En politique comme ailleurs, la sémantique a un sens. Le sociologue français Pierre Bourdieu, qui connaissait bien l'Algérie, en avait donné une pertinente illustration avec son «ce que parler veut dire». Dans l'actualité algérienne, le communiqué du dernier Conseil des ministres, tenu la veille d'un Aïd El Adha bien morose, dit finalement plus de choses sur le bouteflikisme politique et économique que tout ce qu'on a pu entendre ou lire durant deux mandats présidentiels. Le texte éclaire d'autant mieux la pensée du président de la République que ce dernier use, à l'occasion, d'un «je» d'affirmation inédit. Et, surtout, qu'on y relève des reliefs qui font penser que le bouteflikisme, c'est en fin de compte du pragmatisme et de l'action ponctuelle certes répétée dans la durée. Avant tout, le bouteflikisme, ce n'est pas un «projet» dans ses déclinaisons notamment politique et économique. C'est plutôt un programme d'action dont la durée de vie est calquée sur le temps du mandat. C'est le fameux plan quinquennal. Avant ce texte du Conseil des ministres, on ne savait pas trop que l'ambition bouteflikienne, tout compte fait, était «d'accompagner la transition de notre pays vers une économie de marché diversifiée et productive». En la matière, la philosophie bouteflikienne est fondée sur le substrat d'un Etat régulateur, accompagnateur et redistributeur, en lieu et place d'un Etat démiurge, par définition providentiel. A ce propos, Abdelaziz Bouteflika attribue à l'Etat le rôle «nécessaire d'accompagner le développement de la croissance, de garantir la justice sociale». Un Etat retranché sur son périmètre stratégique, par définition, soucieux de «garder le contrôle sur les secteurs stratégiques de notre économie». Et, en dépit des inéluctables retombées de la crise financière mondiale, l'Etat algérien aura encore une mission dépassant le simple amorçage de la pompe financière. Ainsi, malgré la baisse de ses revenus, il poursuivra son «engagement dans le financement du développement». Pour être en situation de se constituer des marges d'aisance, il a déjà procédé au payement anticipé de la dette extérieure du pays, placé ses réserves de changes en privilégiant le critère de sécurité au détriment de la profitabilité et, enfin, en créant un «fonds de régulation des recettes de la fiscalité pétrolière» en 2001. C'est, semble-t-il, ce triptyque d'action qui permet aujourd'hui à l'Algérie d'envisager de maintenir en l'état son niveau d'investissement, surtout dans le domaine des infrastructures de base, secteur où elle a enregistré un retard colossal. Sur le plan économique, le bouteflikisme, sans être fondé sur une doctrine politique et économique précise, ou, à défaut, une démarche consensuelle, vise tout de même à «bâtir une économie diversifiée à même de garantir sur le moyen et le long terme, la pérennité du développement du pays et du bien-être des citoyens». Enfin, pragmatique à souhait, le bouteflikisme économique ne veut pas sacrifier au principe de réalité qui veut que le pays doit impérativement se «libérer de l'illusion de l'aisance financière, laquelle est aléatoire» à ses yeux. Enfin, le présent du bouteflikisme est pris en charge par le «projet de plan d'action» élaboré par le Premier ministre Ahmed Ouyahia. Ce document d'étape, qui préfigure tout de même le programme d'action politique et économique de la troisième mandature présidentielle, vise à renforcer l'Etat de droit, à améliorer la gouvernance de la justice et des collectivités locales, de l'administration économique et de l'aménagement des territoires. Sans oublier l'environnement, la communication, ventre mou du bouteflikisme, et, last but not least, la réalisation des équipements de base et la création expansive d'emplois. Et, bien sûr, sans omettre l'éducation, l'enseignement, la recherche scientifique, souvent réduite à la portion congrue, l'amélioration du pouvoir d'achat des Algériens, la culture, et la promotion des droits de la jeunesse, des moudjahidine, de la famille et de la communauté algérienne à l'étranger. Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle, qu'Abdelaziz Bouteflika n'aurait pas contredit. N. K.