C'est à Lille que nous nous sommes rendus pour interviewer l'international tunisien de Lens, Issam Jemaa... C'est à Lille que nous nous sommes rendus pour interviewer l'international tunisien de Lens, Issam Jemaa. L'attaquant des Sang et Or était déjà parti rejoindre le bus de son équipe avant de revenir vers nous en apprenant qu'un journaliste algérien avait fait le déplacement au Nord de la France pour le rencontrer. De plus, c'est un stadier algérien qui a été pour le sensibiliser et nous le ramener. Autant d'éléments «maghrébins» ne pouvaient que faire fléchir l'international tunisien qu'on a vu apparaître dans la zone mixte déserte qui attendait le passage des joueurs. Nous l'avions eu en exclusivité et Issam s'est vraiment lâché avec nous. Il a parlé de Benali qu'il qualifiait naturellement de dictateur, mais aussi des martyrs de l'intifada comme il l'a appelée. «C'est pour eux que nous allons jouer le match face à l'Algérie», nous a-t-il dit, entre autres, lors de cet entretien. De la sincérité, garantie à 100%. Appréciez et admirez les nouveautés chez nos frères tunisiens. Un mot d'abord sur ce qui s'est passé en Tunisie ? Notre peuple a réalisé quelque chose d'extraordinaire. L'intifada nous a donné une joie incroyablement grande. Franchement, je crois que rares étaient ceux qui pouvaient penser que le peuple tunisien avait le cran pour réaliser une telle révolution. Cela a étonné le monde entier et nous étions les premiers à avoir été surpris par cela. Il faut dire que c'était encore plus fermé en Tunisie qu'ailleurs dans le monde arabe, non ? C'était encore plus dur chez nous, ça il n'y a pas le moindre doute, même si je ne sais pas comment ça se passe ailleurs. Je crois que toute dictature quel que soit son degré est insupportable pour les peuples. C'était trop dur à vivre. Comment aviez-vous vécu toutes ces troubles en étant loin du pays ? Au début, j'avais très peur pour les miens et pour le peuple. J'imaginais que la répression allait être très violente, connaissant les pratiques habituelles de l'Etat. J'ai passé une semaine très difficile en téléphonant à mes parents, mes sœurs, mes frères et mes amis. J'étais à l'affût de la moindre information qui passait à la télévision. Je m'informais pratiquement à la minute, de peur d'apprendre l'avortement d'une aussi belle révolution. Je soutenais mon peuple de toutes mes forces. Puis, les nouvelles qui me parvenaient devenaient de plus en plus rassurantes. Surtout après la chute du dictateur Benali. Franchement Issam, pensiez-vous au mois de décembre pouvoir parler en fin janvier de Zine el Abidine Benali de la sorte ouvertement ? (Il sourit). Sincèrement, non. C'était carrément impensable ! Il avait tellement fermé le pays que personne ne pouvait imaginer que le peuple était capable de réaliser une telle révolution. Pensez-vous que, pour un Tunisien, cela est dur à vivre de l'intérieur ou de l'étranger ? En voyant les risques pris par le peuple sur place face aux forces de l'ordre, il n'y pas photo entre les deux. Nous ne craignions rien pour notre vie. Mais ceux qui ont défié le pouvoir face-à-face avaient toutes les raisons de craindre pour leur vie. Mais ceux qui ont vécu cela de loin ont été également secoués par ce qui se passait sur place. On avait tous envie d'y être. Votre famille est originaire de Tunis ? Non, ma famille se trouve à Djerba. On suppose que vous les appelez tous les jours, non ? Oui, c'est sûr ! Je veux rester informé sur l'évolution de la situation. J'espère qu'on va s'en sortir et que le pays retrouve une meilleure stabilité politique et économique, mais surtout plus de justice à tous les niveaux. Il y a un footballeur tunisien (Amir Akrout) qui a été touché lors de cette révolution, vous avez des nouvelles de lui ? Oui, j'ai pris de ses nouvelles récemment et on m'a dit qu'il s'en est bien sorti. J'espère que ça va aller mieux pour lui, inch'Allah. J'ai beaucoup pensé à lui et à sa famille. C'est vraiment triste de voir que des compatriotes ont été touchés par balles dans leur propre pays. Je suis de tout cœur avec les victimes et leurs familles. J'espère que le sang versé servira au moins à ramener une vie meilleure chez le peuple. Vous allez venir dans quelques jours en Algérie pour jouer un match amical face aux Verts. Dans quel état d'esprit allez-vous aborder ce match, après ce qui s'est passé au pays ? Nous allons jouer pour la mémoire de tous les martyrs de l'intifada, que ce soit ceux de la Tunisie, d'Algérie ou d'Egypte. Nous irons en Algérie pour montrer que l'équipe de Tunisie est encore debout malgré ce qui s'est passé. Je sais que c'est ce qu'attendent de nous nos compatriotes. Nous allons jouer certainement avec plus de fierté, car ce maillot aura des couleurs de la liberté du peuple. Nous allons faire la fête avec nos frères algériens. Avant, le peuple tunisien donnait l'impression d'être soumis et le voilà qui donne des leçons de courage au monde entier. Qu'est-ce que cela vous fait aujourd'hui ? C'est vrai qu'on était soumis au régime dictatorial que nous imposaient Benali et ses complices. Mais aujourd'hui, le monde entier a vu le vrai visage du peuple tunisien. Il fallait juste un déclic pour que l'intifada se fasse. Aujourd'hui, je ressens un sentiment de grande fierté d'appartenir au peuple de Tunisie. Désormais, les gens nous regarderont différemment. On sait que nous ne sommes pas soumis. Je suis vraiment très fier d'être Tunisien. Nous n'avons plus peur de rien. Nous sommes devenus un peuple vaillant. Comment imaginez-vous la suite de la politique dans votre pays ? J'espère qu'on retrouvera un vrai calme, une vraie démocratie et des élections propres à tous les niveaux. J'espère que le Président qui sera élu écoutera et respectera le peuple. C'est cela le plus important à mes yeux. Vous les footballeurs de la sélection nationale aurez de grandes responsabilités pour redonner le sourire au peuple, n'est-ce pas ? C'est sûr qu'on jouera un rôle important pour redonner le sourire au peuple. J'espère qu'on va contribuer à notre niveau à aider nos compatriotes à renouer avec la joie. A commencer par le match face à l'Algérie qui est également important pour les Verts qui préparent le rendez-vous du mois de mars contre le Maroc… C'est sûr que ce sera un match important pour nous deux. Nous irons en Algérie pour gagner, il n'y a aucun doute. Mais on sait que les Algériens aussi voudront tout faire pour se racheter auprès de leur public et se rassurer avant le match contre le Maroc. Ce sera donc très serré entre nous deux. Mais on jouera nos chances jusqu'au bout, ça c'est sûr !