où il existe au sein du système un fort courant pro-américain représenté par l'ancien président Rafsandjani, chef de l'influent Conseil de discernement des intérêts supérieurs du régime. Un proche de Rafsandjani, l'ancien ministre des affaires étrangères Ali Velayati, a rencontré des diplomates états-uniens de haut rang à plusieurs reprises durant l'été 2002 afin de garantir la neutralité de l'Iran en cas d'attaque américaine contre l'Irak et d'assurer, en contrepartie, la préservation des intérêts iraniens si un remodelage de la carte géopolitique de la région devait intervenir. En tout cas, la doctrine officielle du dual containment face à l'Irak et à l'Iran ne doit pas cacher que Washington n'a pris aucune mesure drastique contre l'Iran, y compris à l'égard des efforts d'armement de ce pays et la construction d'une centrale nucléaire à Bushehr. Dans leur conception de l'avenir géopolitique du Proche-Orient, les Etats-Unis intègrent l'idée que, en 2025, l'Iran aura doublé sa population pour compter plus de 130 millions d'habitants. Il sera une puissance démographique, le détenteur d'importantes ressources pétrolières et gazières, une puissance militaire de tout premier plan. Un nouvel Iran, débarrassé du régime islamique radical, pourrait ainsi renforcer le dispositif d'encerclement et de rabaissement du monde arabe qui est l'objectif des Etats-Unis. C'est la raison pour laquelle Washington a laissé le champ libre à la montée en puissance des mollahs chiites pro-iraniens au sein de la communauté chiite irakienne, après l'invasion de l'Irak.
Au risque de favoriser des divisions religieuses et de renforcer le pouvoir des mollahs intégristes dans ce pays.

Conclusion
Depuis la guerre contre l'Irak en 1991, et, plus encore, après l'invasion de ce pays en 2003, les Etats-Unis ont pu consolider leur dispositif militaire au Proche-Orient. Le Qatar est devenu l'une des plus grandes bases américaines du monde. Les Américains ont renforcé leur présence sur le plan commercial et dans le secteur des ventes d'armes tout en réduisant l'influence des pays européens qui, contraints de participer, directement ou indirectement, aux opérations militaires, se sont discrédités auprès du monde arabe. L'approche géopolitique des Etats-Unis dans cette partie du monde vise à créer un nouveau système d'alliance avec les Etats non arabes : Israël, Turquie, demain Iran ou, peut-être un Etat kurde qui, à la faveur de l'occupation de l'Irak, serait porté sur les fonds baptismaux par Washington afin de mieux balkaniser la région. Ce qui caractérise l'approche géopolitique des Etats-Unis au Proche-Orient est la volonté de maintenir le monde arabe plus bas que l'herbe, de l'empêcher de s'unir et de constituer une puissance qui serait naturellement proche des nations européennes, en particulier la France, pour des raisons tenant aussi bien à l'histoire, à la géopolitique et aux facteurs socioculturels. A cet égard, il est remarquable que les intérêts géopolitiques des Etats-Unis et de la France, ainsi que quelques autres nations européennes soient diamétralement opposés sur tous les points. C'est peu de dire que le jeu des Etats-Unis est globalement hostile à la nation arabe. En conséquence, la pax americana ne régnera pas dans un Proche-Orient où Washington n'a que deux buts clairement affichés : la mainmise sur le pétrole et l'alliance stratégique avec Israël. Aucun de ses buts ne correspond aux attentes du peuple arabe, et la politique des Etats-Unis conduit à l'emballement de la logique d'un choc des civilisations et à un mécontentement d'une ampleur telle qu'il pourrait bien constituer un nouveau facteur d'embrasement de cette partie du monde. Selon l'ancien président sud-africain et Prix Nobel de la paix, Nelson Mandela, ce sont «les Etats-Unis de George W. Bush et non l'Irak de Saddam Hussein qui menacent la paix mondiale». Cette menace est la conséquence de l'unilatéralisme de l'hyperpuissance états-unienne. C'est ce qu'a bien compris la France qui a pesé de tout son poids lors de la crise irakienne (septembre 2002-mars 2003) pour faire en sorte d'éviter une attaque contre l'Irak et redonner la main à l'Organisation des Nations unies. La suite des événements a donné raison à Paris. L'occupation de l'Irak a tourné à un quadruple fiasco. Politiquement, les Etats-Unis n'ont jamais autant été haïs dans le monde arabe d'autant plus qu'ils accordent leur soutien aveugle à un gouvernement israélien dont la politique extrémiste nourrit un climat de forte tension. Moralement, les tortures infligées aux prisonniers irakiens et les mensonges cyniques qui ont conduit à la guerre contre l'Irak les ont discrédités. Economiquement, le cours du pétrole s'est envolé. Enfin sur le plan de la sécurité, les GI's sont embourbés dans une guerre coloniale et sont confrontés à une farouche résistance tandis que l'Irak est devenu un nouvel eldorado pour des groupes terroristes dont les activités débordent les frontières. Dans ces conditions, le sommet du G8, qui s'est tenu du 6 au 10 juin 2004 à Sea Island, et au cours duquel les Etats-Unis comptaient imposer leur concept de «Grand Moyen Orient», a constitué un échec pour Washington. La France, dont l'opposition à l'invasion de l'Irak s'est révélée des plus judicieuses, a clairement mis en garde contre le danger de réformes imposées aux pays du Proche-Orient, lesquels n'ont pas besoin de «missionnaires de la démocratie, car il n'est pas de formule toute faite qu'on pourrait transposer d'un pays à l'autre». Selon le président Chirac, qui partage les mêmes préoccupations que les grandes capitales arabes (Riyad, Le Caire, Damas), il appartient à chaque nation d'étudier les réformes éventuelles qui lui conviennent si l'on ne veut pas, par des ingérences extérieures, favoriser la déstabilisation des sociétés arabes et musulmanes et faire le jeu des extrémistes. Finalement, la résolution finale du G8 s'est limitée à une vague déclaration d'intention en faveur d'un partenariat avec les pays proche-orientaux qui le souhaitent afin d'appuyer les réformes «qu'ils ont décidé d'engager, en fonction de leur culture, de leur histoire, de leurs situations économique, sociale et politique».Il est clair que les Etats-Unis ne savent comment éteindre l'incendie qu'ils ont allumé. Ils se heurtent au fait qu'il sont têtus et ne cessent de rappeler que la paix et la sécurité au Proche-Orient passent par la résolution du conflit israélo-palestinien et le rétablissement de la totale souveraineté de l'Irak dans le respect de son unité. En effet, c'est bien la situation en Palestine et le drame de l'Irak qui entretiennent les courants extrémistes. En niant cette évidence, une Amérique messianique et dominatrice s'est précipitée dans une impasse. Il est constant qu'il est utopique de vouloir créer une sorte d'organisme directeur du monde sous la coupe d'une super puissance. Au contraire, il faut tenir compte des données géopolitiques, si l'on veut résoudre les problèmes politiques et économiques afin de bâtir un monde plus équilibré et plus sûr. Cela pourrait être l'objet d'une diplomatie française ambitieuse qui aurait la faveur de nombreux pays. Face à la détermination des Etats-Unis d'imposer leur loi sans tenir compte du doit international et de la communauté des nations, il faudra sans doute que Paris continue à faire preuve de courage et de clairvoyance pour faire en sorte que la politique de Washington au Proche-Orient soit autre chose que celle du porte-avions et de la force tant il est vrai qu'une telle politique ne peut conduire qu'à l'embrasement et en aucun cas à la construction d'un monde stable, mieux équilibré et plus prospère.
C. S.-P.
* Charles Saint-Prot dirige l'Observatoire d'études géopolitiques à Paris.
Article extrait de l'ouvrage collectif Géopolitique des Etats-Unis (Ellipses revue française de géopolitique, 2003).


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