«Ighil m'a fait pleurer dans mon coin» «Khalef vient souvent prendre un café chez moi» Salaheddine Bassir fait partie des plus grands noms du football marocain. Il a joué de 1994 à 2003 étalant son indéniable talent de buteur tant en Espagne qu'en France. Cet enfant du RAJA s'est exilé dans un premier temps au Hilal Riyad, en Arabie Saoudite, avant de prendre le grand envol au Deportivo La Corogne où il est resté de 1997 à 2001 avec des fortunes diverses. Passé au LOSC (Lille), il arrêtera sa carrière à cause d'une blessure qui ne lui permit pas de goûter pleinement à son dernier transfert en Grèce (Aris FC). Il a eu le mérite de décrocher le titre de champion d'Espagne en 2000, malgré une saison très difficile. Bassir est aujourd'hui conseiller technique au sein de son club formateur du RAJA, et a investi dans un café luxueux à Casablanca. Grand admirateur du football algérien, il nous a reçu à Casablanca pour parler de lui et de l'Algérie. Appréciez. Bassir, l'Algérie ça évoque quoi au juste pour vous ? (Il sourit). C'est sûr que cela me fait penser aujourd'hui aux deux confrontations qui opposeront nos deux équipes nationales pour les éliminatoires de la CAN 2012. Mais pour moi, l'Algérie représente beaucoup plus que cela. En pensant à votre pays, il y a surtout les visages de tous mes amis algériens qui défilent dans ma mémoire. J'ai beaucoup de souvenirs avec mes frères algériens. J'ai aussi eu le plaisir de visiter Oran à deux reprises. C'était à quelles occasions ? Une fois avec la sélection militaire où on avait perdu par 4 à 0 par un temps de pluie très forte, et l'autre fois, c'était pour le jubilé d'Abdelkader Fréha en 1992. Je m'en rappelle très bien, car quelques jours après ce match nous avions appris la terrible nouvelle de l'assassinat de Cheb Hasni (Allah yerrahmou). Nous étions bouleversés, car nous avions passé une soirée inoubliable avec lui. Vous avez donc connu Cheb Hasni, Allah yerrahmou ? Oui, il était venu pour le jubilé de Fréha. Je crois qu'il était lui-même footballeur. C'était lui qui avait animé la soirée organisée en notre honneur. On avait bien sympathisé avec le regretté Hasni. C'était un garçon très charmant et adorable. En l'espace de quelques minutes seulement, il a réussi à nous envoûter d'abord par sa sympathie, puis par son immense talent d'artiste. En apprenant sa disparition brutale, on était carrément effondrés. A ce jour, lorsque j'écoute ses chansons, le souvenir de ces moments passés ensemble me revient. Vous avez donc visité la ville d'Oran... Oui, on a déambulé un peu dans la ville et on a eu le temps d'apprécier la beauté d'Oran. On a pris des photos avec les deux lions qui symbolisent la ville. Quels autres Algériens aviez-vous connu dans votre carrière ? Au RAJA, je me souviens de cheikh Rabah Saâdane lorsqu'il était entraîneur du club. Il venait de décrocher le titre de champion d'Afrique des clubs champions (actuelle Ligue des champions). J'étais encore très jeune et on s'entraînait avant l'équipe première. On ne pouvait pas discuter avec lui. Il était tellement important à nos yeux de par son statut de grand entraîneur ! On se faisait tout petits à l'approche de Saâdane et des joueurs seniors. Et Khalef ? Mahieddine Khalef est un très bon ami. A chaque fois qu'il vient à Casablanca, il passe me rendre visite à mon café. C'est quelqu'un de très respecté au Maroc de par son passé avec la sélection d'Algérie et ses connaissances du football. Vous avez été entraîné par Ighil Meziane. Que retenez-vous de cet homme ? Je me rappelle très bien d'Ighil et je garde de très bons souvenirs de lui, même s'il reste une petite zone d'ombre dont je parlerai plus tard. Ighil était arrivé au RAJA avec une mentalité très professionnelle. Et comme au RAJA les joueurs étaient un peu habitués à faire n'importe quoi, il y a eu forcément un clash entre lui et certains éléments. Sa rigueur avait effrayé les anciens qui ont vu tout de suite que leur place de titulaire indiscutable était menacée. C'était vraiment incroyable de se passer de sept stars de l'équipe dont des internationaux confirmés comme Omar Nejjari, Zerraf, Azmi, Hamraoui, Souieb, Tijani ou Moussalik. Même le public avait mal pris ce bouleversement au départ. Qu'est-ce qu'il a fait au juste ? A l'approche du grand derby marocain entre le WAC et le RAJA, Ighil avait mis sur le banc tous ces anciens pour injecter de jeunes joueurs inexpérimentés. Il fallait vraiment oser le faire ! Mais lui savait ce qu'il faisait, puisque nous avions battu le Widad en coupe et en championnat. C'est à partir de cette période que le RAJA a commencé à faire confiance aux joueurs issus des jeunes catégories du club. Et quel est ce problème que vous aviez eu personnellement avec Ighil ? En fait, à ce jour je n'ai pas encore compris pourquoi il m'avait privé de la finale de la Coupe du Trône, que nous avions perdue face à l'Olympique de Casablanca. Certes, j'étais encore jeune et je traînais alors une blessure mais j'avais enlevé le plâtre 18 jours avant cette finale pour espérer y être. Je ne tenais pas vraiment à jouer ce match, mais j'avais tellement espéré monter les marches et saluer Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu ait son âme. C'était sans doute pour vous préserver qu'il l'a fait, non ? Je ne sais pas, mais on s'est parlé avant ce match. Je me rappelle qu'il me mettait à l'écart de l'équipe en me demandant de courir sans cesse. J'étais lassé à la fin. Il m'a donc appelé un jour en me voyant quitter le centre. Il y avait une forte pluie. Il me demanda ce qu'il y avait, et je lui répondis que j'en avais marre de courir comme un fou sans voir le bout du tunnel. Ses explications restent incomprises pour moi à ce jour. Car il y avait au sein de l'équipe cinq ou six personnes qui ne faisaient pas partie de l'équipe. C'était des membres du staff dirigeant qui ne méritaient pas cet honneur plus que les joueurs. J'ai beaucoup pleuré à cause de cette mise à l'écart que m'a imposée Ighil. (Il sourit tendrement). A ce jour, je n'ai pas encore digéré cela et j'aimerais bien qu'il m'explique enfin pourquoi il ne m'a pas retenu dans le groupe. N'avez-vous jamais eu l'occasion d'en parler depuis ? Vous savez, un jour Omar Nejjari m'a appelé pour me demander de l'accompagner chez Meziane Ighil pour le saluer avant son retour définitif en Algérie. C'était une très bonne occasion d'en parler, parce que la rencontre était très amicale. On voulait juste le saluer et lui souhaiter un bon retour en Algérie. Mais lorsque je l'ai vu me regarder avec ce regard attendrissant, je n'ai rien pu lui demander. Dans ses yeux, j'avais compris qu'il voulait me dire son regret de ne pas m'avoir intégré dans l'équipe lors de cette finale. Mais je n'ai pas osé en parler le premier. Son regard était très significatif. J'espère un jour en discuter avec lui. Mais je ne lui en veux vraiment pas. J'ai juste envie de comprendre pourquoi on m'avait écarté de l'équipe. Quels sont les joueurs algériens que vous avez connus ? Il y a eu Belkhetouat, un excellent attaquant et bien sûr Cherif El Ouazzani avec qui j'ai passé de très bons moments. Il y a également Benabdallah, l'excellent gardien de but qui avait joué au MCO et au WAC qui était un ami intime de mon frère Hadj Larbi. A mon premier retour d'Espagne, quand j'évoluais au Deportivo La Corogne, mon frère n'arrêtait pas de me parler de son ami algérien. C'est là que j'ai fait la connaissance de ce brave homme. Mais il y a également beaucoup d'autres joueurs algériens que je connais comme Bouiche Nacer, Megharia, Rahem qui a joué au Maroc et Menad dont le jeu m'impressionnait, et aussi Meddane l'intenable dribbleur. Sans parler des géants du football algérien que nous avions appréciés dans les années 80 comme Madjer, Belloumi, Fergani, Drid et les autres. Vous vous êtes exilé jeune en Arabie Saoudite, alors que beaucoup de clubs en Europe vous suivaient. Pourquoi ce choix ? En fait, c'était un choix de revanche, car au RAJA les dirigeants de l'époque n'avaient pas tenu leurs promesses envers moi. J'avais des difficultés financières de par certains engagements avec la banque. Je me rappelle qu'on m'avait complètement délaissé après une blessure. Je me suis retrouvé en fin de mois avec un salaire de 3 000 dirhams (environs 300 euros). J'ai été voir les responsables pour leur demander un peu plus de respect, mais ils m'ont dit que c'était le barème imposé pour tous les joueurs. Alors, lorsque l'offre des Saoudiens est arrivée, je n'ai pas hésité un seul instant. N'aviez-vous pas pris de risques en allant jouer dans un championnat aussi faible, alors que vous aviez votre place en Liga espagnole ? C'est sûr qu'on prend un risque dans ce sens. Il suffisait juste d'une blessure pour que tout s'arrête pour moi. Mais, Hamdouliallah, j'ai pu rebondir par la suite. Peut-on savoir aujourd'hui le montant du transfert en Arabie Saoudite ? Oui, bien évidemment, il n'y a plus rien à cacher aujourd'hui (il rigole). On m'avait offert un salaire de 6 000 dollars US par mois, alors que j'en touchais 300 seulement au Maroc. Vous voyez la différence ? On dit que vous alliez même signer au Ahly d'Egypte. Est-ce vrai ? Oui, c'est vrai. J'ai failli signer au Ahly ou au Zamalek d'Egypte. C'était en 95/96. On avait joué au Cairo Stadium pour le compte de la Coupe arabe des clubs face au Ahly, devant 90 000 spectateurs et j'avais réalisé un très bon match. J'ai été donc contacté en même temps par Al Ahly et le Zamalek. Mais j'avais également reçu une offre qui ne se refuse pas de la part des Espagnols du Deportivo La Corogne. Combien vous avaient proposé Al Ahly et le Zamalek ? Presque le même montant. Al Ahly me proposait 175 000 dollars par mois et le Zamalek 150 000 dollars. En parlant des Egyptiens, on dit que Lakhdar Belloumi était parti au Maroc en 2002, alors qu'il était sous la menace d'une arrestation par Interpol. Vous confirmez ? (Il se marre). Oui, il était venu prendre part au jubilé d'Abdelmjid Dolmy. On s'est débrouillés avec nos homologues algériens pour lui faire passer la frontière terrestre sans passer par les douanes des deux pays. Je ne sais pas exactement comme cela s'était passé, mais je confirme que Belloumi était bien présent avec nous au jubilé de Dolmy. Tout le monde avait apprécié sa venue, car Belloumi reste une légende vivante du football africain. Ceci est la preuve qu'entre l'Algérie et le Maroc il existe beaucoup de complicité et de vraie fraternité, même si certains aspects de la politique tentent de nous désunir. J'espère que la fraternité entre nos deux peuples triomphera à chaque fois de la politique. (A suivre…)