«C'est grâce à Madjer, Milla, Weah et moi que le monde s'est intéressé au football africain» Dans cette deuxième partie de l'entretien que Abedi Pelé nous a accordé, il parle du football international de manière générale, évoquant notamment les rivalités entre Pelé et Maradona et entre Messi et Cristiano Ronaldo, tout en n'omettant pas de parler de son enfance difficile et de l'influence de l'islam dans son éducation et sa perception de la vie. Vous connaissez Karim Ziani, qui a évolué à l'Olympique de Marseille avec votre fils ? Oui, je le connais bien. Il a fait de belles choses durant la Coupe d'Afrique. Cependant, il n'y a pas de joueur top actuellement au sein de la sélection algérienne. Le gardien de but peut devenir top s'il est fort mentalement et s'il continue de travailler. L'équipe de France a présenté un spectacle désolant, sur le terrain et en dehors du terrain, à tel point que Thierry Henry a même été convoqué par le président Nicolas Sarkozy. Qu'en pensez-vous ? C'est triste. Je pense qu'il fallait changer de sélectionneur dès le départ. Depuis quatre ans, la Fédération française de football sait que Domenech est l'entraîneur le plus détesté en France. Qu'est-ce qu'on attend pour le changer ? Si c'était une question d'argent, il aurait fallu le payer et qu'il parte ! Vous auriez fait ça ? Oui, je l'aurais fait. Tout le monde le fait. On vire l'entraîneur, on le paye et il part. Domenech n'a même pas voulu serrer la main du sélectionneur de l'Afrique du Sud, Carlos Alberto Parreira… Ça, c'est plus grave encore. Il faut être sportif. On a vu que même sur le terrain, ça n'allait pas. Il n'y avait pas de coordination entre les joueurs et lui. Il ne donnait même pas de consignes. Cela voulait dire que le courant ne passait pas avec ses joueurs. Il a manqué d'autorité et il n'y avait donc pas un esprit d'équipe. Ne pensez-vous pas que Domenech a humilié Thierry Henry en ne l'incorporant même pas contre le Mexique durant le dernier quart d'heure, alors que la France était menée 2 à 0 ? Ce sont les choix de l'entraîneur. Parfois, ils peuvent être bizarres, mais il faut les accepter. Ses choix à lui étaient-ils bizarres ? Ce que j'ai trouvé bizarre est qu'il ait refusé de serrer la main à Parreira. C'est ce qui est le plus désolant. Cela dit, il va rester dans le football et, quand on fait un geste comme ça, ça ne pardonne pas, surtout qu'en Coupe du monde, tout le monde est là et tout le monde regarde. Ne pensez-vous pas qu'actuellement il y a des joueurs qui deviennent stars et gagnent beaucoup d'argent trop tôt ? Je ne crois pas que ce soit cela le problème. Quelqu'un comme Messi est jeune et gagne beaucoup d'argent, mais il est toujours calme et ne fait pas de bruit. C'est une question de caractère. Ça se passe dans la tête. Prenez Cristiano Ronaldo : il aime la vie, mais sur le terrain, il se donne à fond et fait ce qu'il faut faire. Alors, même s'il gagne des millions, personne ne peut le toucher. Les joueurs actuels ont la chance de gagner beaucoup d'argent et ils en profitent parce qu'un jour ou l'autre, ça descendra pour eux. Avez-vous l'impression que des joueurs africains de votre génération se sont sacrifiés, à un moment où le football africain n'était pas très reconnu, pour ouvrir le chemin à des stars actuelles tels Drogba et Eto'o ? C'est effectivement nous qui avons montré au monde qu'il y a du talent en Afrique. Je parle de Madjer, Milla, Weah… Grâce à nous, des gens sont venus trouver en Afrique autre chose. Je demande aux joueurs actuels de garder les pieds sur terre, d'investir et de se montrer généreux. Dans la vie, il faut partager. Je ne dis pas qu'ils doivent partager tout leur argent, mais il faut qu'ils soient intelligents et qu'ils fassent des gestes. Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas la chance de vivre comme nous vivons et il faut penser à eux. En tout cas, nous pouvons témoigner que vous nous avez bien reçus chez vous il y a deux ans à Accra lorsque nous vous avons rendu visite à l'occasion de la CAN-2008… (rire) Vous avez bien vu que ce jour-là, j'avais reçu plusieurs journalistes chez moi, sans aucun protocole. Avez-vous hérité ces valeurs de partage et de générosité de votre éducation musulmane ? C'est effectivement une coutume issue de notre enfance. Chez nous au nord du Ghana, nous sommes musulmans et nous aimons tout partager. Tu entres dans la maison de quelqu'un, on prépare à manger et tu manges avec tout le monde. Lorsque nous avons quitté notre village pour aller vivre dans la capitale, nous sommes devenus un peu comme les autres, mais nous n'oublions jamais d'où nous venons. C'est très important. C'est ce qui fait que nous gardons toujours les pieds sur terre. Je ne veux pas qu'on me dise : «Abedi, tu joues à la star, tu as changé…» Quand vous faites vos prières, vous remerciez Allah pour ce qu'il vous a donné ? Oui ! Chaque matin, avant que je ne sorte de ma chambre, avant même que je ne descende de mon lit, je dis merci à Allah pour la vie que je vis. Si vous connaissiez bien ma famille, vous verrez que, vraiment, ma vie est bien soignée. Lorsque j'étais enfant, il y avait des fois où nous n'avions pas à manger parce que nous étions pauvres. Comment ne dirais-je pas merci à Dieu aujourd'hui alors que nous vivons comme des rois ? Combien faites-vous vivre de gens au Ghana ? Avez-vous des affaires là-bas ? Je possède déjà un club. Il s'appelle le FC Nania et il évolue en deuxième division ghanéenne où, suivant le système anglais, l'accession en première division se fera à l'issue d'un play-off. Il est constitué d'enfants issus de toutes les régions du Ghana. Lorsque ces enfants-là arrivent au club, ils ont entre 13 et 14 ans et certains d'entre eux n'ont même pas de souliers alors que d'autres, lorsqu'ils ont un short, n'ont pas de tee-shirts. Lorsqu'on on voit qu'il ont un peu de talent, on travaille pour faire ressortir ce talent. On prend part chaque année à un tournoi des U20 en Allemagne et en Suisse. Quand on prend un enfant qui vient du fin fond de la brousse, qu'on emmène en Europe, qu'on fait participer à des matches contre les U20 du Real Madrid, de Boca Junior et de Manchester United et qu'on ramène au pays un mois après, c'est un enfant différent ! Il est complètement transformé parce qu'il a vu, a vécu et a échangé. Là, je dis merci à Dieu parce que j'ai changé la vie de ces enfants. Il y a un joueur, Charles Boateng, qui joue à Dijon, un autre, Ahmed Barusso, qui est au Torino. Il y a aussi Jordan qui a commencé chez nous. Quand je m'assois et que je regarde ces enfants évoluer, ça me procure une grande satisfaction humaine parce que je donne une éducation à ces enfants en les envoyant à l'école et je leur permets de jouer en France, en Italie ou en Angleterre. Et un jour peut-être dans la sélection du Ghana… Dans la sélection du Ghana actuelle, il y a trois joueurs issus de mon club, dont un qui joue titulaire. Donnez-vous des conseils à votre fils André Ayew ? Oui, je l'ai tous les jours au téléphone. Parfois, je l'ai six fois par jour. Il n'a pas encore marqué dans cette Coupe du monde (entretien réalisé jeudi passé, ndlr). Cela vous inquiète-il ? Non. A 20 ans, il est déjà le leader de l'équipe. C'est une responsabilité énorme pour son âge. Le conseil que je lui donne toujours est de rester calme et concentré. Dans le football, ça va vite : si tu fais un bon match aujourd'hui et un mauvais match demain, les gens oublient le bon pour ne retenir que le mauvais. Hier, je suis allé le voir après le match contre l'Allemagne à son hôtel et je suis resté avec lui jusqu'à 02h00 du matin. Je lui donne des consignes tous les jours. Abedi Pelé sélectionneur du Ghana, est-ce possible un jour ? Non, je ne crois pas. Je jouis d'un respect tellement grand en tant qu'ancien joueur que je ne veux pas risquer de ternir ma réputation en devenant entraîneur. Est-ce donc dangereux comme métier ? Oui, c'est dangereux. Y a-t-il donc risque que Maradona perde, en tant qu'entraîneur, toute la notoriété qu'il acquise en tant que joueur ? Oui, il y a un risque. Cela dit, Maradona, que j'admire beaucoup, est quelqu'un qui adore qu'on parle de lui. Même si on le critique, il s'en f…, mais il aime ça. Moi, je fais partie des gens posés qui n'aiment pas beaucoup faire parler d'eux. Pensez-vous qu'en tant que joueur, Maradona soit meilleur que Pelé ? En termes d'image dans le monde entier, je pense que Pelé reste au-dessus. Il a su préserver son image. Juste avant la Coupe du monde, nous avons eu une réunion en Suisse. Puis, je suis parti dîner avec Pelé. Avec son manager, nous avons parlé pendant plus de deux heures. Vraiment, c'est quelqu'un d'adorable. Que pense-t-il de vous, surtout que vous avez été surnommé Pelé ? Il m'appelle toujours «fils». La première fois que je l'ai vu, c'était en 1993 aux Etats-Unis, à l'occasion du tirage au sort du Mondial-94. Il m'avait pris dans ses bras comme un enfant. Cela m'avait beaucoup touché. Il est vraiment adorable. C'est quelqu'un de simple, de disponible, qu'on peut toujours questionner sans crainte. Pourquoi Maradona ne l'aime-t-il pas ? Même Pelé n'aime pas Maradona (rire) ! On les voit tous les deux se taquiner constamment. Seuls eux deux savent pourquoi ils le font. Préférez-vous Messi ou Cristiano Ronaldo ? Cristiano Ronaldo est un joueur collectif. Il est très, très fort. Il marque des pieds, de la tête sur des coups francs… Messi, lui, est un génie. Il joue comme je jouais moi et comme jouait Maradona, à l'inspiration. A lui seul, il peut faire gagner l'équipe. Pour résumer, Cristiano Ronaldo est plus complet, mais Messi est plus créatif… C'est ça. Messi est créatif, au jeu joli à voir. Moi, je le préfère de loin. Parce qu'il vous ressemble ? (Rire) Non. Plutôt parce qu'il peut, à lui seul, faire gagner une équipe. C'est comme Maradona quand il était joueur : il a fait d'une petite équipe de rien, Naples, un champion, et quand il en est parti, Naples est redevenu rien. Qui voyez-vous animer la finale ? Je vois toujours le Brésil. C'est une équipe qui ne se procure pas beaucoup d'occasions, mais si elle en a deux, il y a deux buts. C'est l'efficacité qui prime. De plus, elle a un entraîneur qui a joué en Europe très longtemps et qui sait ce qu'est la rigueur. L'Argentine, il faudra attendre pour voir. L'Espagne, ça joue bien, mais ce n'est pas encore très convaincant. Vous verra-t-on un jour occuper une fonction importante au sein de la FIFA ? J'aimerais d'abord m'imposer au sein des instances dirigeantes du continent. Comme président de la Fédération ghanéenne de football ? Je ne peux pas dire non, mais je préfère laisser le temps au temps. Cela dit, au niveau africain, il y aura quelque chose pour bientôt. Dans deux mois peut-être, vous aurez des nouvelles de moi.