«Croyez-moi, M. Raouraoua saura ramener l'Algérie sur le devant de la scène.» Qui a connu le Ghana des années 90 se souvient certainement d'Anthony Baffoe, ce défenseur rugueux qui, aux côtés de Abedi Pelé, Anthony Yeboah et Nii Lamptey, a constitué l'une des générations les plus talentueuses du football ghanéen. Aujourd'hui responsable à la Fédération ghanéenne de football et ambassadeur de la FIFA en Afrique, il suit le football africain avec grand intérêt, à plus forte raison quand on voit le très beau parcours accompli par le Ghana. C'est hier matin, au lendemain de l'élimination des Ghanéens aux tirs au but par l'Uruguay en quarts de finale du Mondial, que nous l'avons rencontré. Bien sûr, ses sujets de prédilection sont le Ghana et l'Afrique. Alors, satisfait de la qualité de l'organisation de cette Coupe du monde ? En tant qu'Africain, je suis fier de ce qu'a accompli le Ghana et je suis tout aussi fier de la qualité d'organisation de ce Mondial par l'Afrique du Sud. L'Afrique a fait taire toutes les critiques. Tout le monde a vu la qualité de l'organisation de la Coupe du monde 2006 et on avait craint que celle de l'Afrique du Sud ne soit pas à la hauteur, mais les Sud-Africains ont gagné leur pari. D'ailleurs, le slogan de ce Mondial est «L'Afrique se lève». Que pensez-vous de l'élimination du Ghana en quarts de finale contre l'Uruguay après une séance dramatique de tirs au but ? Tout le monde a bien vu que nous avions le match entre nos mains. C'est dommage d'avoir raté une telle opportunité de devenir la première nation africaine à atteindre les demi-finales d'une Coupe du monde. Malgré cela, le Ghana rejoint le Sénégal et le Cameroun dans le club des nations africaines ayant atteint le stade des quarts de finale. Le match d'hier (entretien réalisé hier matin, ndlr) a été comme un film, avec un scénario à plusieurs rebondissements. Je suis triste de l'épilogue car les Ghanéens avaient travaillé très dur sur le terrain pour obtenir la qualification. Que voulez-vous ? Le football peut être parfois cruel. Donc, pas très déçu ? Non, pas trop parce que les joueurs ont donné tout ce qu'ils pouvaient. Ils seront reçus tels des héros à leur retour au Ghana. Ce qui a plu aussi, c'est que les gradins étaient presque entièrement aux couleurs du Ghana avec des drapeaux ghanéens partout. Les Sud-Africains nous en soutenus à fond, comme si nous représentions leur pays, notamment en scandant «Ba-Ghana Ba-Ghana !», allusion à «Bafana Bafana !» C'était une grande marque de solidarité et de soutien qui honore tous les Africains. Est-il dur psychologiquement, pour un footballeur, de rater un penalty et d'entamer quelques instants plus tard la série des tirs au but, comme l'a fait Asamoah Gyan ? Non, ce n'est pas facile et c'est tout à l'honneur de Gyan de l'avoir fait. Je sais ce qu'on ressent lorsqu'on rate un penalty important. Je suis très bien placé pour le savoir puisque, moi-même, j'avais raté un tir au but lors de la finale de la Coupe d'Afrique des nations en 1992 face à la Côte d'Ivoire. C'est trop facile de critiquer après-coup, mais il faut savoir qu'on ressent une très grande pression à ce moment. C'est une lourde responsabilité. Gyan l'a assumé en se présentant pour tirer le penalty et le sort a voulu qu'il échoue. Il y a toujours une part de chance dans le football. Vous défendez, dans le cadre du projet 1Goal de la FIFA, le principe que tous les enfants africains aillent à l'école gratuitement. Or, nous constatons qu'il y a de plus en plus de footballeurs africains adolescents qui sont emmené en Europe, dans des clubs, sans qu'ils connaissent leurs droits. Pensez-vous que l'éducation est tout aussi importante pour les sportifs ? Oui, tout à fait. Le rôle de préserver les jeunes footballeurs de l'exploitation revient aux associations des footballeurs dans tous les pays. Il faut qu'il y ait une coopération entre les footballeurs du monde entier afin qu'ils se fassent respecter et qu'ils fassent respecter leurs droits. Cela dit, le rôle de l'éducation est primordial afin de donner au jeune footballeur les outils en matière d'alphabétisation et de connaissances à même de lui permettre de ne pas se faire exploiter. Un jeune doit, par exemple, être capable de lire et de comprendre un contrat afin de ne pas signer n'importe quoi. Il doit aussi avoir le réflexe, en cas de doute, de consulter l'Association des footballeurs ou un avocat. Je connais un joueur au Ghana qui avait fait confiance à un pseudo-agent en lui remettant de l'argent afin qu'il lui trouve un club en Europe. Après six mois, il n'a rien vu venir. Il s'est présenté à mon bureau et m'a expliqué sa situation en me donnant le nom du soi-disant agent. En quelques jours, j'ai fait en sorte que son argent lui soit restitué. Ce jeune a eu la présence d'esprit de venir nous consulter, mais il y en a qui sont arnaqués et qui ne le font pas parce qu'ils ne connaissent pas leurs droits. C'est en cela qu'apparaît l'avantage de savoir lire et écrire. Quelle appréciation portez-vous sur la participation des sélections africaines à ce Mondial ? Le problème en Afrique est que nous ayons de grandes individualités niveau mondial, mais pas de sélections performantes. Nous avons les Drogba, Eto'o, Adebayor, Muntari, Essien, Seydou Keita, Kolo Touré, Yaya Touré, et la liste est encore longue, mais ils n'y a pas de sélections qui puissent se montrer conquérantes. C'est le cas de la participation africaine à ce Mondial. Il faut dire, cependant, que des sélections ont des circonstances atténuantes, comme la Côte d'Ivoire qui était dans un groupe très difficile avec le Brésil et le Portugal. Toutefois, je pense que le football africain avance. La FIFA fait beaucoup pour l'Afrique ces dernières années, notamment en ouvrant des centres de formation. Le Ghana montre l'exemple en remportant des championnats du monde de jeunes et en démontrant qu'ils peuvent bousculer les meilleurs. En fait, le problème chez les footballeurs africains est plutôt d'ordre mental et psychologique. Ils ne prennent pas souvent conscience de l'importance de certaines choses, ni dans leur capacité à jouer dans la cour des grands. Pourtant, c'est possible. Comme l'a fait le Ghana ? Exactement. Je me rappelle qu'avant la confrontation entre le Ghana et l'Allemagne, des analystes avaient prédit une lourde défaite pour les Ghanéens au motif qu'ils pratiquent un jeu individuel et individualiste, sans organisation de jeu cohérente sur le terrain. Eh bien, le match a montré une réalité diamétralement opposée, à savoir que les Ghanéens sont disciplinés sur le terrain et pratiquent un jeu tout ce qu'il y a de plus cohérent. C'était un match équilibré où les Ghanéens s'étaient procuré de nombreuses occasions de marquer. Tout cela pour montrer que, primo, les Africains ne sont pas aussi indisciplinés qu'on le laisse entendre, et, secundo, que le Ghana a réussi ce qu'il a réalisé parce que les joueurs ont eu foi en leur potentiel. Un mot sur la participation algérienne dans ce Mondial ? A l'exemple de la majorité des sélections africaines, c'est-à-dire décevante. Décevante dans la mesure où on attendait mieux de l'Algérie. Cela dit, je pense qu'elle ne doit pas rougir de ses prestations, surtout celles de ces deux derniers matches où elle avait fait jeu égal avec l'Angleterre et les Etats-Unis. Disons que, là aussi, les Algériens n'y ont peut-être pas cru assez ou n'ont pas assez osé. Cependant, je suis très optimiste pour le retour d'un football algérien de grande qualité, comme cela était le cas avec Madjer et Belloumi. Vous êtes réellement optimiste pour le football algérien ? Oui, je le suis. J'ai suivi la phase des qualifications et j'ai trouvé que les Algériens ont fait preuve d'un esprit de combativité incroyable. C'est ce que les Britanniques appellent le «fighting spirit». Je pense que c'est la vraie force de la sélection algérienne actuelle. Elle se bat jusqu'au bout et rien ne lui fait peur. Je pense également que M. Raouraoua est en train d'accomplir un travail formidable. Croyez-moi, avec lui, l'Algérie reviendra très fort sur le devant de la scène footballistique. J'en suis convaincu.