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Del Bosque : «Si l'Algérie veut avoir une équipe plus forte, elle doit exporter ses joueurs»
Publié dans Le Buteur le 03 - 11 - 2010

«Beaucoup de joueurs algériens ont leur place en Liga».
«Entraîner l'Algérie serait une belle expérience, malheureusement
mon cycle en tant qu'entraîneur tire à sa fin».
On peut passer des heures et des heures avec Vicente Del Bosque sans s'ennuyer. Le bonhomme est en effet une mine intarissable de connaissances footballistiques. Vous pouvez aborder avec lui n'importe quel sujet lié au football sans sentir le moindre embarras chez lui et c'est ce que nous avons fait dans son bureau de la fédération espagnole, jusqu'à ce que le flot de questions s'est tari. Là, Del Bosque s'est levé pour nous lancer avec le sourire : «Si vous n'avez plus de questions, on passe à la séance photos». L'occasion pour notre collègue d'As de mitrailler de photos un Del Bosque amusé.
Avez-vous douté après la défaite face à la Suisse ?
Sincèrement non. Je n'ai pas douté un seul instant et, surtout, je n'ai pas essayé de chercher des coupables après la défaite. D'ailleurs, et à un élément près, j'ai reconduit la même équipe le match d'après en mettant juste Fernando Torres à la place de Silva. Je n'avais aucune raison de ne pas continuer à faire confiance à un groupe qui a été champion d'Europe et qui s'est qualifié de manière brillante en Coupe du monde. Nous avons suivi la même ligne de conduite que nous nous sommes tracée depuis le début.
Que dit un entraîneur à son équipe au soir d'une telle défaite ?
Vous savez, les mots ont toujours un effet positif sur les joueurs, je dis des mots de soutien qui peuvent leur redonner confiance. C'est ce que j'ai essayé de faire avec les joueurs, mais je leur ai dit aussi que rien ne vaut la victoire pour retrouver la confiance après une entrée en matière aussi mauvaise sur le plan du résultat. J'ai la chance d'avoir sous la main des joueurs mûrs qui ont vite saisi le message, la preuve ils ont gagné tous les matchs jusqu'à la victoire finale face aux Pays-Bas. Une partie de la confiance est revenue après la qualification au second tour, puis petit à petit ils sont devenus très forts sur tous les plans.
Contrairement aux autres grandes nations du football, le jeu espagnol s'articule autour de joueurs très forts techniquement, mais tous petits de taille à l'instar de Xavi, Iniesta, Pedro, Silva et les autres. Cela a fait dire à Laurent Blanc que la formation à la française est démodée et que la référence aujourd'hui c'est l'Espagne. Etes-vous de son avis ?
En partie oui car je considère le concept français très proche de celui espagnol. Ils avaient peut-être des joueurs physiquement forts, mais ils jouaient tous bien au ballon. On parlait tout à l'heure de Zizou, un joueur qui savait tout faire sur le terrain. Le football français a toujours privilégié le beau jeu sauf que durant la formation des jeunes, on s'occupait aussi du physique. Notre modèle n'est pas très différent sauf qu'il a tardé à porter ses fruits.
Il y a dix ans, des petits de taille comme Xavi ou Iniesta n'auraient sans doute pas réussi ce qu'ils sont en train de faire aujourd'hui…
Non, je ne le crois pas. Un bon joueur ne l'est pas par sa puissance physique. S'il est bon, il réussit, il n'y a pas le moindre doute.
Même s'ils jouent dans un championnat autre que la Liga ?
Bien sûr, il n'y a qu'à voir ce que fait Silva à Manchester City et ce que faisait Littbarski en Allemagne. Il y a beaucoup de joueurs petits de taille et qui ont réussi à forcer le respect partout dans le monde grâce à leurs qualités techniques. A travers l'histoire, les meilleurs joueurs du monde ont souvent été petits de taille.
Les joueurs algériens évoluent dans les meilleurs championnats d'Europe comme le Calcio ou la Bundesliga, où ils sont assez nombreux. En Espagne, par contre, il n'y a qu'un seul international algérien. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
C'est vrai que par le passé, il n'y a pas eu non plus beaucoup d'Algériens dans le football espagnol. Il y a eu Madjer et quelques autres (Ndlr : Saïb, Belmadi, Benhalima et Ghilas). Il n'y a qu'une seule raison qui peut expliquer ce phénomène et elle est historique et linguistique en même temps. Beaucoup de joueurs algériens ont une préférence pour la France parce que là-bas il n'y a pas le problème de la langue. En plus, l'histoire commune entre l'Algérie et la France a fait que des joueurs algériens naissent en France et y jouent. En Espagne, il y a beaucoup plus de Sud-Américains pour les mêmes raisons comme il y a aussi des Turcs en Allemagne. Personnellement, je trouve que ces migrations ont fait et font beaucoup de bien au football.
On ne sait pas si c'est à raison ou à tort, mais les gens pensent que l'Espagne ne gagnait pas à cause du communautarisme qui existait chez les joueurs. Qu'en pensez-vous ?
Si l'Espagne ne gagnait pas de titres auparavant c'est parce que ses joueurs ne voulaient pas s'exiler. Depuis que les joueurs espagnols partent jouer à l'étranger, notre sélection se porte mieux et on gagne des titres. Si l'Algérie veut avoir une équipe plus forte, il faut que les Algériens quittent leur championnat pour aller se frotter aux meilleurs joueurs du monde qui sont tous concentrés en Europe. Il n'y a plus de frontières dans le football actuel.
Vous avez parlé du match Algérie – Angleterre. Pensez-vous qu'il y a des joueurs algériens capables de s'imposer dans le championnat espagnol ?
Tous peuvent réussir en Espagne et je ne dis pas cela parce que j'ai en face de moi un journaliste algérien. Une équipe qui n'hésite pas à aligner trois défenseurs centraux face à l'Angleterre est une équipe qui n'a pas peur. J'ai vu face à l'Angleterre des joueurs physiquement et techniquement très forts qui savent se regrouper quand il faut et réaliser des dédoublements. Des joueurs qui arrivent à s'imposer en Italie ou en Allemagne ont largement les moyens de faire de même en Espagne. Aujourd'hui, et grâce à la communication, tous les entraîneurs arrivent à se mettre au diapason de ce qui se fait dans le monde et le sélectionneur algérien a su imposer une organisation de jeu qui a permis à son équipe de se qualifier brillamment en Coupe du monde pour ensuite réaliser un mondial correct et un très bon match face aux Anglais.
Vous avez dû rencontrer le sélectionneur algérien lors de votre dernier passage au Caire. Avez-vous discuté avec lui ?
Non, je l'ai juste salué parce que j'ai beaucoup de respect pour un homme qui a qualifié son pays à deux phases finales de Coupe du monde, la deuxième fois 24 ans plus tard.
Savez-vous qu'il a été poussé à la démission le mois dernier ?
Non, je ne le sais pas, mais je ne suis pas étonné pour autant. Au moment de nous renvoyer, les dirigeants oublient souvent ce qu'on a réalisé auparavant. Une seule défaite peut effacer des années de succès. Parfois, les dirigeants aiment tout ce qui est nouveau et veulent changer. Je ne vous apprends rien en vous disant que le métier d'entraîneur est difficile et aléatoire.
Vous avez vécu la même situation après avoir été destitué du poste d'entraîneur du Real Madrid au lendemain d'une victoire en Ligue des champions…
A l'époque, les dirigeants du Real ont peut-être considéré que j'étais à la fin d'un cycle et qu'il fallait donc changer pour en amorcer un nouveau. Comme je ne peux pas le démontrer, je peux vous dire aujourd'hui que j'aurais pu continuer à remporter des titres si j'étais resté au Real Madrid, mais je ne le dirais pas parce que justement je ne peux pas le prouver. Je me contenterai de dire que ma mission a eu un début et une fin au Real Madrid. Heureusement que je suis parti sur une bonne note avec ce titre de champion d'Europe.
Après le Real et les deux Ligues des champions, vous avez entraîné Besiktas Istanbul en Turquie et, paradoxalement, vous n'avez rien gagné et vous avez été remercié une fois encore…
En Turquie c'était une autre histoire. Il y a eu très peu de patience et une grande envie de réaliser des résultats immédiats de la part des dirigeants avec une équipe complètement renouvelée. En plus, on venait juste de débarquer dans un pays et un championnat qui nous étaient complètement étrangers. On parlait tout à l'heure de la subjectivité d'élire le meilleur entraîneur du monde, mon passage en Turquie en est un exemple vivant, je ne pouvais pas faire des miracles en un temps aussi court. On a dû faire des tests aux 40 joueurs qu'on avait sous la main pour dégraisser l'effectif, on a joué les premiers matchs de championnat à l'extérieur parce que notre stade était en chantier. Ce n'était pas facile, croyez-moi, de travailler dans de telles conditions.
Regrettez-vous d'avoir travaillé en Turquie ?
Non, parce que j'ai vécu à Istanbul une expérience humaine unique que je ne suis pas près d'oublier.
Si Del Bosque « est descendu » du Real jusqu'à Besiktas, peut-il « descendre » un jour de la sélection d'Espagne à celle d'Algérie ?
Je n'aime pas beaucoup le terme « descendre ». Dire que je descends vers l'Algérie, c'est un peu sous-estimer le football algérien et je ne ferai jamais ça. Entraîner l'Algérie serait une belle expérience, mais mon cycle en tant qu'entraîneur tire à sa fin et il m'est difficile de commencer une nouvelle aventure avec une autre sélection.
Vous avez parlé d'une expérience humaine unique en Turquie. Avez-vous passé le Ramadhan là-bas ?
Oui bien sûr et ce fut une belle découverte pour moi. Je devais m'adapter à une situation nouvelle, moi qui venais de l'étranger avec notamment de nouveaux horaires d'entraînement durant ce mois. Même si je ne pratiquais pas le Ramadhan, je laissais toute la liberté à mes joueurs de confession musulmane de pratiquer leur religion comme ils l'entendaient.
Imaginons qu'au Real, deux ou trois joueurs musulmans vous demandent l'autorisation de faire le Ramadhan, les laisseriez-vous jeûner ?
Ils n'auront même pas à me demander l'autorisation car je suis sûr que je les laisserai pratiquer leur religion comme ils l'entendent. Je suis trop respectueux de la liberté des autres pour exiger de qui que ce soit de ne pas faire le Ramadhan. Ma seule exigence : le rendement sur le terrain.
Pourquoi Benzema n'arrive-t-il pas à s'imposer au Real ?
Sincèrement, je ne suis pas capable de répondre à cette question car il y a sans doutes des raisons à l'intérieur du club que j'ignore.
Le métier d'entraîneur est un métier de stress et de pression, mais vous, vous ne perdez jamais votre calme sur le banc. Qu'est-ce qui vous permet de rester toujours aussi placide même après une victoire en Coupe du monde ?
J'aimerais bien exprimer toutes mes émotions, mais ce n'est malheureusement pas le cas car chaque personne s'exprime à sa manière. Ma manière à moi c'est de garder mon calme pour rester lucide et prendre les bonnes décisions, mais à l'intérieur croyez bien que ça bouillonne. Tout reste dedans.
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La leçon de Del Bosque à Aragonès
Lorsqu'il a décidé de quitter la sélection espagnole au lendemain d'une belle victoire en Coupe d'Europe, Luis Aragonès venait de mettre la barre très haut pour son successeur, obligé de faire mieux pour trouver grâce aux yeux des supporters de la Roja. Mieux, gagner la Coupe du monde, un sacré défi qui n'a pas fait peur à Vicente Del Bosque habitué aux grands défis durant ses passages au Real Madrid. Calmement, l'homme à la moustache a pris le train en marche en réalisant quelques légers remaniements, et là, les critiques ont commencé à fuser depuis la Turquie où l'architecte de la victoire de l'Euro, devenu entraîneur de Fenerbahce ne ratait aucune occasion pour le descendre en flammes. Après avoir observé le silence durant les éliminatoires où l'Espagne réalisait un sans-faute, El Abuelo (le grand-père), comme aiment à l'appeler les Espagnols, s'est littéralement déchaîné après la défaite de la Roja en Coupe des confédérations face aux Etats-Unis puis au soir de la défaite contre la Suisse en Coupe du monde sur le plateau d'Al Jazeera Sport où il était consultant. Même après la victoire finale face aux Pays-Bas, Aragonès continuait à titiller Del Bosque en rappelant que le véritable architecte du succès c'était lui. Comme il fallait s'y attendre, Del Bosque est resté calme en évitant à chaque fois la polémique avec son aîné. Les journalistes espagnols ont beau essayer de lui soutirer des réactions, rien n'y fit. Il y a quelques semaines, Del Bosque et quelques-uns des internationaux espagnols ont été invités par le roi Juan Carlos, pour recevoir le prix Principe de Asturias, la plus haute distinction en Espagne. Luis Aragonès y était aussi, mais comme simple invité car seuls les champions du monde avaient droit aux honneurs. C'est dire que toute l'Espagne guettait le moindre face-à-face entre les deux hommes. Après les prix et les discours, place à la photo de famille pour immortaliser la soirée, et là, Del Bosque étonne tout le monde en invitant Aragonès à poser avec les champions du monde : «Abuelo, vous aussi avez une grande part de mérite dans ce titre». Surprise par ce geste seigneurial, la salle a amorti le choc pour ensuite lancer une salve d'applaudissements à l'adresse du champion du monde… de l'élégance.
Mourinho n'aurait pas fait la même chose
Selon la presse espagnole, José Mourinho avait suivi tout cela à la télé et aurait commenté qu'à la place de Del Bosque il aurait remis Aragonès à sa place. C'est finalement cela la différence entre Del Bosque et Mourinho, et c'est le comportement altruiste du moustachu qui fera pencher en sa faveur le vote pour le titre de meilleur entraîneur du monde.
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Le tableau de la Casbah lui a rappelé Istanbul
Lorsque nous avons offert un tableau d'une soirée ramadhanesque dans la vieille Casbah, Vicente Del Bosque a écarquillé les yeux, se rappelant son passage à Besiktas. «C'était une expérience humaine unique, j'imagine l'ambiance qu'il y a à Alger durant les soirées du Ramadhan car après avoir jeûné toute la journée, on a envie de décompresser un peu», nous a dit Del Bosque en scrutant le tableau, visiblement très ému de recevoir un tel cadeau.
Le bracelet rouge et jaune ne le quitte jamais
Même lorsqu'il est tiré à quatre épingles comme il l'a été lorsqu'il nous a accordé l'interview, Del Bosque n'oublie jamais le bracelet jaune et rouge, les couleurs de l'emblème espagnol. C'est vrai que vu les sensibilités qui existent entre les communautés en Espagne, Del Bosque évite de parler de nationalisme espagnol. Cela ne l'empêche pas d'afficher son amour pour son pays à sa manière en ne quittant jamais son bracelet, par exemple.
L'un des rares Castillans aimés en Catalogne
En Espagne, tout le monde sait que Castillans et Catalans ne peuvent pas se piffer. Cela a même déteint sur l'ambiance de la sélection à une certaine période. Après la victoire en Coupe du monde, certains Catalans sont même allés jusqu'à dire que sans le Barça, l'Espagne n'aurait jamais gagné la Coupe du monde. «J'ai la chance d'avoir deux grands clubs, le Real et le Barça, qui m'alimentent en joueurs de haut niveau, je ne vais quand même pas me plaindre», répète Del Bosque à ceux qui veulent séparer les Catalans des autres au sein de la sélection. Des réactions mesurées qui font que Del Bosque, le Madrilène invétéré, est un entraîneur très respecté partout en Espagne. «C'est un bon gars», disent de lui les Catalans.


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