«Feghouli a réussi à Valence parce qu'il s'y est senti mieux qu'à Grenoble» «Un départ à l'étranger est nécessaire pour que Boudebouz forge son caractère» Valérien Ismaël a une particularité : il a été l'un des meilleurs défenseurs de la Bundesliga au milieu des années 2000, remportant notamment un doublé avec le Werder de Brême et un autre avec le Bayern Munich, sans pour autant jamais eu les faveurs de la sélection de France. En tout cas, à force de jouer en Allemagne, il est devenu allemand de cœur. Consultant de BeIn Sport pour les matches de l'Euro-2012, il nous livre ses impressions sur le tournoi, mais aussi sur le passage de Karim Ziani à Wolfsburg. Vous travaillez actuellement comme consultant à la chaîne BeIn Sport. Comment s'est faite votre reconversion ? A la fin de ma carrière à Hanovre, je me suis reconverti en dirigeant au sein du club. Depuis la fin de l'année dernière, plus exactement depuis novembre 2011, je suis entraîneur de l'équipe réserve de Hanovre. A côté de ça, à l'occasion de l'Euro-2012, j'ai l'occasion de travailler en qualité de co-commentateur de BeIn Sport, la filiale d'Al Jazeera Sport en France. Quelle appréciation faites-vous de ce tournoi, du moins du premier tour ? Je pense que c'est un tournoi très attrayant. On voit beaucoup de buts, du beau jeu, des surprises, comme la Russie qui est éliminée au premier tour. C'est exactement ce dont on a besoin dans le football. On voit des stades pleins et une ambiance de fête. Il y a eu certaines scènes qui n'étaient pas très jolies à voir, mais c'est un beau tournoi dans l'ensemble. Vous travaillez en Allemagne et vous connaissez donc très bien la sélection allemande. Elle a carburé fort durant le premier tour, à plus forte raison en étant dans le groupe dit de «la mort» dont ils sont sortis en alignant trois victoires. Croyez-vous qu'elle est cette fois-ci bien armée pour aller jusqu'au bout ? On verra. Il y a un match très important en quart de finale contre la Grèce. Quand on sait les enjeux sportifs et politiques qui sont derrière, ce sera très, très chaud pour l'équipe d'Allemagne. On va voir donc. En tout cas, elle a le potentiel pour aller au bout et gagner ce tournoi. J'avais cru aussi que la Russie allait se qualifier pour les quarts de finale, mais c'est la Grèce qui est finalement passée. Il peut toujours y avoir des surprises. Il faut donc rester bien concentré et se dire que tous les matchs sont difficiles. L'Espagne est-elle le favori naturel, selon vous ? Oui, c'est le favori en puissance, alors que l'Allemagne est juste l'un des favoris. J'avais mis en favori secret la Russie, mais elle est éliminée. Il reste donc deux de mes trois favoris. J'espère que l'un des deux va gagner. Et la France dans tout ça ? La France s'est plutôt bien comportée jusque-là (entretien réalisé à Poznan en marge du match Italie-Irlande, la veille du match France-Suède, ndlr). Ils ont dominé leurs matchs sur le plan offensif. Par contre, défensivement, on a vu qu'ils ont encore beaucoup de problèmes. Il va falloir progresser dans ce domaine. A partir des quarts de finale, il faudra être vraiment bien concentré. Jusqu'à maintenant, il n'y a eu aucun match qui s'est terminé par 0-0. Croyez-vous que, au plan du jeu, cet Euro est une réussite ? De toute façon, on a vu du beau jeu et de beaux buts. On voit que toutes les équipes ou presque essaient de pratiquer un jeu offensif. La seule exception est l'Irlande du Sud qui n'est pas au niveau de ce tournoi. La Grèce essaye de rééditer son exploit de 2004 en jouant avec une défense en béton. Pour l'instant, cela l'a propulsée en quarts de finale. Sinon, toutes les autres sélections pratiquent un football offensif, que ce soit l'Espagne, l'Allemagne et même l'Italie, à la surprise générale. Vous avez joué en France et en Allemagne. Avez-vous en mémoire des joueurs algériens que vous avez croisés dans les clubs par où vous êtes passé ou sur les terrains ? Cela fait longtemps que j'ai quitté la France. Rappelez-moi quelques joueurs algériens qui ont joué à la période où j'étais là-bas. Il y a Rafik Saïfi en premier lieu, l'Algérien qui a le plus duré en France. Oui, je me rappelle parfaitement de lui. J'ai joué contre lui quand il était à Troyes. Très bon technicien qui est un danger permanent pour les défenseurs. Il y a eu également Salim Arrache qui est passé par Strasbourg, mais il n'a pas joué au moment où vous y étiez... Je me rappelle de lui. Il était au centre de formation. Plus récemment, il y a eu Ziani qui a joué à Sochaux et à Marseille... Oui, j'ai suivi ses performances. C'est un joueur qui faisait parler de lui en France. Il est ensuite parti en Allemagne, à Wolfsburg. Vous, qui êtes en Allemagne, vous avez dû suivre ses performances, même si ce pays ne lui a pas trop réussi. Effectivement, il n'a pas réussi en Allemagne. Pourquoi, selon vous ? Vous savez, les joueurs qui viennent de pays chauds ont besoin d'une ambiance familiale et de leurs proches pour s'imposer. Se retrouver en Allemagne comme ça n'est pas évident. Il faut déjà apprendre la langue et c'est très difficile. Ensuite, la Bundesliga est un championnat où on attend énormément d'un joueur. Il avait été acheté, je crois, pour 5 millions à l'époque... Plutôt pour 7 millions. 7 millions même ? Cela explique que les attentes ont été très grandes. En Allemagne, il faut t'intégrer le plus rapidement possible. Je pense que c'était un peu difficile pour lui. Il a trouvé une autre mentalité qui ne lui convenait peut-être pas et c'est ce qui explique qu'il soit passé par des moments difficiles. D'autres Algériens se sont pourtant adaptés à l'environnement allemand, tels Anthar Yahia, Karim Matmour et Chadli Amri... Cela dépend des prédispositions de chaque joueur. Il y en a à qui cette mentalité convient bien, d'autres à qui elle ne convient pas. Yahia et Matmour ne se sentiraient peut-être pas bien en France, mais ils se sentent bien en Allemagne. Peut-être qu'ils ne seraient pas bien Angleterre et qu'ils seraient mieux en Italie... Cela dépend de la personnalité de chacun. Personnellement, j'ai joué presqu'un an en Angleterre et je ne m'y suis pas bien senti. Il a suffi que je parte en Allemagne pour me sentir vraiment bien. Voulez-vous dire par là qu'il y a certains championnats qui sont faits pour certains types de joueurs ? Je le pense, oui. Au fur et à mesure des années, on voit bien qu'il y a des joueurs qui ont débuté leur carrière en France sans que personne ne pense qu'ils allaient faire une grande carrière internationale. C'est le cas de Perisic par exemple qui a débuté à Sochaux et qui, cette année, a remporté le doublé avec le Borussia Dortmund et est titulaire en sélection de Croatie. Idem également pour Ibisevic qui était à Dijon et qui fait actuellement une grande saison en Allemagne, où il évolue à Stuttgart, après être passé par Aix-La-Chapelle et Hoffenheim. Il y a un exemple algérien en la personne de Sofiane Feghouli qui avait des problèmes avec Grenoble, mais qui a explosé à Valence, dans la Liga... Voilà. Il y a comme ça des choses qui ne s'expliquent pas. Il y a des endroits où on se sent bien, comme c'est le cas de Feghouli à Valence. C'est une question d'état d'esprit. En France, il y a actuellement Ryad Boudebouz qui est très convoité et à qui on promet un avenir radieux. N'y a-t-il pas de crainte qu'un joueur dont on attend beaucoup et sur on exerce une pression finisse par se bloquer ? C'est sûr. C'est encore un jeune joueur et la pression est très grande sur lui. C'est à lui de répondre comme il se doit aux attentes. Il doit progresser, même quand il y a la pression. Un départ à l'étranger pourrait l'aider à forger son caractère. La sélection algérienne est entraînée par Vahid Halilhodzic, que vous connaissez bien. Pensez-vous que ça pourra marcher fort ? Je pense qu'il pourra ramener la discipline qu'il faut à la sélection algérienne. En tout cas, c'est un entraîneur d'expérience, très respecté. Je lui souhaite beaucoup de courage, ainsi qu'à la sélection d'Algérie. Je profite de l'occasion pour transmettre mes salutations au public algérien et lui demander de continuer à soutenir sa sélection et le football en général. Le football est la seule discipline capable de réunir des gens de différents pays et cultures, comme on le voit en ce moment en Pologne et en Ukraine. ------------- Euro-vision Le grand et le bon à rien Quelle différence y a-t-il entre un bon joueur et un grand joueur ? Pelé, Beckenbauer, Cruijff, Platini, Maradona et Zidane (dans l'ordre chronologique, pas dans celui du mérite) nous l'avait montrée chacun en leur temps. Dans cet Euro, ils sont deux à nous l'avoir démontrée jusqu'à maintenant : Cristiano Ronaldo et Zlatan Ibrahimovic. C'est tout simplement celle qu'il y a entre un joueur qui a du talent tout en dépendant de ses coéquipiers et un autre qui est capable de tour renverser au moment où ses coéquipiers sont au fond du trou. Ronaldo a remis le Portugal à flot, puis dans le bon cap, après avoir été mené au score par les Pays-Bas, alors que Ibrahmovic, qu'on disait démobilisé après l'élimination de la Suède, voire même donné absent pour ce match, a conduit les siens vers une sortie sous les honneurs en donnant une belle leçon à la France avec le plus beau but de la compétition à la clef. Il n'est pas sûr que cette nuance soit comprise en Algérie où il suffit à un joueur de faire la une des journaux pour être bombardé «grand joueur» et se voir proposer des salaires faramineux. C'est le cas en particulier à l'USM Alger où on ne semble pas avoir tiré les leçons du passé, mais également au MC Alger où on promet des salaires qu'on ne pourra pas payer. C'est également toute la différence entre un grand dirigeant et un dirigeant bon à rien.