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Madjid Bougherra : «La France ? Ce n'est plus pour moi !»
Publié dans Le Buteur le 09 - 04 - 2011

«J'ai deux filles macha Allah et pas encore de fils.
Wallah que ça me manque un petit garçon»
C'est à Glasgow dans l'intimité d'un appartement d'un ami que Madjid Bougherra a voulu nous recevoir pour répondre à nos questions. Une manière à lui de se tenir prêt à répondre à toutes les questions qu'on avait envie de lui poser. Une brèche était ouverte, il était bête de ne pas s'y engouffrer. Appréciez l'échange !
Où en est votre blessure aujourd'hui ?
C'est une déchirure à l'ischio-jambier, donc j'en ai pour un mois au minimum, à compter du 21 mars, le jour de la blessure (finale de la Carling Cup, ndlr). J'en ai encore pour deux bonnes semaines de repos et de soins. J'envisage d'être opérationnel pour le match du 19 avril contre Dundee, parce qu'après, on va enchaîner avec les play-offs et c'est très important pour l'équipe. Je vais donc tout faire pour être prêt pour ce match.
Qu'aviez-vous ressenti au moment de la douleur ?
C'était comme si on m'assenait un coup de couteau. J'ai su tout de suite qu'il s'agissait d'une déchirure ou d'une méchante élongation. J'ai bien senti que c'était mauvais. Je suis actuellement en phase de repos, après mon passage à Aspetar.
Vous avez pensé de suite au match du 27 contre le Maroc ?
Immédiatement ! Ma pensée est allée d'un jet à ce match et je mesurais la gravité du moment. Tu joues des semaines et des semaines en pensant à ce derby face au Maroc et à quelques jours du 27, comme par malheur, ça te tombe sur la tête. Mais bon, en tant que croyant, on se dit «koulech bel mektoub». De plus, on a gagné ce match. Ça m'a donc réconforté un peu.
On vous a vu lors de la Carling Cup faire un tour d'honneur avec vos camarades des Rangers, alors que vous étiez bien blessé…
C'est vrai, je me suis oublié carrément tellement j'étais content de ce titre. On voulait à tout prix l'offrir à nos supporteurs, surtout qu'on jouait contre le Celtic. Je ressentais de petites douleurs, mais j'ai totalement oublié ma blessure à cet instant. La joie était bien plus forte. Le problème, c'est que c'est elle qui ne m'a pas oublié, une fois rentré chez moi (il rigole).
Pensez-vous que le titre est jouable cette saison face au Celtic ?
Bien sûr que c'est jouable. On est à deux points derrière, et puis on va les recevoir chez nous dans les cinq dernières journées. Il suffira de les battre pour passer devant avec un point d'avance. Après, si on gère bien les autres matchs, le titre nous ouvrira les bras. Je me rappelle de ma première année aux Rangers, le titre, on l'avait arraché lors de la dernière journée. On peut donc le refaire cette saison. J'aime bien quand ça se joue dans les derniers matchs de la saison. Cette année, c'est très passionnant et j'aime bien quand c'est comme ça. Cette année, il y a en face une bonne équipe de Celtic et ça va se battre jusqu'au bout entre nous. Ça me fait rappeler ma première année en Ecosse.
Avec ce titre de la Carling Cup, votre saison est sauvée, même si vous perdez le championnat ?
Non, avec un club comme ça, on doit jouer sur tous les fronts. On ne peut pas se contenter de la Carling Cup. Notre priorité est toujours le titre de champion. Mentalement, on est très motivés, même si on n'a pas beaucoup de remplaçants. Il reste encore huit matchs et on sait tous ce qu'on doit faire pour gagner ce titre.
En parlant des remplaçants, on pense de suite à Salim Kerkar qui s'échauffe souvent, mais que le coach n'a pas encore fait jouer depuis son arrivée. Qu'en pensez-vous ?
C'est vrai que c'est très embêtant de ne pas le voir rentrer, mais il y a beaucoup de matchs dans lesquels le coach me disait de parler à Salim pour lui dire de se tenir prêt à jouer.
Vous parlez de Walter Smith qui vient vous voir pour vous demander de dire à Kerkar de se préparer à jouer ?
Oui, par exemple, contre le Celtic, le coach m'avait dit qu'il allait faire rentrer Salim en cours de match, mais malheureusement, un de nos joueurs avait pris un carton rouge au bout de 20 minutes et tout le schéma tactique avait été revu. Sans cela, Salim allait bien jouer l'un des matchs les plus importants de la saison. Cela prouve donc bien que le coach compte beaucoup sur lui comme une vraie solution pour l'équipe. Sinon, il n'aurait même pas eu l'intention de le faire jouer face au Celtic. Non, dans le football, dans les grands clubs comme les Rangers, il faut avoir de la patience et je suis sûr qu'un jour, Salim aura sa chance aussi. En tout cas, il a bien les qualités pour jouer aux Rangers, il n'y a aucun souci pour cela. On ne l'a pas fait signer pour ses beaux yeux.
Les autres joueurs, que pensent-ils de Salim ?
Que du bien hamdoullah. Ils reconnaissent tous ses qualités. De plus, on n'a que deux gauchers dans l'équipe, lui et un autre jeune. Ils savent tous qu'il va bientôt avoir sa chance dans l'équipe, car ils voient bien à l'entraînement ce dont il est capable.
Mais il y a bien une raison pour laquelle le coach ne le fait pas jouer, non ?
Le problème, c'est qu'il y a aussi des joueurs titulaires qui ont été achetés chers et qu'on doit faire jouer en priorité. Ils ont de gros salaires et cela doit bien se justifier le jour du match. Soit ce sont des joueurs importants dans l'équipe, soit ils essaient de les revendre en leur permettant d'être vus pendant les matchs. Ce sont des pratiques courantes dans le foot. Ça pourrait en être une des raisons…
Un mot sur le jeune Adel Gafaïti qui a signé en pro chez les Rangers, à l'âge de 16 ans ?
(Il sourit et regarde le jeune Adel assis à deux mètres de lui). Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu jouer encore (il rigole franchement en taquinant Gafaïti). Non, je plaisante. Je connais très bien son papa. C'est un petit qui vient de France. Vous savez, on n'a pas une bonne image, nous les Algériens là-bas. Dès qu'ils ont su qu'il allait signer aux Rangers, ils ont donc essayé de lui mettre les bâtons dans les roues. Ils ont voulu réclamer de l'argent, alors qu'ils l'avaient laissé pratiquement dans la rue (Sochaux lui avait signifié qu'il n'allait plus faire partie de l'équipe la saison d'après, ndlr). Vous voyez bien qu'en France, parfois, ce n'est pas si facile pour nous. Mais il a réussi à rebondir en Ecosse. Il a été très bien accueilli ici et tout le monde l'aime bien. Il suffit qu'il continue de travailler sérieusement et il prendra notre relève inch'Allah.
Peut-on dire que les Rangers, c'est le club qui répare les injustices dont ont été victimes les Algériens en France ?
(Il sourit). Oui, on va dire ça comme ça. Lui, comme Salim ou moi à Gueugnon, on a tous été victimes des mêmes injustices en France. Mais c'est vrai qu'on est dans un club très accueillant. Que tu sois blanc, black, beur, ils ne regardent jamais la couleur de ta peau ou ton origine. Il suffit d'être bon sur le terrain et tout le monde t'appréciera pour ce que tu fais.
Revenons à votre blessure. Pourquoi aller se faire soigner à Aspetar et pas en Europe ?
En fait, les gens vont se mettre à reconnaître la qualité de service d'Aspetar d'année en année. Honnêtement, c'est un grand centre qui regroupe les meilleurs médecins spécialistes au monde. Il en est de même pour les préparateurs physiques. On y trouve les meilleurs de tous les pays. C'est simple, ils ont ramené les meilleurs de chaque spécialité et ils leur ont donné les appareils les plus sophistiqués sur le marché. En plus de cela, on est dans un pays musulman ! C'est quelque chose de parfait pour moi. Je me suis fait soigner, tout en me reposant et en profitant de la belle ville de Doha. On a toujours été très chaleureux avec moi au Qatar. Mais en plus de tout cela, la FAF a un partenariat avec Aspetar pour nous faciliter la vie sur place.
Pourriez-vous nous parler de ce partenariat entre la FAF et Aspetar ?
Je pense que, comme l'Algérie avait fait un bon parcours l'année dernière et vu l'excellente relation qui lie notre pays au Qatar, les deux parties ont trouvé un accord pour que les footballeurs algériens aillent bénéficier des commodités et de la technologie très avancée que propose Aspetar. Aujourd'hui, même les joueurs locaux peuvent se faire soigner à Aspetar, à l'image de Belkalem. Là-bas, tu es au moins sûr d'avoir un bon diagnostic et bénéficier des meilleurs soins. Aspetar, c'est le top de ce qui se fait au monde ! Même les joueurs du Milan AC ont été impressionnés par les installations qu'il y a au Qatar, lorsqu'ils ont été faire un stage à Doha.
Mais pourquoi ça manque un peu de reconnaissance en Europe, malgré tout ce que vous dites ?
Vous savez, le Qatar est un pays qui émerge et ça demande un peu de temps pour être connu. La distance aussi a quelque chose à avoir dedans. Je pense que les grands clubs connaissent très bien Aspetar, mais il y en a qui préfèrent se boucher les oreilles exprès, parce qu'ils n'admettent pas de voir qu'il existe un aussi grand centre dans un pays arabe.
Qu'est-ce qu'on vous a fait au juste pour vous soigner ?
Ce sont des soins basiques d'une déchirure. C'est-à-dire, re-musculation manuelle de l'ischio par un kiné, des ultras sons, pour que les fibres musculaires se cicatrisent bien droites afin d'éviter les fibroses. Après, j'en profitais pour me reposer, car ça faisait sept mois que je n'avais pas vu autant le soleil (il sourit).
Aviez-vous discuté sur place d'un éventuel départ pour le championnat du Qatar ?
Vous savez, on prend les mêmes et on recommence. A chaque fois qu'on s'approche de la fin de saison, certains m'annoncent un peu partout. De toutes les façons, je savais que mon déplacement allait être interprété de la sorte. Que voulez-vous que je vous dise ? Posez plutôt cette question aux professionnels des rumeurs, ils sauront vous répondre sans problème.
Vous a-t-on présenté les maquettes de ce qui va être construit pour la Coupe du monde 2022 ?
J'ai déjà vu cela à la télé, mais sur place, oui, on m'a fait visiter beaucoup d'installations sportives et autres, comme cette île artificielle appelée «La Perle» et qui est déjà prête. C'est quelque chose d'exceptionnel, macha Allah. Faire cela dans le désert, c'est vraiment impressionnant !
Ça donne envie d'y vivre ?
Pour être honnête, je dirais sans hésiter oui. C'est un pays musulman, l'éducation est parfaite pour les enfants, car tout est halal sur place. (Il sourit). Ce n'est pas comme en Europe où on galère pour aller manger halal. Les gens sont aussi très chaleureux et le pays ne manque absolument de rien. Ils ont vraiment tout sur place !
On vous sent vraiment emballé par la vie au Qatar. C'est un projet ?
Ah, oui ! Je ne vous le cache pas, un de mes objectifs est d'aller vivre au Qatar. C'est clair, dans ma tête, j'ai beaucoup de projets et j'espère pouvoir les concrétiser inch'Allah au Qatar et aussi en Algérie.
Peut-on avoir une idée sur ces projets ?
(Il hésite un peu, puis…) Après ma carrière de footballeur, je voudrais bien devenir entraîneur. C'est un de mes objectifs. Je voudrais surtout, surtout, m'occuper des jeunes. Donc, inch'Allah, je vais commencer par créer une Académie de football en Algérie. C'est un projet qui me tient vraiment à cœur. Avec cela, je voudrais aussi faire partie de l'organisation du Mondial 2022 au Qatar. Ce sera une grande fête du football dans un pays arabe et donc je me sens très concerné en tant que footballeur arabe. J'espère que l'Algérie sera qualifiée pour ce Mondial si particulier et si cher pour tous les Arabes.
Vous aimeriez participer comment au juste pour ce Mondial 2022 ?
Soit dans l'organisation, ou même à la télévision comme consultant ou autre, comme entraîneur, on ne sait pas comment ça va être dans 10 ans. Il y a tellement de choses à faire dans une Coupe du monde.
Entraîneur des Verts, ça vous tente ?
Oui, pourquoi pas, mais je sais que ça va être très délicat. Je sais que c'est ce qu'il y a de plus difficile. Surtout pour entraîner une sélection comme celle de l'Algérie. Moi, ce dont je rêve, c'est d'entraîner surtout les jeunes. Moi, dès que je finis le foot, mon objectif sera de former les jeunes en Algérie et les envoyer jouer partout en Europe.
Mais comment un footballeur qui n'a pas été formé, comme c'est votre cas, va-t-il faire pour former des footballeurs ? Allez-vous inventer une autre manière de former les jeunes en vous basant sur votre expérience personnelle ?
C'est vrai que je n'ai pas été formé tôt en club comme les autres. Mais j'ai quand même été formé avec le temps. J'ai donc ma propre idée de la formation du haut niveau. Je sais aussi comment sont formés les jeunes dans les clubs, parce que, en tant que professionnel, je vois tout le temps les joueurs de l'Academy venir chez nous. Je suis un peu leurs entraînements et donc je ne pars pas dans le vide. J'ai aussi ma propre philosophie du football. En plus de cela, je me ferais bien évidemment épauler par des spécialistes en la matière. Moi, j'interviendrai sans doute dans la dernière ligne, quand les jeunes seront en phase de devenir des professionnels, et là, je serai plus sur un terrain que je maîtrise parfaitement au vu de toute l'expérience que j'ai acquise dans ma carrière. J'ai déjà la stratégie en tête et je suis sûr que ça va être une réussite inch'Allah.
Vous avez pensé à Hadjout, Annaba ou Alger ?
Il y aura une longue détection dans toute l'Algérie et on verra des milliers de jeunes pour prendre les meilleurs du pays. Tout le monde sera concerné. Mais ça se fera d'ici quelques années. On est en train d'étudier tout cela.
Vous avez dit qu'être entraîneur des Verts est ce qu'il y a de plus dur, pourquoi ?
Parce que d'abord, le sélectionneur de l'équipe a 35 millions d'Algériens qui lui dictent leurs choix. C'est vrai qu'on aime tous l'EN. Mais choisir un joueur à la place des autres, ça fait toujours des mécontents quelque part. La pression est donc trop forte sur le coach.
Mais il n'y a pas plus de pression qu'ailleurs, voyez le Brésil, l'Argentine ou l'Italie par exemple…
Oui, mais en Algérie, on a une pression différente, typique, propre à nous, vous voyez ce que je veux dire ?...
Franchement Madjid, quand on compare les supporteurs algériens ou même la presse algérienne à leurs semblables des autres pays que vous avez connus en Europe, est-ce que les Algériens sont plus durs avec les joueurs internationaux ?
Sincèrement, en ce qui concerne les supporteurs, il n'y a pas photo, les Algériens sont beaucoup plus chauds que ceux de France ou de toute l'Europe. Chez nous, c'est le top ! Les nôtres sont comme un café corsé et les autres comme le lait. (Il rigole). Concernant les journalistes, les Algériens sont des connaisseurs, il n'y a aucun doute…
Mais soyez très franc Madjid, OK ?
Non, non, wallah que je dis la vérité. Vous connaissez les joueurs plus que les journalistes français, car vous êtes plus ouverts sur les autres championnats. Après, c'est comme partout, il y a des bons et des mauvais. Il y en a qui lancent des rumeurs sans avoir la moindre petite confirmation. Mais après, il y a des bons chez nous.
Serions-nous plus virulents que les journalistes britanniques ?
Non, non, franchement, les journalistes algériens sont comme des agneaux par rapport aux britanniques. Vous êtes largement plus gentils avec nous, il faut bien le reconnaître. Après, c'est comme partout, quand on est bien, on nous encense et quand la forme baisse, on est sévèrement critiqués.
La transition est parfaite. Avez-vous justement pensé au jour où votre niveau ne sera plus le même qu'aujourd'hui et que votre cote va baisser aux yeux des Algériens ?
Vous savez, moi, ma cote a déjà été très, très basse. Je sais d'où je viens. J'ai commencé très, très bas. Je me rappelle quand on venait jouer pour le pays, à l'aéroport, les gens ne nous calculaient même pas. Ils ne nous insultaient pas, mais c'était presque ça, tellement on était ignorés par les supporteurs. J'ai commencé après la CAN 2004 et à l'époque, on s'était fait éliminer de la Coupe du monde et des deux CAN qui avaient suivi. On était la risée de tous les Algériens. Genre, on avait honte après chaque match. Donc, je ne peux pas connaître plus bas que ça.
Comment preniez-vous toute cette indifférence ?
Pour moi, wallah que malgré tout, je gardais cette fierté de venir jouer pour mon pays. Surtout quand c'est le début. C'est toujours une fierté d'aller en Algérie. Après, à force de perdre nos matchs, hélas, on prenait l'habitude de cette indifférence. Mais quand tu aimes le pays, quand tu es fier d'être algérien, tu fais en sorte d'oublier cela, tu encaisses et tu te dis dans ta tête qu'un jour ou l'autre, on va se qualifier et relever la tête inch'Allah. Et puis après, la belle époque est arrivée. On est passé d'ici à là (il montre avec ses mains le sol et le plafond).
Vous ne craignez pas le jour où tout cela va s'arrêter ?
Vous savez, même contre le Maroc à Annaba, tout ça aurait pu s'arrêter en un jour. Beaucoup de gens nous attendaient au tournant. On aurait bien pu chuter ce jour-là. Hamdoullah, on a réussi à redresser la situation, mais moi personnellement, en tant que professionnel, je sais qu'un jour ou l'autre, ça arrivera. C'est comme ça, c'est le football. On ne peut pas être au top indéfiniment. L'essentiel, c'est que moi, je me sens prêt pour ce jour et beaucoup de joueurs ont vécu cela avec moi.
Vous ne vous dites pas quelque part que, comme certains viennent de très bas, ça va être difficile de les remotiver, après avoir participé au Mondial ?
Non, non, notre équipe peut donner bien plus inch'Allah. Déjà qu'on n'a pas gagné la CAN, alors que l'ancienne génération l'a gagnée. Les anciens ont participé deux fois au Mondial avant de gagner la CAN ; tandis que nous, on a fait une seule Coupe du monde et il nous reste ce titre de champion d'Afrique à aller chercher pour faire comme eux. Je pense qu'on peut encore offrir beaucoup de choses. Déjà, si on arrive à gagner au mois de juin au Maroc, on va redonner plus de joie et plus d'espoir aux Algériens, car c'est le derby maghrébin et on a pu voir déjà au match aller l'engouement populaire autour de l'équipe. Cela signifie qu'on croit encore en nous. A Annaba, à midi, le stade était déjà plein. C'est ce qu'on vivait avant la Coupe du monde. Même si tu perds l'appétit, dès que tu vois le public dans le stade, ça repart dans ta tête de plus belle et tu as envie de te donner à 1000 % pour ton peuple. C'est impossible, c'est impossible…
Ça vous a fait mal de rater le match d'Annaba…
C'est sûr que ça m'a fait très mal. En plus, c'était chez moi, dans la ville de mon père qui était dans le stade. J'étais vraiment content à l'idée de jouer ce match et puis arrive cette blessure au plus mauvais moment. Mais c'est le mektoub, rabbi ma bghach et hamdoullah on a gagné. Si ça se trouve, j'aurais joué et on aurait perdu, qui sait ?
Vous aviez un peu peur avant ce match face au Maroc ?
Oui, tu as toujours cette petite crainte de perdre le match. Pas spécialement face au Maroc, mais avant chaque match. En plus, le Maroc possède une très bonne équipe.
A Oum Dourman aussi, vous aviez ressenti cette petite crainte de perdre ?
Oui, franchement, on a toujours cette crainte de perdre le match. C'est normal et c'est ce qui nous aide à redoubler de vigilance derrière. On le ressentait aussi au Soudan, surtout en voyant tous ces supporteurs qui sont venus de loin pour nous pousser vers la victoire. Tu te dis que tu n'as pas le droit de les décevoir, après tout ce qu'ils ont fait pour nous.
Donc, le grand Bougherra laisse toujours une petite part de doute avant les matchs, c'est ça ?
Non, on se dit plutôt : «Si on perd, voilà les conséquences». Mais c'est plus pour nous motiver qu'on se le dit, pas pour avoir peur.
Vous qui avez voyagé dans le Golfe en été et en hiver, êtes-vous pour un Mondial au Qatar en janvier ou en juin ?
Pour dire la vérité, il faut dire qu'en hiver, il fait très bon et c'est même frais la nuit. Mais après en été, c'est vrai qu'il fait chaud, mais quand on a vu ce qu'ils ont fait au Qatar, je suis sûr que même si le Mondial est organisé en été, le jour du match, ils se débrouilleront pour que le confort soit total partout. Ils sont capables de l'inimaginable. Là-dessus, je pense qu'on peut leur faire confiance à 200 %. Mais moi, il y a quelque chose qui m'énerve dans cette histoire.
Laquelle ?
Je me dis que pour une fois qu'un pays arabe a arraché le droit d'organiser la Coupe du monde, certains veulent lui mettre les bâtons dans les roues et on trouve toujours quelque chose à dire. En 1994, les USA avaient organisé le Mondial et les joueurs avaient aussi joué sous une température élevée qui avoisinait les 40° Celsius. Là, personne n'avait rien dit, parce que ce n'étaient pas des Arabes qui étaient les organisateurs. C'est sûr que certains n'ont pas admis le fait que le Mondial aille au Qatar et non pas chez eux. Je leur donne rendez-vous en 2022 et je suis sûr que le monde entier sera surpris à ce moment.
Qu'est-ce que vous avez fait au Qatar ?
J'en ai profité pour voir un match de Nadir (Belhadj) qui jouait contre l'équipe de Djamel Belmadi qui est une icône en Algérie pour tout ce qu'il a fait et j'ai vu aussi un autre match de Yazid (Mansouri). Comme je suis parti avec ma femme et mes enfants, on en a profité aussi avec les familles de mes potes. Ça m'a fait plaisir de les revoir.
Qu'avez-vous pensé du niveau du championnat au Qatar ?
Moi qui joue en Ecosse, je peux vous assurer que ce que j'ai vu au Qatar n'est pas comme on veut le décrire. Ce sont des joueurs plus rapides, plus techniques aussi. Les stades sont carrément magnifiques. La pelouse est parfaite aussi. Le seul bémol, c'est qu'il manque les supporteurs pour garnir tout cela. Avec des stades pleins, le championnat aurait un tout autre visage.
Vous pensez que ça pourrait se faire un jour au Qatar ?
Je pense que plus on s'approchera de 2022, plus il y aura de l'engouement. C'est le cas de tous les pays qui organisent une Coupe du monde. Et même la population augmente au Qatar.
Revenons encore à Annaba. Quand Karim Ziani a déclaré forfait, qu'est-ce que ça vous a fait ?
Je n'avais aucun souci pour la défense. Carl, je le connais bien et je sais qu'il est solide. Quand à Ismaël, je joue souvent contre lui et je vois toutes les semaines ce dont il est capable sur les terrains. Je n'avais donc aucune crainte à leur sujet. Je connaissais très bien leur valeur.
Quand vous avez su que c'est Bouzid qui allait vous remplacer, vous êtes allé le voir pour lui donner des conseils ?
Oui, j'ai été le voir et je lui ai dit : «Ecoute Isma, fais comme tu fais en Ecosse. Prends-le (Chamakh) au marquage et dès le début, rentre-lui dedans pour te faire respecter par la suite». Et c'est exactement ce qu'il a fait tout au long du match. Il ne l'a pas lâché d'une semelle, il l'a tué ! Et c'est ce qui fait sa force. A un contre un, Ismaël est très fort sur l'homme. Il a fait très fort dans ce match. Il a été époustouflant même ! Le seul ennui, c'est qu'il m'a pris le numéro 2 (il se marre). A la fin du match, je voulais le lui prendre pour le donner à mon père, mais il m'a dit qu'il voulait le garder. De toutes les façons, on se connaît très bien Isma et moi, il n'y aucun souci à se faire. On a commencé ensemble chez les Espoirs. Je le connais donc depuis bien longtemps.
Il nous a dit qu'il l'a donné à son père qui le méritait le plus…
Oui, je sais. C'est normal, c'est lui qui a mouillé ce maillot et c'est légitime qu'il le donne à son père. Comme à la fin du match, on ne nous donne qu'un seul maillot, le problème s'est donc posé entre nous (il rigole). J'ai donc pris le numéro 14 que j'ai offert à quelqu'un d'autre que mon père, parce que lui, il voulait le numéro 2, pas un autre maillot (il rigole encore).
Comment vit-on un match aussi palpitant du banc des remplaçants ?
C'est simple, je me suis cru l'adjoint de Benchikha ! C'était un match trop important et je ne vous raconte pas le stress que j'ai vécu du banc. C'était carrément insupportable ! J'avais envie de rentrer sur le terrain pour aider mes frères. J'étais au bord de l'arrêt cardiaque, comme tous les supporteurs, je suppose.
Vous avez eu un aperçu de votre futur métier d'entraîneur…
Ah, c'est clair ! Ce n'est vraiment pas facile à gérer. Même Karim Ziani était comme moi. Lui, il n'a même pas pu se mettre avec nous sur le banc. Il a suivi le match du tunnel et ne regardait pas toutes les actions, tellement il stressait. Franchement, c'était horrible à vivre en dehors du terrain.
Vous pensez que les Marocains ont mieux joué ?
Oui, sincèrement je pense qu'ils ont joué un peu mieux que nous. Mais il faut dire qu'ils n'étaient pas aussi acculés que nous. C'est ce qui a fait qu'on se soit plus préoccupés du score que du beau jeu. Mais au niveau de l'engagement, on a été bien plus forts qu'eux. Il faut dire aussi qu'il y avait une grosse pression sur nous, dans tout le pays. Sans parler de l'état catastrophique de la pelouse.
Et pourtant, la pelouse à Annaba avait été préparée des jours et des jours…
Je préfère cent fois la pelouse de Blida. Je parle du terrain et non du stade, même si je suis d'Annaba. J'ai trottiné sur la pelouse avant le match et j'ai pu constater tous les défauts. Ce n'est pas parce que je suis d'Annaba que je dois taire ces vérités. Je le dis pour que les responsables pensent à l'améliorer à l'avenir. Franchement, je respecte les joueurs qui ont joué dessus.
Comment aviez-vous vécu le penalty de Hassan Yebda ? Vous l'avez revu ?
Non, je ne l'ai pas revu, mais beaucoup de gens m'ont dit qu'il y avait penalty. Mais si l'arbitre a sifflé, c'est trop tard de toutes les façons. Quant à Hassan, avant qu'il tire, j'étais persuadé qu'il allait faire une Panenka. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu cette impression.
Vous aviez peur qu'il fasse une Panenka et qu'il la rate ?
Oui et non. Le problème, c'est qu'il y avait deux joueurs marocains (Kharja et Benatia, ndlr) qui évoluent en Italie et donc ils le connaissent un peu. J'avais peur qu'ils disent à leur gardien d'anticiper sur la Panenka. Mais au final, j'étais trop content qu'il le tire comme ça et qu'il le marque.
Quel a été l'effet de la vidéo d'Oum Dourman sur vous ?
C'était une très bonne idée de la part du coach. Wallah que même moi, après avoir vu cette vidéo, j'avais envie de jouer le match. Ça nous a tous fouetté l'esprit.
Si on vous demandait de comparer Benchikha avec les anciens sélectionneurs d'Algérie, vous diriez quoi sur lui ?
Par rapport aux autres, je dirais que c'est le plus jeune entraîneur qu'on a connu en EN. Il représente la nouvelle génération. On sent qu'il est plus motivé, qu'il a plus de culture tactique, plus de connaissances. Ce genre de coach sait comment gérer l'équipe par rapport au mental des joueurs.
Il s'y connaît tactiquement mieux que tous ceux que vous avez connus ?
(Visiblement gêné). De toutes les façons, tous les grands entraîneurs font pareil. Mourinho joue avec la même tactique que Wenger etc. Mais je veux dire que c'est lui qui forme certains entraîneurs. Il est formateur international et ce n'est donc pas pour rien. On sent bien que c'est un connaisseur qui a faim de victoires.
Comment aviez-vous pris les déclarations arrogantes de Gerets avant le match ?
Vous savez, quand on a vécu l'histoire des Egyptiens, on ne fait plus attention à ce genre de déclarations. Je vais peut-être vous étonner, mais je viens juste d'apprendre que Gerets a fait ce genre de déclarations. C'est dire que je ne m'intéresse plus à cela.
Ce match ressemblait un peu à celui de Blida face aux Egyptiens, non ?
Oui, il y avait beaucoup de similitudes entre les deux matchs. A la seule différence que les joueurs marocains ont été exemplaires sur le terrain. On s'est respectés si vous voulez et c'est là la grande différence avec l'Egypte.
On sait que ce n'est pas vraiment le moment pour en parler, mais on ose quand même vous demander si vous avez déjà une petite idée sur votre avenir pour la saison prochaine…
Eh bien, on va dire qu'il me reste une année de contrat avec les Rangers et tout dépendra des discussions que je vais avoir avec les dirigeants. Ils m'ont déjà proposé de poursuivre pour deux ans de plus. Mais j'ai refusé poliment. J'ai passé trois années merveilleuses ici à Glasgow et j'ai envie de goûter à un nouveau challenge. Mais si je dois rester un an de plus, il n'y aura aucun problème de mon côté, car je n'ai connu que du bon avec les Rangers. Maintenant s'il y a un beau challenge pour moi ailleurs et que le club est d'accord, je pense que je serai partant. Cela fait deux années que je joue la Champion's League, cette année j'ai joué l'Europa-League et aussi la Coupe du monde, forcément, on a tous envie d'aller chercher d'autres défis.
C'est quoi votre priorité si vous deviez partir ?
Ma priorité est de jouer en Premier League, c'est sûr. Maintenant, si ça ne se fera pas, je me verrai bien aller jouer en Turquie ou dans les pays du Golfe. Mais pour le moment, je suis toujours aux Rangers et il nous reste un titre à arracher dans cette fin de saison. Je ne suis pas encore parti et j'espère que les gens ne vont pas m'envoyer un peu partout de manière aussi hâtive que la saison dernière (il sourit).
Et la France ?
Le football français, ce n'est pas pour moi.
Même si l'OM vous fait une belle offre ?
C'est simple, je ne retournerai plus jamais jouer en France. Je ne peux pas être plus clair que ça.
Pourquoi, selon vous, le footballeur algérien ne s'exporte pas bien dans les grands clubs d'Europe ?
C'est un problème de formation. Le jour où des jeunes comme ceux du Paradou signeront au Barça, Arsenal ou à Manchester United, les gens auront une autre image des joueurs algériens. C'est pour cela que ce projet d'Academy me tient beaucoup à cœur. J'adore les enfants et tout ce qui est en relation avec les petits. En plus, je suis ambassadeur de l'UNICEF et de ce fait, j'ai envie de réaliser quelque chose dans ce sens avec les enfants en Algérie. Wallah alâdim, il faut former les jeunes en Algérie. C'est ce qui va nous aider à progresser. Vous savez, j'ai deux filles macha Allah et pas encore de garçon. Wallah que ça me manque un petit garçon. Wallah al âdim, si Dieu veut que je n'aie pas de garçon, ces jeunes que je vais avoir dans l'Academy, je les considèrerai tous comme mes propres fils. Les voir grandir et réaliser leurs rêves, c'est ce qu'il y a de plus kiffant. Ils seront les miens inch'Allah…


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