«L'Italie avait gagné la Coupe du monde 1982 avec des joueurs expérimentés comme Zoff, Cabrini, Conti, Antonioni, Scirea et les autres.» Ancien milieu de terrain offensif et véritable légende de l'Inter et de l'équipe d'Italie, Sandro Mazzola a passé toute sa carrière avec l'Inter Milan. Il a remporté quatre titres de champion d'Italie, deux Ligues des champions, le championnat d'Europe de football en 1968 et 2 Coupes intercontinentales. Il est aujourd'hui consultant TV dans ce Mondial. C'est dans le restaurant du centre de presse que nous l'avons rencontré. Le temps de terminer ses pâtes torsadées en bon Italien qu'il est, Sandro Mazzola nous a adressé un sourire de grand-père serein, pour nous inviter à sa table. Le débat a été franc et profond. Jugez-en. Comment évaluez-vous le niveau de cette Coupe du monde jusque-là ? Sincèrement, j'ai été déçu au début de cette compétition, car on n'a pas vu du grand football. On peut dire que tactiquement, les équipes sont quasiment toutes en place, physiquement aussi, les joueurs répondent bien, il n'y a pas le moindre doute. Quant à la technique, mis à part le Brésil et l'Argentine, il n'y a pas grand-chose à tirer. C'est cela qui me déçoit, à vrai dire. Et l'Italie ? Noooon, il n'y avait rien à voir dans cette équipe d'Italie. Je dirai plutôt l'Allemagne ! Oui, les Allemands jouent de manière très admirable. C'est la première fois depuis la période allant de 1974 à 1982 qu'ils sont aussi bons techniquement. Au temps de Littbarski, par exemple ? Oui, lui était un vrai technicien ! On n'a plus vu les Allemands jouer aussi bien depuis cette période. Ils sont vraiment séduisants dans cette Coupe du monde. Qu'est-ce qui explique ce changement dans la manière de jouer des Allemands ? Qu'est-ce qui les a rendus aussi techniques ? Je pense que c'est le résultat de l'intégration des jeunes issus de l'immigration qui a fait progresser les footballeurs allemands techniquement. Il ne faut pas me comprendre mal, parce que je vous parle en français et je ne maîtrise pas parfaitement cette langue. Non, non, vous vous débrouillez très bien en français, poursuivez… Je voulais dire que ces joueurs issus de l'immigration sont d'abord Allemands à part entière ! C'est pour me faire bien comprendre, vous voyez ce que je veux dire ? Ils sont donc nés en Allemagne, mais de parents africains. Il y a aussi des Turcs d'origine dans cette équipe d'Allemagne… Oui, mais je parle surtout de la technique des Africains. C'est cela qui a changé la manière de jouer des Allemands. Les joueurs ont côtoyé les Africains dans les jeunes catégories et ils ont certainement pris ce qu'il y a de meilleur chez eux. Avec le temps, ils ont été «contaminés» par cette envie de dribbler et toutes les fantaisies des joueurs africains. Il ne faut pas nier que ces derniers sont plus doués techniquement que les Européens. Vous n'avez qu'à voir qui fait le spectacle dans les grands clubs européens. Vous dites que l'Italie n'a pas été technique. Mais c'est peut-être parce que Lippi a empêché des joueurs techniques d'origine africaine comme Balotelli d'intégrer la Squadra Azzura. Non, Balotelli est encore jeune pour jouer la Coupe du monde. Je dirai que Lippi aurait dû prendre un joueur comme Cassano qui est non seulement expérimenté mais aussi très technique. Il y a aussi Totti qui est technique, mais il n'est pas au point physiquement pour apporter ce qu'on attend de lui dans une Coupe du monde. Nous vous parlons de joueurs africains monsieur Mazolla. Pourquoi n'y a-t-il pas de joueurs noirs dans l'équipe d'Italie ? Sincèrement, je ne sais pas pourquoi. Et pourtant, dans les jeunes catégories, il y a beaucoup de jeunes Noirs qui évoluent dans plusieurs clubs, mais en grandissant, ils n'arrivent pas à atteindre le haut niveau. C'est inexplicable pour moi. N'est-ce pas une histoire de racisme ? Noooon, l'Italie n'est pas raciste ! Loin de là, même ! Mais je ne peux toujours pas vous dire pourquoi il n'y a pas de joueurs de couleur dans l'équipe d'Italie. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans cette équipe d'Italie, championne du monde en titre et qui quitte ce Mondial au premier tour ? Je pense d'abord que la préparation de l'équipe a été mauvaise. J'ai aussi remarqué des manques au niveau technique et même athlétique. Je ne peux pas admettre que la Nouvelle-Zélande soit plus athlétique que l'équipe d'Italie. Les joueurs italiens n'ont rien donné dans ce match. Ils ont été largement dominés physiquement par les Néo-Zélandais. Il n'y a pas que cela ? Lippi ne serait-il pas responsable de cette élimination ? Vous savez, si vous n'avez pas les joueurs qu'il faut dans l'équipe, vous pouvez être l'Einstein du football, vous n'irez jamais loin en Coupe du monde. On a beau parler des différents schémas tactiques imaginés par les plus grands experts en matière de football, si les onze joueurs qui se trouvent sur le terrain ne répondent pas présents, ça ne nous servira strictement à rien de leur expliquer comment ils doivent jouer pour gagner. C'est à eux de faire le nécessaire pour gagner. Ce n'est donc pas un problème de tactique, mais celui de la qualité des joueurs. Est-ce une simple panne ou carrément une maladie qui frappe le football italien cette année ? Vous savez, en Italie, tous les dimanches, 47% des joueurs qui évoluent dans le Calcio sont des étrangers. A l'Inter par exemple, il n'y a pratiquement plus d'Italien dans l'équipe. Et pourtant, il n'y a aucun Italien qui évolue à l'étranger dans cette sélection pour équilibrer cela, non ? C'est vrai ça aussi. Vous savez, je crois que les Italiens sont fous de ce point de vue. Ils achètent de l'étranger des joueurs médiocres au prix fort, alors qu'il y a de très bons joueurs en Italie qui sont freinés par ces pratiques. Vous pensez que c'est pour gagner plus d'argent seulement sans se soucier de la qualité du jeu ? Il y a certainement beaucoup de cela dans cette histoire. Le marketing, le business, l'argent et les diverses transactions de ce genre font beaucoup de mal au football italien. Le résultat ne s'est pas fait attendre dans cette Coupe du monde. Il va falloir repenser tout cela si l'Italie veut reprendre sa véritable place dans le football mondial. Comment avez-vous trouvé vos voisins français qui ont quitté comme vous le Mondial par la petite porte ? Le football français renferme beaucoup de jeunes talents. Il y a même d'excellents joueurs qui n'ont pas été retenus pour ce Mondial. Je citerai par exemple Benzema, Nasri ou Ben Arfa. C'est l'entraîneur qui n'a pas voulu les prendre. Je pense qu'il y a des moments où l'entraîneur doit changer son équipe et ne plus garder les vieux incessamment. Il faut avoir le courage de dire aux anciens : «Merci pour ce que vous avez fait durant toutes ces années et maintenant, je vous dis au revoir.» Il faut toujours procéder de la sorte et ne pas faire dans les sentiments. Il faut savoir renouveler son équipe… C'est sûr ! C'est ce qu'il faut faire, même après avoir gagné la Coupe du monde comme l'Italie. Il faut utiliser des joueurs qui en ont envie. C'est le cas de la France aussi. Il faut prendre de jeunes joueurs et leur dire de se préparer pendant quatre ans pour la prochaine Coupe du monde. Mais des fois aussi, il y a des joueurs d'exception qu'on doit savoir garder pour monter l'équipe autour d'eux. L'Italie avait gagné la Coupe du monde 1982 avec des joueurs expérimentés comme Zoff, Cabrini, Conti, Antonioni, Scirea et les autres. Mais ce n'est pas tout le temps que vous avez des joueurs aussi talentueux en sélection. A vrai dire, le problème en Italie se situe dans les jeunes catégories… Comment ça ? Lorsque vous assistez à un entraînement ou à un match des jeunes catégories, vous entendez souvent l'entraîneur crier à la face de ses joueurs : «Noooon, pas de dribble !» qu'on leur dit tout le temps. Les entraîneurs formateurs en Italie veulent tout le temps avantager la tactique au dribble. Et cela se passe, tenez-vous bien, dès l'âge de 12 ans ! Vous vous rendez compte ! Ce n'est pas possible d'évoluer avec de tels formateurs. Non, franchement, je ne vois pas comment un enfant de cet âge va se distinguer par rapport aux autres si on se met à les formater en ne leur apprenant que la tactique. Aura-t-on des joueurs comme Totti par la suite ? Je ne le pense pas. Quels sont les joueurs qui vous paraissent techniques en Italie ? Il n'y a pas beaucoup à vrai dire. Je citerai Totti, Del Piero, Cassano et un peu Di Natalle. C'est tout. Même pas cinq dans tout le Calcio. Vous trouvez ça normal ? Pas moi, en tout cas. Il n'y a plus de dribbleur dans le Calcio, il n'y a plus de magie dans le jeu des joueurs. C'est cela que je regrette le plus aujourd'hui. On a tendance à trop miser sur l'aspect physique et pour moi, ce n'est pas cela le vrai football. Vous avez des enfants qui jouent au football ? Non, j'ai deux filles et deux garçons, mais personne ne joue au football. J'ai aussi sept petits-enfants et aucun d'eux ne joue au football. Qu'avez-vous pensé de l'équipe d'Algérie dans ce Mondial ? Pour moi, l'équipe d'Algérie est bonne. Pourquoi ? Parce que c'est une équipe qui a réussi un bon mixage entre le football d'Europe et celui de l'Afrique. Ils ont gardé la technique des Africains et la rigueur des Européens. Ils sont forts techniquement et très athlétiques. C'est cela que j'ai apprécié chez les joueurs algériens. Ils étaient aussi bien en place tactiquement. Quels sont les joueurs qui vous ont laissé une bonne impression ? Je ne me rappelle pas très bien des joueurs, mais je peux par contre vous dire que le gardien de but a été très bon. Je parle de celui qui a joué les deux derniers matchs (Raïs M'bolhi, ndlr). Pensez-vous qu'il pourrait avoir sa place en Serie A italienne ? Pourquoi pas ? Bien sûr qu'il peut jouer en Italie. Tranquillement même ! Il est très bon, très bon, très bon (il l'a répété trois fois, ndlr). Il peut vraiment jouer en Italie ou dans un grand club d'Europe. En Italie, il y a 65% de gardiens de but qui sont des étrangers. Et dire qu'il y a 30 ans de cela, l'Italie était considérée comme étant le pays des gardiens de but. C'est terrible, non ? A l'Inter par exemple ? Nooon, il y a Julio Cesar ! Ce n'est pas possible pour lui à l'Inter. Mais il peut avoir sa place facilement à l'AS Roma ou la Fiorentina. Il y a d'autres grands clubs qui seront ravis de le prendre. Il aura tranquillement sa place chez l'un des grands d'Italie. Je n'en ai aucun doute. Vous qui avez joué longtemps à l'Inter, qu'est-ce qui fait que José Mourinho ait réussi plus vite que tous les autres entraîneurs ? Pour moi, Mourinho est un très grand entraîneur. C'est le meilleur entraîneur de football actuellement. Sa force réside dans sa capacité à pouvoir travailler avec le mental de ses joueurs. Je regrette vraiment qu'il soit parti de l'Inter, mais d'un autre côté, je comprends son départ. Il a tout gagné avec l'Inter. Il devait donc changer d'air pour tenter d'autres challenges. C'est aussi bien pour lui que pour l'Inter. C'est le seul qui a réussi à faire reculer ses attaquants pour défendre. Ce n'était pourtant pas évident avec des joueurs comme Samuel Eto'o ! C'est incroyable et Mourinho a réussi à le faire. Il peut entrer dans la tête de ses joueurs et c'est en cela qu'il est si différent des autres. Et puis, il entraîne ses joueurs avec le ballon. Il ne les considère pas comme des machines. Ce n'est pas le cas des autres entraîneurs en Italie. Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter pour l'avenir à part une bonne santé ? J'aimerais bien devenir manager dans un grand club. Peut-être pas à l'Inter, mais quelque part…
