Madame Liegeon Aouda s'adresse ici, pour la première fois de sa vie, à un journaliste. Qui mieux que la maman de Medjadi pour nous raconter l'histoire énigmatique de son nom, Liegeon ? Khalti Aouda que nous avons eu l'honneur de rencontrer chez elle à Lons-le-Saunier, nous a accueillis avec une générosité remarquable et une extrême gentillesse. Elle nous a ouvert son cœur et son intimité comme personne ne l'aurait fait car, pour elle, le fait de sentir l'odeur du bled suffit à la mettre en confiance. Elle s'adresse ici, pour la première fois de sa vie, à un journaliste. Racontez-nous la vraie version de la vie de votre fils Abdallah ? J'ai été mariée une première fois à un Algérien qui s'appelle Medjadi Âssed M'hamed, avec lequel j'ai eu mes deux garçons Tahar et Abdallah. C'est lui le vrai père d'Abdallah. Après notre divorce, la vie devenait de plus en plus dure tous les jours. Les pieds-noirs ne nous laissaient que des miettes pour subsister. Mon père était déjà décédé et ma mère n'arrivait pas à subvenir à nos besoins. On a vécu des moments extrêmement durs, sur lesquels je ne veux pas revenir sinon je vais me mettre à pleurer. Dieu seul sait ce que nous avons vécu. Le père d'Abdallah n'a pas accepté de garder ses enfants comme presque tous les hommes de l'époque. Je suis donc retournée chez ma mère avec mes enfants. C'est là que j'ai connu les pires moments de ma vie, avec rien pour nourrir mes enfants. Mais d'où vient ce nom de Liegeon ? Après mon divorce, j'ai eu une demande en mariage inespérée de la part d'un Français assez aisé, répondant au nom de Liegeon Maurice et qui a même accepté de se convertir à l'Islam pour m'épouser. Je ne pouvais tout de même pas me marier à un chrétien ! C'est le responsable de la cellule des Moudjahidine à Tiaret, un certain cheikh Tahar, qui nous a mariés. Votre deuxième mari a accepté facilement vos enfants ? Oui, assez facilement parce qu'il tenait vraiment à m'épouser et il était assez aisé financièrement. Il les a donc pris sous sa coupe. Il avait une boucherie à Oran et notre vie avait radicalement changé. Quelques années plus tard, il m'a dit qu'il voulait rentrer en France. Je l'ai donc suivi avec les enfants. Et le père de vos enfants, ne s'est-il pas opposé à cela ? Je suis allée lui demander s'il voulait les récupérer ou me les laisser. Il a bien sûr refusé de les garder. Il m'a même signé une décharge pour que Maurice Liegeon en soit le tuteur désormais. Et c'est comme ça que mes enfants ont hérité du patronyme de mon second mari, Liegeon. Par la suite, une fois en France, c'est moi qui ai voulu que mes enfants gardent le nom de Liegeon pour les préserver du racisme. Un nom à consonance européenne, ça passait mieux ? Exactement. J'avais fait cela pour les protéger de la société dans laquelle ils vivaient. Une fois en France, mon mari Liegeon avait complètement changé. Il a versé dans l'alcoolisme et ne faisait plus ses prières. Il m'a montré un visage à l'opposé de ce que j'avais connu en Algérie. Il a renié l'Islam et je l'ai tout de suite rejeté. J'ai donc vécu seule avec mes quatre enfants, car j'ai eu, entre temps, deux filles avec lui. J'ai alors galéré une fois de plus, et à l'étranger cette fois. Je ne vous raconte pas la misère dans laquelle nous avons vécu. Mais, malgré tout, j'ai réussi à élever mes enfants qui ont tous réussi leur vie aujourd'hui par la Grâce d'Allah. C'est en revenant à chaque fois vers mes origines musulmanes et algériennes que j'ai réussi à garder la tête haute. Et qu'avez-vous pensé le jour où Abdallah vous a dit qu'il allait jouer pour l'Algérie ? Une immense fierté m'avait envahie. Vous ne pouvez pas imaginer mon bonheur. J'avais pris une belle revanche sur le sort ce jour-là. Les gens ont porté depuis un regard différent sur moi. On m'a respectée un peu plus car ils ont compris chez moi à Tiaret que je n'avais pas perdu mon temps à l'exil. Mon fils m'a réhabilitée aux yeux des miens. Bien évidemment, je l'avais encouragé à y aller tête baissée. Il aurait pu jouer pour la France aussi, vous le saviez ? Bien sûr, mais pour moi, il n'en était pas question car Abdallah est avant tout un Algérien comme vous et moi. Ce n'est pas parce que le destin a voulu qu'il grandisse en France qu'il allait renier ses origines. Dans la famille, même si le nom de Liegeon nous a toujours accompagnés, nous sommes et nous resterons Algériens jusqu'à la mort. Certains ont cru en 1982, que votre famille n'avait que très peu d'attaches avec l'Algérie. Vous n'avez qu'à voir autour de vous dans la maison. Je ne savais pas que vous alliez venir. Abdallah ne m'a appelée que cinq minutes avant votre arrivée. Vous ne pensez tout de même pas que j'aurais pu changer le décor en si peu de temps. Vous voyez, la télévision est branchée sur Canal Algérie, écoutez le Adhan (la prière de l'Îcha, ndlr), regardez sur les murs tous ces tableaux de Coran et de Hadiths. Vous pensez que vous avez affaire à des non musulmans ? J'ai toujours gardé cette flamme de l'Algérie en moi. C'est vrai que mes enfants parlent très peu l'arabe, mais il faut voir dans quelles conditions je les ai élevés ! C'est le lot de toutes les mères qui ont divorcé à l'étranger. Entretien réalisé à Lons-le-Saunier par Nacym Djender